Taiwan : La visite de William Lai dans le Pacifique irrite Pékin

La visite de William Lai dans le Pacifique irrite Pékin

Pour son premier voyage à l’étranger, le président de la République de Chine ou Taïwan, Lai Ching-te (ou William Lai) a atterri à Hawaï, aux Etats-Unis, ce dimanche 1er décembre, peu avant 7h30 heure locale. Il a été accueilli à l’aéroport international d’Honolulu par Ingrid Larson, directrice générale à Washington de l’Institut américain de Taïwan, et le gouverneur d’Hawaï, Josh Green.

L’événement est historique pour Taïwan. Comme l’indique le bureau présidentiel de Taipei dans un communiqué : « C’est la première fois que le chef de l’Etat (taïwanais) a été accueilli avec un tapis rouge sur le tarmac et s’est vu remettre des fleurs, ce qui constitue le plus haut niveau de courtoisie de ces dernières années, en rupture avec le protocole traditionnel d’accueil en terminal ».

Cette visite est à la fois le symbole d’une relation au plus haut niveau de confiance et d’intégration militaro-diplomatique entre Taïwan et les Etats-Unis, et un défi pour Pékin qui a promis des représailles sous la forme de nouveaux exercices de blocage et d’encerclement de l’île.

La confiance de Lai envers Washington et sa défiance assumée envers Pékin est visible dans cette visite qui est toujours présentée comme une simple escale pour ne pas froisser la Chine continentale. Il est cependant difficile de parler d’escale pour ce « transit » de deux jours à Hawaï, qui inclut notamment des visites au musée Bishop, à l’Agence de gestion des urgences d’Hawaï et au mémorial de l’USS Arizona à Pearl Harbor, selon le programme officiel.

D’autant qu’elle est suivie d’une deuxième « escale » sur territoire américain : puisque William Lai passera ensuite une nuit sur le territoire américain, cette fois-ci à Guam, d’où il visitera les alliés de Taïwan : les îles Marshall, Tuvalu et Palau.

C’est en effet l’objectif officiel de cette tournée de Lai du 30 novembre au 6 décembre : maintenir les relations diplomatiques avec ces alliés du Pacifique, aussi essentiels pour Taipei que pour Washington, dans la guerre d’influence avec la Chine dans cette région du monde.

Les îles Marshall, Tuvalu et Palau sont les seuls pays insulaires du Pacifique parmi les 12 pays restants à reconnaître Taïwan. Lai rencontrera la Présidente des Îles Marshall, Hilda Heine, le Premier ministre des Tuvalu, Feleti Teo et le Président des Palaos, Surangel Whipps Jr. Taipei veut donc s’assurer que les îles Marshall, Tuvalu et Palau défendent Taïwan au sein du Forum des îles du Pacifique, le principal rassemblement diplomatique de la région. Le Forum est l’une des rares plateformes multilatérales où Taïwan a une présence constante en tant que « partenaire de développement » au grand dam des diplomates chinois, qui jouent également un rôle dans le dialogue. Les îles Salomon, qui entretiennent des liens étroits avec la Chine, vont sans doute essayer de diminuer le rôle de Taïwan lorsqu’elles accueilleront la réunion des dirigeants l’année prochaine. L’idée pour Taipei est que les îles Marshall, Tuvalu et Palau aident à contrer ce risque.

Au cours de la dernière décennie, la Chine a utilisé des offres généreuses d’aide et d’investissement pour éloigner les derniers partenaires diplomatiques de Taïwan, en partie dans le but d’étouffer la reconnaissance diplomatique formelle de Taïwan (maintenue au sein de l’ONU à travers ces douze alliés restants). Cette prise par Pékin des alliés du Pacifique de Taïwan s’est accrue considérablement ces dernières années, depuis la première double présidence de Tsai Ing-wen en représailles contre le Parti démocrate progressiste (DPP) qui entend préserver l’autonomie de l’archipel formosan en garant de la constitution de la République de Chine fondée en 1911.

Ainsi, quelques jours après la victoire de M. Lai à l’élection présidentielle en janvier, la Chine avait annoncé avoir persuadé Nauru de transférer ses relations diplomatiques de Taipei à Pékin. En 2019, Kiribati et les Îles Salomon avaient troqué la reconnaissance diplomatique de la République de Chine pour celle de la République populaire. Cette semaine, le dirigeant chinois Xi Jinping a accueilli à Pékin la Première ministre des Samoa, présentant la Chine comme un ami fidèle des nations insulaires du Pacifique.

Du point de vue de ces pays, l’enjeu est à la fois politique et diplomatique et aussi et surtout économique et financier dans un contexte rendu préoccupant et urgent par le changement climatique et la montée des eaux mettant en danger l’existence même de leur territoire national.

Si Taïwan ne peut plus s’aligner sur la Chine en termes d’aides, de prêts et d’investissements, ceux-ci restent non négligeables et surtout le maintien des relations avec Taipei permet d’inclure le pays dans le réseau Indopacifique et AUKUS des alliances stratégiques. Les alliés diplomatiques de Taïwan dans le Pacifique peuvent bénéficier des liens étroits avec les États-Unis ou l’Australie : les îles Marshall et Palau bénéficient du soutien économique des États-Unis par le biais de ce que l’on appelle les « accords de libre association », et Tuvalu a signé l’année dernière un accord de grande envergure avec l’Australie.

Le voyage de Lai fait suite à l’approbation par les États-Unis du projet de vente à Taïwan de pièces détachées pour les F-16 et les systèmes radar, ainsi que d’équipements de communication, pour un montant total de 385 millions de $. Le ministère de la Défense de Taïwan a déclaré qu’il s’attendait à ce que les ventes « prennent effet » d’ici un mois et que l’équipement aidera à maintenir l’état de préparation de la flotte de F-16 et à « construire une force de défense crédible ». En outre, le mois dernier, les États-Unis avaient annoncé une vente potentielle d’armes de 2 milliards de $ à Taïwan, comprenant la livraison pour la première fois d’un système de missile de défense aérienne avancé, testé au combat en Ukraine.

Suite à ce déplacement de Lai dans le Pacifique, Taipei a été mis en état d’alerte élevé en prévision d’un éventuel exercice militaire de l’Armée Populaire de Libération (APL) chinoise. S’exprimant le 27 novembre devant l’Assemblée législative, le ministre taïwanais des Affaires étrangères, Lin Chia-lung, a déclaré que le gouvernement « n’excluait pas cette possibilité » étant donné que Pékin a réagi de cette manière par le passé lorsque des présidents taïwanais se sont rendus à l’étranger. Il a appelé Pékin à s’abstenir de tout acte excessif qui pourrait porter atteinte à la paix et à la stabilité dans le détroit de Taiwan. Un vœu probablement pieux.

Par Jean-Yves Heurtebise

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