Petit Peuple : Pingtai (Fujian) – Le drame de désespoir de Ou Jinzhong (3ème partie)

Pingtai (Fujian) – Le drame de désespoir de Ou Jinzhong (3ème partie)

Ou Jinzhong a tué son voisin Chen Wuxin qui l’empêchait depuis 5 ans de construire sa maison. Craignant les représailles, il prend le maquis…

La stupeur fut sans limite à la mairie, apprenant l’assassinat de Chen Wuxin, membre du club très fermé de la nomenklatura locale. Elle se mua vite en colère, et en actes : dès le dimanche soir, six heures après le meurtre, les poteaux télégraphiques de Pingtai portaient des affichettes à l’effigie d’Ou Jinzhong, 55 ans, meurtrier, tandis que quinze inspecteurs arpentaient la montagne.

La traque se renforça le lendemain : une centaine d’agents démarrèrent, avec des chiens fureteurs. Par chance pour Ou, le typhon de la veille avait effacé toutes odeurs, faisant tourner les chiens en rond. Mardi vit une nouvelle escalade : par voie d’affiches, les citoyens étaient avisés de dénoncer tout mouvement suspect, tout passage d’inconnus, tout indice de vol de vêtement ou de nourriture. Mais l’aspect le plus choquant était la mise à prix du fugitif, sous deux tarifs : 20.000 yuans pour sa capture, 50.000 yuans pour son corps mort.

Par sa folie, l’annonce laissait voir que les policiers avaient perdu la tête. Elle se propagea dans tout le pays. La réaction des masses fut inattendue et prenait le parti de l’assassin, estimant qu’il avait été poussé à bout par un système corrompu. À quoi rimait une prime de cadavre deux fois et demie supérieure à celle d’une capture ? C’était un appel au meurtre, rien de moins !

Sans doute rabrouée en haut lieu par téléphone, la mairie rectifia le tir (si l’on peut dire) : jamais elle n’avait appelé la populace à se faire justice expéditive par des « mauvaises actions » (sic).

Quoi qu’il en soit, dès le mercredi, tous les effectifs disponibles étaient à pied d’œuvre, 14 heures par jour, pour une battue entre lande, marais et montagne. La traque était sans cesse redirigée aux quatre horizons sous d’incessants ordres et contre-ordres, dans un brouhaha indescriptible suite aux appels de délateurs contradictoires. Au pic de l’action, l’armée des chercheurs atteignait 350 hommes.

Si la mairie en faisait tant, c’était aussi dans une lutte contre la montre, pour empêcher Ou Jinzhong de tout révéler. Sur la toile, la passion des citoyens battait son comble, avec 100 questions sur la nature de la contrebande qu’aurait pratiquée le défunt Chen depuis Taïwan, et les juteuses enveloppes qu’il aurait versé aux édiles de Pingtai pour fermer les yeux.

D’autres encore dénonçaient la déréliction du devoir de rester au service du peuple (« 为人民服务 », wéi rénmín fúwù). Et puis, questionnait insidieusement un juriste, lancer une telle chasse à l’homme entrait-il dans les compétences d’une simple mairie de province ?  Et sur quels fonds s’apprêtait-elle à payer la prime aux délateurs : avait-elle une caisse noire ?

Yan Shulou, blogueur, s’empara de l’histoire et écrivit que « seuls ceux longtemps opprimés, peuvent comprendre la colère et l’impuissance ayant conduit au meurtre » – son post lui valut pas moins de 100.000 clics avant d’être effacé.

Pour des millions, Ou Jinzhong prenait la dimension d’un bandit d’honneur du roman « Au bord de l’eau ». Un adolescent lui conseillait même de « fiche le camp : « Shushu (oncle), décampe ! Je te souhaite de pouvoir toujours trouver paix et bonheur pour le reste de ta vie ».

En même temps, sortaient sur internet des pans de sa vie passée, qui évoquaient son profil vertueux. À 25 ans, il s’était jeté en mer pour sauver un enfant de la noyade. En 2008, il avait sauvé un couple de dauphins échoués sur la grève, les repoussant à l’eau…

Tout cela forçait à conclure que bon samaritain de naissance, Ou Jinzhong avait été acculé au crime par le manque de cœur de Chen Wuxin, et des édiles qui auraient dû le protéger et qui l’avaient abandonné. Du coup, il devenait victime du système.

Un grondement sourd montait parmi la foule, exprimant l’exaspération envers mairie, police, justice, la presse même, toutes les émanations du régime. La Chine entière entamait son examen de conscience… Pour la mairie sous le feu des critiques, c’était intolérable ! Depuis longtemps, le compte Weibo du mareyeur avait été fermé, pour éviter que ne s’y déversent des millions de messages de soutien.

Finalement, le lundi de la semaine suivante Ou Jinzhong fut repéré au fond de la grotte où il se terrait. Selon la version officielle, c’est lui qui se tua plutôt que de se rendre. Une version évidemment contestée par tous, car trop commode pour les officiels locaux, qui pouvaient respirer à présent, ayant évité le pire.

Toutefois, la mort de Ou Jinzhong ne restera peut-être pas sans suite. Certes, par principe, l’État socialiste soutient toujours ses cadres contre le peuple, sans considération de ses droits. Mais dans sa tanière, il n’abhorre rien de plus que les erreurs de ses cadres, décisions futiles et irréfléchies qui font voler en éclat la stabilité sociale. Ces erreurs, il les sanctionne toujours une fois le calme revenu, quand il croit que son action ne peut plus être interprétée comme un désaveu de son personnel.

Dès maintenant, pour calmer le jeu, la commission locale d’inspection de la discipline (qui prend notoirement ses ordres de Pékin) ouvre une enquête sur l’annulation du permis de construire à l’origine du bain de sang. D’ici quelques mois, maire et commissaire de Pingtai pourraient donc avoir du souci à se faire pour leur carrière. Et s’ils étaient mutés ou démis de leur fonction, il ne faudrait pas plus que cela s’en étonner !

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