Mi-janvier 2013, à quelques semaines du Chunjie, passage à l’année du Serpent, la Chine entière dépensait des fortunes en cadeaux et banquets. Madame Huang Juhong, 42 ans, les préparait d’une toute autre manière à Qidong (Jiangsu).
Sur le web, on trouve nombre de petites annonces postées par de jeunes hommes et demoiselles, proposant leur talent d’acteur, en l’échange de quelques milliers de yuans, afin de jouer les faux fiancés lors des retrouvailles familiales du Chunjie – service particulièrement appréciés des célibataires endurci(e)s ou des homosexuels pour ne pas à avoir à justifier leur choix de vie hors normes.
Mais Huang n’était point en quête d’un petit ami temporaire, mais plutôt d’une mère à louer. Pourtant on s’en doute, ni ses enfants, ni son mari n’avaient la moindre chance d’avaler une si grosse ficelle ! C’est que Huang avait un drame à rattraper. En 2009, âgée de 74 ans, sa mère sérieusement malade, avait été hospitalisée. Selon la coutume, c’est elle, la cadette, qui avait officié à son chevet pour la nourrir, la laver, la forçant à prendre les médicaments prescrits par les médecins. Mais elle était loin d’imaginer que cette piété filiale enverrait sa mère ad patres, rejoignant les centaines de milliers de décès annuels en Chine, par erreur médicale.
Cette disparition, Huang ne pouvait se la pardonner. Sa souffrance était double, par le sentiment rongeant de culpabilité, et par l’absence de l’être aimé – le trou dans l’eau qui jamais ne se referme… Son mari, directeur d’usine, avait tout essayé pour lui rendre le sourire. Mais rien n’y avait fait, ni les massages, ni les sorties, ni les cours de danse : elle restait inconsolable…
Qui avait eu l’idée de cette petite annonce ? En tout cas, c’était la dernière chance de Huang et ses critères étaient très précis : être née, comme sa propre mère, autour du 23 septembre 1934 ; ne pas avoir d’enfant (ou qu’il vive au loin) ; et être libre au Chunjie, du 9 au 15 février. En échange, la prime était belle : 10 000 ¥ (en une enveloppe rouge) et le billet d’avion jusqu’au Jiangsu.
Et c’est à ce moment qu’advint la divine surprise : à peine l’annonce passée, une centaine d’offres affluèrent. Raison sans doute prosaïque. En ce pays, des millions de vieilles dames survivent sans pension digne de ce nom. Et si une riche famille était prête à offrir une semaine nourrie logée, ambiance tendre, avec en prime, ce magot à la clé, et bien, à ce prix on n’aurait pas d’enfant et on serait née le jour-même demandé, sans faute, pour jouer la maman-ersatz d’une femme mûre !
Après dépouillement, c’est une certaine Tian Fengying originaire de Xi’an (Shaanxi) qui remporta le titre. Pour conclure l’affaire, dès le 30/01, Huang sautait avec sa belle-sœur dans le premier avion pour Xi’an, apportant la moitié du montant en arrhes et quelques jolis vêtements achetés à Shanghai, en cadeau. Au premier regard, Huang sut que son choix était le bon –les larmes aux yeux, elle avoua à la septuagénaire que « le destin les avait réunies » : Tian était le sosie de sa mère. Huang elle, était aux anges, voyant se dissiper sa hantise que l’autre revienne sur sa parole. Vinrent les vacances tant attendues.
Même si chez Huang, nul n’était dupe, tous jouèrent le jeu et accueillirent Tian avec tous les égards dus à la « fausse » matriarche du clan. Huang vécut ces jours sur un petit nuage, retrouvant enfin la douceur perdue, la chaleur dissipée, et se sentant pardonnée. Puis le rêve prit fin : le Chunjie passé, Tian dut repartir. La séparation fut digne. Huang jura de revenir la voir « dès qu’elle aurait le temps ». Car il est vrai que « de toutes les vertus, c’est la piété filiale qui prime » (百善孝为先, baishàn xiàowéixiān). C’est ainsi que Huang retrouva une mère pour le restant de ses jours (ou du moins, ceux de l’ancienne !)…
On ne peut taire ici les critiques accusant Huang de manquer de respect envers sa défunte, en se jetant dans les bras de la première inconnue qui lui ressemble. Mais à ce qui nous semble, ces esprits chagrins sont réfutés par la médecine antique, qui spécifie : « quand on a mal au foie, on mange du foie ». Alors, quand on souffre de la mère, on soigne par la mère ! Ce serait le seul remède utile, dicté par la nature, le bon sens et les anciens.
Cet article a été publié pour la première fois le 1er mars 2013 dans le Vent de la Chine – Numéro 8 (2013)
1 Commentaire
severy
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