Société : Des milliards de yuans contre des millions de bébés ?

Des milliards de yuans contre des millions de bébés ?

C’est en somme la proposition que le célèbre économiste Ren Zeping (任泽平) a formulé sur les réseaux sociaux le 8 janvier : « si la Banque Centrale imprimait 2000 milliards de yuans supplémentaires (soit 2% à 3% du PIB) et les injectait dans ‘un fonds pour la fertilité’ , cela générerait 50 millions de naissances de plus durant la prochaine décennie ».

D’après l’ancien conseiller auprès du groupe Evergrande, qui s’est fait connaître du grand public pour avoir prédit le crash boursier de 2015, il faudrait procéder au plus vite afin que les femmes nées entre 1975 et 1985, « qui sont convaincues qu’avoir plus d’enfants est une bénédiction », puissent encore en bénéficier.

Cette préconisation fait écho à celle formulée par Liang Jianzhang (梁建章), fondateur de l’agence de voyages en ligne Ctrip.com et professeur d’économie à l’Université Beida (Pékin), qui propose de mettre à profit 5000 milliards de yuans des recettes fiscales pour mettre en place une politique nataliste (subventions à l’achat d’un appartement pour les couples avec plus de deux enfants, construction de crèches et jardins d’enfants…). Six mois plus tôt, il avait recommandé d’offrir aux parents 1 million de yuans en allocations et exemptions fiscales pour chaque nouveau-né.

Ces suggestions interviennent alors que les jeunes Chinois sont de plus en plus réticents à l’idée de se marier et de faire des enfants, par refus de céder aux pressions de la société et par manque de perspectives d’évolution sociale.

En 2020, le nombre de naissances est tombé à un niveau historiquement bas (12 millions, soit une chute de 18%) tandis que certaines provinces ont enregistré des baisses de près de 25%. Pour 2021, 10,62 millions de naissances ont été recensées et pour un taux de fécondité de 1,1 enfant par femme contre 1,3 en 2020. [En France, il est de 1,85. Au Japon, de 1,36].

Inquiet que cette natalité en berne mette en péril ses plans pour devenir la première puissance mondiale, le gouvernement chinois cherche à tout prix à relancer la natalité, mais les mesures prises jusqu’à présent (assouplissement du planning familial à trois enfants, allongement du congé maternité, encadrement strict de l’industrie des cours particuliers…) ont laissé les couples dubitatifs.

Étrangement, les propositions de Ren Zeping et de Liang Jianzhang n’ont pas suscité beaucoup plus d’enthousiasme de la part du public. Médias d’État, économistes et internautes ont qualifié leurs suggestions de « simplistes », « irréalisables », voire « inflationnistes ».

 « Lorsqu’il n’y a pas assez d’argent pour élever des enfants, il suffit d’en imprimer davantage ! Quelle brillante idée », ironise un utilisateur de Weibo. « Les directives changent constamment. Aujourd’hui, les autorités font des promesses pour augmenter les naissances, mais le lendemain, ils reviennent sur leurs engagements. Mais une fois que le bébé est né, je ne peux pas le renvoyer », souligne un autre.

Pour Yi Fuxian, démographe à l’université de Wisconsin-Madison, convaincu que la population chinoise est significativement surévaluée, « il est médicalement déraisonnable de compter sur les femmes de 40 à 50 ans pour stimuler les naissances ». C’est également l’avis de cet internaute : « Après n’avoir pas réussi à convaincre les jeunes nés après 1990 d’avoir un enfant, vous voulez inciter ceux nés dans les années 70 à en avoir un deuxième ou un troisième ? Savez-vous combien il est risqué de donner naissance pour une femme de 47 ans » ?

Enfin, pour certains internautes, la décroissance de la population chinoise n’est pas une si mauvaise nouvelle. « Moins de population signifie moins de compétition : c’est la meilleure manière d’interrompre ‘l’involution’ [un terme qui désigne une société qui devient excessivement concurrentielle en raison de ressources limitées, phénomène qui pousse les jeunes à ‘s’allonger’]. En restant sans enfant, je contribue à rendre le monde du travail plus équitable et respectable », écrit l’un d’entre eux.

Ce débat houleux révèle plusieurs choses. D’abord, le fait qu’il soit autorisé reflète une prise de conscience au sommet de l’État de la décélération rapide de la croissance de la population, mais aussi de la nécessité de l’enrayer au plus vite. Ce débat permet ensuite au gouvernement de jauger l’opinion publique – jusqu’à un certain point. En effet, cette prise de position a coûté à Ren Zeping son droit de publier des messages sur son compte Weibo et WeChat… Enfin, cela démontre que des incitations financières seront certes les bienvenues, mais ne suffiront pas à elles seules pour relancer la natalité. Trois décennies de politique de l’enfant unique ont laissé des traces dans les esprits, et la nouvelle génération ne compte plus faire passer les intérêts de la nation avant le leur.

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2 Commentaires
  1. severy

    A force de faire du parti des enfants des enfants du Parti, les enfants sont partis. Et pour le Parti, c’est mal parti.

  2. Nushi

    il va falloir moderniser les habitudes, les femmes ont des carrières, aller vivre dans la famille du mari pour devenir une servante n’est plus acceptable pour elles,,si elle se marient elle veulent un foyer pour elle son mari et peut être des enfants ..c’est ca la liberté

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