Société : L’impossible retour aux berceaux

Jusqu’à janvier 2016 dans les villes chinoises, les parents déterminés à faire un second enfant, étaient sanctionnés d’amendes pouvant atteindre 100.000 ¥. Or à présent, non seulement leur droit à cet autre bébé est admis, mais ils voient apparaître et/ou se renforcer les incitations à procréer, comme 98 jours de congés maternité minimum pour la mère, et quelques semaines aux jeunes papas, dans 29 provinces sur 32. 

Tout a commencé, fin 2015, par l’abandon graduel du dogme d’un enfant par couple—le quota étant porté à deux. Cette politique de l’enfant unique que l’on abolissait après 40 ans, avait « épargné » au pays 400 millions de naissances. Elle disparaissait du fait des distorsions de plus en plus évidentes sur la pyramide des âges. 32 millions de garçons au bas mot ne trouveraient plus à se marier, faute de femmes pour les épouser – à cause de la préférence parentale pour les garçons et de la pratique de l’avortement sélectif.

Autre effet pervers : d’ici 2050, du fait du vieillissement de la population, tout jeune adulte aura quatre sexagénaires à charge, faute pour le pays d’avoir pu mettre en place d’ici là un régime de retraite universel.

Or, même après la fin de la règle de l’enfant unique, les autorités ont vite dû se rendre compte que le retour à une fécondité « normale » risquait de se faire attendre. Le fait est que l’enfant déjà en place revendique beaucoup d’énergie : les mères se disent trop « épuisées » pour recommencer. De plus, ces jeunes femmes émancipées accepteront de moins en moins de sacrifier bien-être et carrière à un deuxième enfant. D’autres facteurs négatifs sont l’insuffisance de la structure d’accueil : les hôpitaux n’ont pas le nombre de lits, pédiatres ou obstétriciens pour faire face à une « revanche des berceaux ».

Contrairement à l’Etat qui souhaite un rebond de fécondité, la société elle, veut privilégier une natalité « harmonieuse » : un enfant élevé dans de bonnes conditions, bien éduqué et en bonne santé. Cet idéal malthusien se reflète dans la démographie : en 2015, les naissances ont été de 320.000 cas inférieures à celles de 2014.

En 2009, Pékin calculait que la population active (16 à 60 ans) atteindrait son pic (990 millions) en 2016, pour baisser à 870 millions en 2050, date à laquelle les sexagénaires seraient 437 millions, un tiers du total.

En 2016, les projections ont changé : le pic sera atteint en 2029, avec une population maximale d’un 1,45 milliard. Sans l’abolition de la règle d’un enfant par couple, le pic aurait été atteint dès 2023, et durant ces six ans, le nouveau quota de deux enfants par couple aura permis les naissances de 50 millions d’enfants de plus.

Faible natalité et distorsions démographiques sont les plus marquées dans les régions ouvrières ou minières (Sichuan, Dongbei), industrialisées par Mao dans les années ‘50 pour raison idéologique, aujourd’hui trop souvent ruinées. Ces régions, qui ne parviennent pas à décoller, tentent désormais de relancer la natalité afin de s’assurer pour dans 20 ans un réservoir de main d’œuvre. Elles offrent aux jeunes parents des services diversifiés « à la carte », tels ces congés de maternité de 188 jours à Hainan, 180 jours au Fujian, 120 à Pékin. En congés de paternité, de même, les offres varient localement, entre quatre semaines au Gansu, au Yunnan et au Henan, les 25 jours affichés en Mongolie Intérieure, au Guangxi et au Ningxia, tandis qu’au bas de l’échelle, Tianjin et le Shandong ne proposent que sept jours.

D’autres incitatifs consistent en un suivi gratuit de la grossesse et de la médecine périnatale, et l’accès gratuit en école maternelle ou primaire.

La démarche la plus curieuse voire la plus amusante, est celle de la ville de Yichang (Hubei) : sur son site internet, la Commission du planning familial, organe du Parti, appelle les « jeunes camarades » à « besogner » pour avoir deux enfants, et les « vieux camarades » trop âgés pour concevoir, à « éduquer et sensibiliser leurs enfants (jeunes adultes, déjà en famille) à procréer » en présentant les « bienfaits d’une famille de deux enfants » et les « risques liés au fait de se limiter à un seul ». L’appel a été diffusé aux 4 millions d’habitants de la ville, à commencer par les membres du Parti et de la Ligue de la Jeunesse. Depuis 2005, Yichang s’était fait remarquer par son application stricte du planning à un seul enfant : son taux de fécondité est aujourd’hui inférieur à un enfant par femme, quasiment comme à Hong Kong, record mondial. Mais Hong Kong, à la pointe du progrès social, peut se le permettre en compensant par l’immigration. Yichang, moins riche et excentrée en Chine de l’intérieur, ne peut compter sur un tel appoint.

Toute cette gestion de la démographie chinoise révèle un conflit interne au Parti, dans la vision de la société future. Le pouvoir a longtemps atermoyé sur la fin de l’enfant unique par peur de se déjuger publiquement, de sacrifier une règle érigée au statut de dogme. De plus, au service du système officiaient 5 millions de cadres de la « police des berceaux » – le planning était un instrument maoïste de contrôle des masses, donc inviolable.

Pour gérer les distorsions dans la pyramide des âges, The Lancet, le prestigieux journal médical britannique, propose quelques moyens de bon sens : repousser l’âge de la retraite, beaucoup trop bas (55 ans pour les femmes, 60 chez les hommes), augmenter les pensions et encourager la pratique traditionnelle de trois générations sous un seul toit. Il n’évoque pas le moyen le plus évident, largement pratiqué en Europe : l’introduction d’allocations familiales. C’est sans doute parce que la Chine, à ce stade de son développement, n’a pas encore les moyens d’un tel soutien. Mais gageons qu’elle y viendra, dès que possible !

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