Petit Peuple : Wulou (Shandong) : Les funérailles mouvementées du Père Li (2ème partie)

Wulou (Shandong) : Les funérailles mouvementées du Père Li (2ème partie)

Cent jours après l’enterrement de Li Chenbin sur une colline du Henan, ses trois fils et le cousin secrétaire du Parti se rendent sur sa tombe pour la cérémonie rituelle – mais la dépouille mortelle a disparu…

Rouge de colère, Zhende l’aîné se tourna vers Li Liang, son cousin, et l’apostropha : « tu nous as fait payer cher pour garantir le repos de mon père, et voilà qu’on a volé son corps – tu nous dois des explications ! » Cependant ce dernier, mal à l’aise, et se confondant en mimiques d’excuses, restait muet et tournait autour du monticule, dans la tentative vaine d’échapper aux regards fulgurants de l’aîné de la fratrie… « Écoute, finit-il par reconnaître, ce que nous avons fait est illégal, tu le sais bien. Nous risquons gros. Alors, tais-toi, dans ton intérêt comme le mien ».

« Il n’est pas possible de ne rien faire. Sans le corps de mon père, pas de paix possible, ni pour nous ni pour toi ! Et pour commencer, dis-moi :  après nous, quelle famille a reçu un certificat de crémation» ? Zhende posait la question, pour donner suite à un soupçon qui venait de traverser sa tête comme un éclair : n’y aurait-il pas justement, autour de cette histoire de certificat, un coup fourré dont son père aurait fait les frais ?

« Eh bien, finit par murmurer Li Liang, tu devrais aller parler à Wang Hongzhan, à propos de sa mère ; et tant que tu y es, va voir Wang Ling, le secrétaire du Parti de Lizhuang »…

Bon, au moins, Li Liang coopérait. Aussi Zhende changea de ton : « daccord, on ne va pas te chercher « des os dans l’œuf » (鸡蛋里挑骨头,  jīdàn li tiāo gǔtou, version chinoise de chercher « des poux sur la tête »), mais le corps de mon père a été volé, ce nest pas à moi dinterroger les gens : tu y vas » !

Sur quoi, de concert, ils se rendirent chez Wang Hongzhan à Lizhuang : il commença par nier tout lien avec le vol du cadavre. Mais non convaincus, ils s’accrochèrent, revinrent le lendemain, la semaine d’après, sans jamais lâcher la pression, confortés par les bruits qui couraient, assourdissants. Début 2020, Wang finit par admettre qu’il venait quelques semaines plus tôt de faire enterrer sa mère décédée depuis trois ans. Mais de certificat d’incinération, non, il jurait ses grands dieux n’en rien savoir : « Je n’ai jamais entendu parler d’un tel papier… S’il y en a un, c’est mon fils qui doit l’avoir, mais nous sommes pauvres… On n’aurait jamais pu payer. Je ne suis qu’un vieil homme, et qu’un bon fils qui a fait son devoir ». 

Zhende et Li Liang se tournèrent alors vers Wang Ling, le patron du district : ce dernier les reçut fort fraîchement, prenant les choses de haut : « Je n’ai rien à déclarer – et si vous n’êtes pas contents, allez-vous plaindre plus haut ». Certes, c’était un enterrement qui avait mal tourné, mais vu son illégalité dès le départ, et les risques de sanction pour ses auteurs, Wang Ling était certain qu’ils n’oseraient jamais sauter le pas.

Depuis son poste de secrétaire du Parti à Wulou cependant, Li Liang entendait toujours la pompe à rumeurs, et s’en servait pour poursuivre l’enquête : Liu Qinghua responsable du crématorium de Wulou finit par admettre que la dépouille du vieux Li Chenbin avait été subtilisée puis incinérée le 30 mars 2019. Les voleurs avaient agi juste avant la cérémonie rituelle des 100 jours : c’était par hasard en fait, et ils n’avaient avancé la date du rapt que pour battre de vitesse le dégel qui aurait corrompu le corps. Mais l’information suivante donnée par le fossoyeur était capitale : le corps avait été incinéré en lieu et place de la mère de Wang Hongzhan, qui avait obtenu ensuite un faux certificat de crémation tout en ayant été enterrée. Pour ce tour de passe-passe, son fils avait versé 12 000 yuans à Wang Ling.

Restait à comprendre comment Wang Ling, le boss à Lizhuang (Henan) avait eu vent de l’enterrement clandestin du corps de Li Chenbin, venu du Shandong. La réponse tenait à la fois à la séparation artificielle d’un terroir entre deux provinces et à l’extrême densité de la population locale. En l’occurrence, un braconnier de Lizhuang passant par la colline pour relever ses pièges, avait trouvé le cône de terre fraîche enrubannée. Il avait jasé, et la rumeur avait atteint en un temps record les oreilles du secrétaire. Personne ne sachant qui gisait là-dessous, le mort n’était pas un local -Wang Ling avait vite deviné qu’il venait de la province voisine. Or personne n’était allé le consulter, ne fût-ce que pour partager avec lui le montant de la taxe. C’était là, de la part des auteurs de l’ensevelissement, un manque de bonnes manières !  En effet les ennuis, quand ils arriveraient – et c’était inéluctable – retomberaient sur lui, le secrétaire du Parti. Aussi la nouvelle de ce tombeau tout frais avait suscité chez lui un mélange de perplexité et d’irritation : il fallait d’abord trouver qui c’était !

L’affaire devient de plus en plus glauque. Qui de cette histoire, sortira les mains propres, et sans soucis avec la justice : on le saura au dernier épisode, la semaine prochaine !

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1 Commentaire
  1. severy

    Je ne sais pas qui sortira de cette histoire avec les mains propres mais ce n’est certainement pas le fossoyeur.

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