Economie : La Chine change de banque

Sur la conjoncture économique chinoise, il est habituel de voir s’affronter les économistes. Aujourd’hui toutefois, les divergences se polarisent à un point inhabituel :  L’étranger s’inquiète d’une reprise chinoise trop vitale, sans justification sur les fondamentaux et donc risquant de virer au crash. Mais la Chine des affaires elle, garde impavide son moral d’acier.

Premier inquiet : George Soros, co-propriétaire du groupe HNA, fronce les sourcils devant l’envolée de l’endettement du pays : 28.000 milliards de $ (autant que l’emprunt combiné des USA et du Japon) et 255% du PIB. Selon la formule de feu l’économiste Hyman Minsky, cela fait 107% de plus qu’en 2008. Les seuls consortia publics voient leur emprunt peser 171% du PIB de 2015, profitant des bas taux (1,1%) pour rééchelonner leurs dettes intérieures. Ici, se profile le spectre des firmes zombies qui dévorent les emprunts sans faire de profits. Elles pèseraient 10.000 milliards de $, et leur dette à risque, 1300 milliards de $.

Autre pessimiste, la BIS (Bank of International Settlement) calcule au 1er trimestre 2016 un ratio de dette à PIB de 30,1—presque 5 points de plus que 12 mois plus tôt. Mais pour ce haut lieu de la finance, tout dépassement d’un ratio de 10 fait entrer u-ne économie en zone de turbulences.

En face nonobstant, le marché fuse, surfant sur les bons chiffres de l’économie en août. La reprise est évidem-ment l’Etat – due à une décision politique de crédit, plus qu’au marché-même. Les consortia jouent la locomotive, ayant augmenté leurs investissements de 21,4%. Ceux de l’Etat se portent bien, à +12,7%. Lifté par le crédit à foison dans les banques, l’immobilier repart, +6,2% en valeur de 6,2% (succédant à + 1,2% en juillet), et surtout + 25,5% en superficie : un stock d’invendus semble avoir été bradé à prix cassés.

Du coup, les cours de l’acier et du charbon se sont raffermis, et des mines et aciéries promises à la fermeture, reprennent du service ! 

Conséquence, pour ce 3ème trimestre, la confiance des industriels, telle que relevée par la Banque Centrale, remonte (+1,2%à à 51,2%. Celle des banquiers suit (+2,8%) à 46,5%. Et les agences de notation qui prévoyaient début 2016 une hausse de PIB annuel de « 6,1% », révisent leur pronostic à 6,5% voire 6,7%.

Une autre raison de l’euphorie est la tendance des groupes profitant des taux effondrés, à rembourser leurs emprunts internationaux. Amorcé en 2014, le mouvement a causé une intense fuite des capitaux, obligeant la Banque Centrale à intervenir à plusieurs reprises. Mais suite au resserrement féroce du contrôle des changes, le niveau des réserves s’est stabilisé depuis janvier à 3200 milliards de $. Entretemps, leur sortie massive a permis aux groupes de réduire d’un tiers leur dette extérieure.

Détail curieux: porté sans doute par des considérations politiques (le climat incertain des relations Outre-Pacifique), l’Etat chinois fait exactement l’inverse, et rembourse en juillet au fisc américain 22 milliards de $ de bons du Trésor…

Une fois de plus les oubliés au festin sont les groupes privés qui, de janvier à août n’investissent que 2,1% de plus que 12 mois avant. Ceci, en dépit des offres du Conseil d’Etat d’ associer le privé à ses projets en PPP (partenariats privés-publics). L’appel du Président Xi Jinping à faire des provinces des « éponges à épargne » privée, fait long feu…

S’inquiétant de cette passivité, Pékin dépêche ses enquêteurs dans 18 des 31 provinces pour en comprendre la raison. Mais les capitalistes privés n’en font pas mystère : les pouvoirs provinciaux font grise mine à ces ri-vaux de « leurs » groupes publics, et les banques ne financent pas.

De leur côté, ces opérateurs privés connaissent bien la vulnérabilité du tissu industriel national en surcapacité chronique et aux profits aux abonnés absents. En moyenne, selon Société Générale, la marge de profit moyenne (tous secteurs confondus) a perdu un bon tiers cette année, à 7% : en cas de soucis, on risque le déficit ce que le privé (faute de pouvoir compter comme le groupe public sur un dépannage par l’Etat)  ne peut pas se permettre. Aussi préfère-il attendre  -ou bien, comme palliatif, investir à l’étranger : avec des majors comme Wanda, Huawei ou HNA, il rachète en 2015 pour 95,1 milliards de $ d’actifs extérieurs, sur les 145,6 réalisés par la nation…

Mais au fait, d’où vient cette capacité euphorique des consortia publics à investir, faisant foin de leur surendettement ? Simplement du feu vert du Conseil d’Etat central aux provinces fin 2015, pour convertir une partie de leurs dettes bancaires en obligations. Exemple tout récent (20 septembre), Sinosteel, qui doit aux banques 8 milliards d’€, reçoit un quota de conversion de 3,6 milliards d’€ en bons : il éponge autant de dettes, et reçoit autant d’argent frais des ménages, à taux d’intérêt plus faible, et garanti par l’Etat.

L’Etat-lui-même s’est lancé en une frénésie de dépenses, dépassant de 594 milliards de ¥ ses recettes et déstockant (chiffre FMI) +10,1% en août, quoique ses recettes n’aient progressé que de 1,7%. Pour la plupart des économistes, c’est inéluctable, l’objectif de déficit budgétaire du gouvernement, de 3% pour cette année, ne pourra pas être tenu.

Et c’est à ce niveau des subventions publiques, que se situe la surprise de l’année, le tournant. À maintes reprises le 1er ministre Li Keqiang avait promis ne pas répéter l’erreur de 2008-2009, les 600 milliards de $ offerts sur un plateau au secteur public, afflux d’argent sans conditions qui avait généré les surcapacités actuelles—un gaspillage massif.

Nonobstant, Li Keqiang a tenu parole : il n’y a pas eu de stimulus direct. En coulisse, l’Etat a changé de canal de distribution financier : sa manne ne va plus aux grandes banques commerciales mais aux banques politiques, CDB (China Development Bank), Ex-ImBank, ADBC (Agricultural Development Bank of China).

Ces trois sœurs ont reçu depuis janvier 509 milliards de $ (masse pantagruélique) en levées d’obligations et en argent frais. Elles vont ventiler ces fonds, mais cette fois les yeux ouverts, via des plans à thème, pluriannuels : en matériel ferro-viaire, épargne de l’ eau, environnement… 450 milliards de $ d’ici 2020 iront en modernisation agricole, pour renforcer la sécurité alimentaire, la coopération internationale et les semencières: tel le rachat par Chemchina du suisse Syngenta, 43 milliards de $.

De même, Pékin avance à l’Indonésie, peut-être à 30 ans, 75% des coûts de son TGV Jakarta-Bandung : à prix d’or, elle se fait plaisir, s’offrant la vitrine internationale de ses instruments de « nouvelles routes de la soie ». Or, une fois aux mains des bénéficiaires, ces fonds sont déposés dans les banques commerciales : dès lors disponibles pour des prêts à court terme : le résultat est que les grandes banques, contrairement à l’an dernier, croulent sous le crédit.

Par ce mécanisme, la tutelle bancaire CBRC peut ordonner aux grandes banques de verser en 2016 «au moins» 67 milliards de $ en équipements dans le Henan.

De même, dans le cadre d’un consortium, pour 7,3 milliards de $, CIC rachète le port de Melbourne, 2ème investissement étranger en Australie.

L’Etat finance (18 septembre) un plan de R&D en Chine du Nord, pour Pékin-Tianjin-Hebei la mégapole de 130 millions d’habitants : à Zhongguancun, Huairou, et Changping (Future City), doivent fleurir de nouvelles pépinières en recherche d’outils informatiques, nouveaux matériaux, biotechnologie et autres.

Dans ce changement de filières d’octroi de l’argent public, le but de l’Etat est de recentraliser la finance, et de mieux contrôler son usage. Ce faisant, Xi Jinping viole sa promesse de 2012 de « réduire l’emprise de l’Etat sur le marché » : l’observateur Fraser Howie commente qu’« une fois de plus, on voit l’Etat choisir les vainqueurs ».

Mais ceci lui permet de mieux supprimer les gaspillages, et mieux atteindre sa priorité absolue du moment : forcer une réduction ordonnée de la croissance, tout  en évitant les deux obstacles extrêmes de la « flambée-rebond » et de l’« atterrissage dur ».

À long terme, cette stratégie sera-t-elle payante, apportant à l’économie nationale des outils nouveaux pour une relance à long terme ? Réponse, d’ici deux à trois ans.

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