Petit Peuple : Lushan (Henan) – Miracle en musique (1ère partie)

Chaque « Chunjie » 春节, Nouvel An chinois, qui correspond à la seconde nouvelle lune après le solstice d’hiver, ouvre l’an astral lunaire et passe sous la protection de l’animal suivant, dans la série duodécimale du Zodiac chinois. Un animal plonge dans le néant, une autre en émerge, êtres totémiques dotés de personnalités et potentialités très diverses, les unes plus extraverties ou douées pour la joie, les autres plus impulsives ou renfermées. 

Mais toutes sont chargées en proportions égales de vertus et de défauts, ces derniers étant perçus (dans ce système moral chinois invariablement optimiste) comme des chances de travail sur soi pour s’améliorer. Les personnes les plus réceptives à l’année nouvelle, sont celles en « benmingnian » (本明年), nées sous son signe. Pour elles, le Chunjie marque une renaissance sous un nouveau cycle de 12 ans, et un faisceau d’énergies particulières (mais bienveillantes) va le baigner de lumière propice. 

A cette occasion, parcs et temples bouddhistes et taoïstes rivalisent d’efforts pour accueillir danseurs et acrobates, vendeurs de pâtes de fruits et de beignets, saltimbanques et animateurs de mille et une attractions au bénéfice des foules denses, qui circulent sans cesse et n’arrêtent jamais. On prie et on brûle des bâtons d’encens devant les autels. On fait, pour un an, le plein de traditions.

En 2011, la Grand Place de Lushan (Henan) réunissait un public de mélomanes et les meilleurs chanteurs lyriques du canton. Le public averti s’était déplacé pour Zheng Yurong, cantatrice du célèbre opéra « Héros de la dynastie Ming », assistée d’un petit orchestre – tambourin, flûte et « zhen » (cithare chinoise), avec un joueur de « erhu » (viole à deux cordes), également baryton, qui lui donnait la réplique dans les duos. Sur la trentaine finissante, en dépit de traits burinés et d’une tenue sans chichis (un pantalon noir un peu bouchonné, un blouson de cuir ayant vécu), Yurong laissait le parterre bouche bée, silencieux—sauf quelques uns qui, connaissant par cœur les morceaux de bravoure, suivaient à mi-voix la mélodie de la soprane. A chacun de ses silences savamment appuyés, le public se lâchait en enthousiastes « hao ! » (好!, bravo). 

D’émotion, certains aux yeux un peu trop brillants, s’essuyaient le visage du revers de main, sans façon. Manifestement dotée d’une mémoire prodigieuse, Yurong enchaînait sans hésiter arias et récitatifs composés il y a mille ans, passait sans accroc d’une scène à l’autre, de « la visite secrète de Sung » à « l’étrange affaire » ou à « la visite de Taibao », sans jamais lire sa partition. 

Au bout de quelques heures à vrai dire, son jeu prenait un air irréel, du fait de l’absence totale de gestuelle, chantant figée en statue hiératique au bord de l’estrade. Et à l’issue du concert, après les salutations sous les tonnerres de bravos, Yurong dut attendre qu’on vienne la prendre par le bras pour l’aider à se retirer, car notre chanteuse étoile était privée de la vue ! 

Parmi le public cependant, un jeune homme avait écouté avec peut-être plus d’émotion et d’émerveillement que d’autres. 

A peine la dernière note chantée, Yang Mingming se fraya un chemin dans la foule pour approcher la chanteuse. Lui aussi se faisait aider d’un compatissant spectateur, car comme elle, il était frappé de cécité. Arrivé devant elle, il lui expliqua qu’il était musicien comme elle, ténor d’opéra du Henan. Ce répertoire du jour, il le connaissait par cœur : il réclamait un bout d’audition avec elle, rien qu’un air, « certain », affirmait-il, qu’un seul duo suffirait à la convaincre de travailler avec lui. La demande était outrecuidante, mais il la prononça avec passion extrême, presque désespérée : « c’étaient les Dieux qui le voulaient », disait-il, leur volonté ne pouvait être entravée… Si forte était sa conviction, qu’il finit par la convaincre : les instrumentistes se remirent en place, et l’on reprit un duo, puis deux… Et les rares privilégiés à entendre ce second concert en restèrent émerveillés : les mêmes pièces jouées une heure plus tôt, apparaissaient à présent transfigurées sous le timbre magnifique du jeune homme. Cette fois, c’était clair, on entendait le duo d’or.

La nuit tombait : toute la troupe s’en alla dîner de concert. A table, Mingming et Yurong ne cessaient de se parler. Un nouvel ensemble était né !

Les mois qui suivirent, au cours de concerts quotidiens, la soprane et le ténor eurent bien des occasions de se conter leurs vies : toujours plus, ils durent s’émerveiller des troublantes similitudes dans leurs destins.

Aucun des deux n’était né avec une cuillère en argent dans la bouche. En fait, tous deux avaient connu la malchance, au point de risquer la mort de froid ou de faim. Mais l’un comme l’autre avait été sauvé au moment crucial : c’était comme si, au-dessus de leurs berceaux, un magicien maléfique luttait avec une bonne fée, qui déjouait une à une les malédictions de celui-ci. Et à présent, l’attraction quasi-magique qui les liait, était comme le proverbe  » 同病相怜 » (tóngbìng xiānglián). Ils s’étaient trouvés liés par le destin, pour se « soutenir l’un l’autre dans la même misère »…

Cependant, loin d’être entièrement due au seul hasard, la similitude de leur passé recèle un secret. Lequel ? 

Pour le découvrir, attendons le prochain numéro !

 » 同病相怜 » (tóngbìng xiānglián)

« Se soutenir l’un l’autre dans la même misère » 

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