Petit Peuple : Dasheng (Chongqing) – Le baiser de la femme-araignée (2ème Partie)

Résumé de la 1ère partie : Huang Lan, épouse de You Jiang, chez sa belle-sœur Ping à Chongqing en quête d’un emploi , disparaît un 22 juin 2016, kidnappée…

Sur une affaire aussi choquante, la police de Chongqing réagit comme un éclair : après l’appel du mari, il ne fallut que trois-quarts d’heure à quatre limiers pour sonner à sa porte. En même temps, 6 autres arrivaient chez Ping.

Menés simultanément à chaque domicile, les interrogatoires du mari, des filles et de la belle-sœur durèrent plus de deux heures. Les inspecteurs se penchaient sur les moindres détails, les relations de la disparue, ses ennemis éventuels, ses habitudes, ses hobbies. À quoi rimait cette obsession d’un job en ville ? Leur curiosité n’avait pas de limites… Comment étaient-ils ensemble, elle et son mari –y avait-il entre eux une tension palpable ? À un certain stade, You Jiang eut la désagréable impression d’être suspect : par ses questions à brûle-pourpoint, l’inspecteur cherchait à le faire sortir de ses gonds, en un début d’aveu de culpabilité…

Pendant ce temps, d’autres agents tentaient d’appeler la disparue sur son téléphone—ce qui aurait permis de la géolocaliser. Mais l’appareil batterie probablement enlevée, ne répondait plus.

La nuit, le père et ses filles eurent plus de chance : le portable se remit à sonner —et l’on décrocha. Mais à chaque appel, la communication resta muette, ne transmettant qu’un souffle fluet qu’ils croyaient bien reconnaître. « Des larmes dans la voix » (苦苦哀求, kǔkǔ’āiqiú), père et filles suppliaient à tour de rôle les bandits de laisser Huang Lan rejoindre les siens.

Le lendemain matin, voyant que l’enquête piétinait, le quartier général de la police lança 19 agents de plus sur l’affaire. Pour espérer la retrouver avant que les pistes ne se refroidissent, et encore vivante, il fallait mettre tous les moyens en branle.

Grâce à la coopération de la compagnie téléphonique, ils épluchèrent les appels passés par Huang les jours et heures précédant sa disparition : ils furent le fil d’Ariane pour suivre son périple auprès des emplois où elle avait postulé.

Une autre équipe ratissa les quartiers du couple et de la belle-sœur. Les policiers faisaient du porte-à-porte, photos de Huang en main, mais aussi protégés par des gilets pare-balles et ayant libéré le baudrier du revolver, prêts à réagir en cas d’agression d’un ravisseur dos au mur et déterminé à défendre sa peau.

Après 30 heures, ce travail de taupe finit par porter ses fruits – nouvelle piste. Les agents étaient tombés en arrêt sur le nom de Chen, l’ex-mari de Ping, qui justement habitait Changshou, la zone dénoncée par Huang au téléphone comme celle où elle était prisonnière. Son employeur, une compagnie minière privée, annonçait son absence depuis 8 jours, pour maladie… On fonça donc chez lui, fruste logis. En vain, on avait sonné, avant de forcer l’huis, sans trouver âme qui vive – chou blanc, une fois encore !

Huang aurait pu être serrée dans une des galeries abandonnées de la mine – accompagnés de chiens humeurs, les agents descendirent dans les souterrains. Toujours sans succès…

Cependant, retournant vers la ville, quelle ne fut leur surprise de rencontrer dans la rue la disparue, fraîche et pimpante, qui leur faisait un signe joyeux— sa disparition prenait fin !

Effrontément, Huang fit mine de s’émerveiller de l’agitation autour d’ elle. Quel était le problème ? Elle ne cherchait qu’à rentrer à la maison !

Cachant mal l’exaspération, le lieutenant entama avec elle un interrogatoire courtois, mais ferme. Vite, il constata que tout avait été simulé : Huang Lan avait bidonné son enlèvement !

Quand elle était partie chez sa belle-sœur pour chercher du travail, elle était sincère, mais avait lourdement sous-estimé la difficulté. Dix jours lui avaient suffi pour perdre tout espoir, et se persuader que l’emploi qu’elle visait n’existait pas. Tous les recruteurs, à peine poliment et beaucoup trop vite, lui avaient signifié qu’elle ne faisait pas l’affaire.

Le matin du 22 juin, en sortant de chez Ping, elle lui avait évoqué une série d’entretiens purement imaginaires – elle ne cherchait plus qu’à sauver la face.

Mais comment retourner chez elle ? Pour gagner du temps, elle avait simulé ce faux kidnapping. Elle s’était réfugiée chez Chen, sans rien lui dire de ses ennuis, ni de ce qu’elle tramait. L’ex-beau-frère l’avait acceptée chez lui sans la moindre question.

Quand elle avait appelé son mari, un linge sur le combiné pour maquiller sa voix, elle avait goûté avec délice son angoisse, la peur de la perdre. Cet amour la revalorisait. Dès lors, elle tenait le scénario romantique de son retour au bercail : toute cette aventure n’était qu’un jeu de piste sur une carte du tendre. Mari et filles, police et famille marcheraient ensemble, pas à pas vers sa cachette. Différentes étapes se succéderaient, convergeant vers le cœur de la toile dont elle était l’araignée, et dont elle secrétait le fil…

Quoique émouvant, ce récit, loin d’obtenir l’effet escompté, fit monter chez l’officier la moutarde au nez. L’élite de la police criminelle chinoise avait d’autres choses affaires que de se faire mener en bateau par une femme en crise existentielle. En vertu des pouvoirs qui lui étaient conférés, il adjugea à l’affabulatrice 10 jours de prison ferme, histoire de lui apprendre qu’en République populaire, on ne badine pas avec les forces de la loi !

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