Le dernier haut cadre emporté par le vent de l’anti-corruption est Meng Hongwei (64 ans), vice-ministre de la Sécurité Publique. Fin 2016 pourtant, Meng recevait les lauriers de la presse chinoise après son élection au poste de Président d’Interpol, dont le siège se trouve à Lyon. Et en septembre 2017 se tenait à Pékin (pour la seconde fois dans l’histoire), la 86ème assemblée d’Interpol. Meng y siégeait aux côtés de Xi Jinping, qui prononça le discours d’ouverture—signe de l’importance de l’événement !
« Sic transit gloria mundi » : le 25 septembre à Pékin, à sa descente de l’avion de Paris, Meng était interpellé. Suivirent 14 jours de silence pesant, jusqu’au 7 octobre où fût annoncée la mise sous enquête de Meng par la Commission Nationale de Supervision (CNS). Sous la nouvelle loi, la CNS est pourtant tenue de prévenir la famille sous 24h en cas de détention (留置, liúzhì). Mais ce qui déclencha une réaction du gouvernement fut la conférence de presse donnée le même jour par son épouse Grace Meng dans un hôtel lyonnais, où elle dévoilait les détails du dernier contact avec son mari. Le 25 septembre, Meng lui adressait sur Whatsapp ces mots précipités, « attends mon appel ». Quatre minutes plus tard, s’affichait l’émoticône d’un couteau, signifiant qu’il s’estimait en danger – l’appel n’arriva jamais… Alerter ainsi les médias de la disparition de son mari, est un acte d’une audace inimaginable : en tel cas, la loi du silence prévaut, la famille craignant des représailles. Ainsi, Grace se mettait à l’abri, ainsi que ses enfants après avoir reçu des menaces téléphoniques. Cet appel au nom de « la justice pour son mari, et pour que ses concitoyens cessent d’être arrêtés », exprime une exaspération contre le régime que bien des Chinois partagent. Finalement, le 7 octobre, Interpol annonçait la démission de Meng.
Plusieurs signaux étaient annonciateurs de la chute de Meng Hongwei. Les 20 et 26 janvier, il avait déjà manqué deux importantes réunions à Pékin.
Le 23 février, Interpol avait annulé le mandat international contre Dolkun Isa, le Président du Congrès mondial ouïghour. Pékin qui le considéré comme un terroriste, exprimait alors son mécontentement. Meng n’en était peut-être pas responsable – le décideur, à Interpol, n’est pas le Président mais le secrétaire général, l’allemand Jürgen Stock.
En avril, Meng était exclu de la cellule dirigeante du Parti au ministère de la Sécurité Publique.
Cela dit, pour le pouvoir chinois, cette arrestation coûtera cher en terme d’image : après cet acte d’une légalité contestable, nombre d’experts prédisent que la Chine ne recevra plus de sitôt un poste international majeur, tel celui de Secrétaire Général à la FAO, à pourvoir d’ici février 2019, et où le régime s’apprêtait à présenter un candidat qui avait toutes ses chances.
Les observateurs notent toutefois que le régime semble avoir évalué toutes ses options, avant de conclure qu’il fallait arrêter Meng d’urgence. D’autres ajoutent que la décision n’a pu être prise qu’au sommet : par le Président Xi Jinping en personne.
Que lui reproche-t-on au juste ? Le communiqué du ministère de la Sécurité Publique reste vague : « corruption » et d’avoir « violé la loi ».
En 2015, dans le cadre de son coup de filet Skynet, la Chine confiait à Interpol une liste de 100 fugitifs, dont elle demandait le rapatriement. Si Meng était convaincu d’avoir reçu de l’argent en échange d’une protection accordée aux transfuges ayant détourné des milliards de $ de fonds, cela pourrait expliquer en grande partie ses ennuis présents.
Pour Jean-Philippe Béja, directeur de recherche Chine au CNRS, « la vraie cause serait plutôt à chercher dans l’éternelle lutte de factions politiques ». Selon Alex Payette, analyse canadien, le puissant ministère de la Sécurité Publique, dont Meng est vice-ministre depuis 2004, était occupé par des hommes de Jiang Zemin depuis 1990, un prédécesseur de Xi Jinping. Lors de sa nomination en 2017, le nouveau ministre Zhao Kezhi (un fidèle de Xi Jinping) se déclarait investi d’une mission pour « éradiquer l’influence pernicieuse de Zhou Yongkang au sein du ministère » (leader condamné à la prison à vie en 2014). Ecarter Meng, ce serait pour Xi un pas supplémentaire vers le démantèlement d’un fief qui lui résistait encore.
De plus, de source française, ces derniers mois, Meng Hongwei « passait de plus en plus de temps en France », à mesure que des nuages s’amoncelaient sur lui. Afin de prévenir une défection aux conséquences dommageables, Pékin pourrait avoir réussi à contraindre Meng à rentrer en Chine.
En outre, la mise à l’ombre de Meng, rappelle celle de Nur Bekri, patron de l’Agence Nationale de l’Energie, arrêté lui aussi à sa descente d’avion le 20 septembre, de retour de l’étranger. Nur est également sous allégation de corruption.
Par ailleurs, le 3 octobre, Fang Bingbing, l’égérie du cinéma chinois réapparaissait après presque quatre mois d’absence, assommée d’un redressement fiscal de plus de 110 millions d’euros. Depuis lors, tous les artistes se précipitent chez leur percepteur pour se mettre en règle avant le 31 décembre, l’ultime délai de grâce annoncé « avant le couperet ».
En tout cas, Xi Jinping tient sa promesse faite à son arrivée au pouvoir, de « frapper les tigres » (les hauts dirigeants) autant que les « mouches » (les petits). En 6 ans, plus d’1,5 million de cadres sont tombés sous cette campagne, dont des centaines de tigres.
Maintenant, alors que la Chine est engagée dans un bras de fer commercial avec les Etats-Unis dont nul ne peut prédire le résultat, Xi Jinping et son état-major apparaissent déstabilisés, obsédés par le besoin de se faire obéir par la peur. Le risque étant une diminution du capital de loyauté des cadres et des citoyens – une situation d’autant plus dangereuse, qu’elle interviendrait au moment de plus grande vulnérabilité du régime, celui où il en aurait le plus grand besoin.
1 Commentaire
severy
14 octobre 2018 à 13:44L’étau se resserre sur les profiteurs du régime pendant que les taux se resserrent dans la bourse des valeurs des compagnies chinoises.