Chinafrique : La Chine ambitionne-t-elle d’exporter son modèle politique en Afrique ?

La Chine ambitionne-t-elle d’exporter son modèle politique en Afrique ?

La nouvelle est presque passée inaperçue : mi-août, des officiels chinois et kenyans se rencontraient à Nairobi pour annoncer la traduction en swahili – langue parlée au Kenya, en Tanzanie, au Burundi, en Ouganda et à l’est de la République Démocratique du Congo –  du livre « La gouvernance de la Chine sous Xi Jinping », sorte de résumé de « la pensée de Xi Jinping ». 

Cet ouvrage, publié en quatre tomes jusque-là, a déjà été traduit en 37 langues dans 180 pays. Cette édition en swahili, elle, est la première en langue africaine et va permettre à ses 200 millions de locuteurs, de s’initier aux discours politiques du leader chinois et à son approche de la gouvernance.

Bien qu’il ne soit pas garanti que le livre soit autant lu et distribué que le petit livre rouge de Mao, devenu une sorte de référence révolutionnaire pour plusieurs mouvements de libération dans l’Afrique des indépendances, il est bon de s’interroger sur les motivations derrière cette traduction et sur la portée qu’elle pourrait avoir dans cette région.

Pendant des années, experts, observateurs et analystes de la Chine et des relations Chine-Afrique, ont scruté l’évolution de son engagement en Afrique. Jusqu’à présent, ce dernier était dicté par ses priorités économiques : investissements, prêts, financement et construction d’infrastructures, exploitation des ressources naturelles et quête de nouveaux marchés pour ses entreprises…

Ce pragmatisme lui a permis d’étendre sa présence autant dans les pays dits « non-démocratiques » comme le Zimbabwe ou l’Ouganda, que ceux dits « démocratiques », comme le Ghana ou l’Afrique du Sud.

Fidèle à sa doctrine de non-interférence dans les affaires intérieures des pays étrangers, elle s’est toujours tenue à l’écart des soubresauts politiques du continent africain. Une posture qui lui a permis de traverser les crises politiques et les régimes sans se faire d’ennemis.

Surtout, la Chine est parvenue à faire de ses partenaires commerciaux africains des alliés politiques sur la scène internationale, s’alignant quasi systématiquement sur les positions chinoises.

Avec le temps, la situation économique de la Chine a évolué, ses besoins et ses priorités ont changé. Pékin a alors accéléré son engagement sur des thématiques politiques auprès des partis au pouvoir en Afrique.

C’est ainsi qu’on a vu au cours des dernières années Pékin aborder les questions de développement, démocratie, droits de l’Homme, sécurité et bonne gouvernance dans plusieurs pays en Afrique. Ces questions, hier taboues, ne le sont plus pour la diplomatie chinoise en Afrique.

Au-delà du niveau institutionnel, le Parti communiste chinois (PCC) est devenu beaucoup plus présent sur le continent. Régulièrement, des délégués du PCC viennent à la rencontre de leurs « homologues » africains.

Le symbole fort de cet engagement est sans nulle doute, la « Mwalimu Julius Nyerere Leadership School » (cf photo), financée par le PCC et inaugurée en Tanzanie en 2022. Cette académie, fruit de la collaboration entre le PCC et les partis au pouvoir de six pays d’Afrique australe (la Tanzanie, le Mozambique, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Angola, est un centre de formation politiquedestinée à former les cadres de ces partis au pouvoir.

Ce qui pose la question suivante : la Chine ambitionne-t-elle d’exporter son modèle politique et son idéologie en Afrique ?

Cette inquiétude ne date pas d’hier. Plusieurs recherches ont été menées sur l’influence que pouvait avoir l’engagement économique de la Chine, sur le renforcement ou l’affaiblissement de la démocratie dans ledit pays. Mais c’était avant l’engagement accru de l’Empire du Milieu sur des thématiques politiques et la construction de ce centre de formation, qui ont rendu la question plus pressante.

Dans une récente enquête menée par Axios et Politiken, médias américain et danois, sur les enseignements dispensés par la Julius Nyerere School en Tanzanie, les auteurs concluent que la Chine serait bel et bien en train d’exporter l’autoritarisme en Afrique. Néanmoins, autant ils reconnaissent que la Chine fait la promotion de son modèle, autant ils s’accordent sur le fait que le succès est loin d’être garanti…

En effet, plusieurs partis africains peuvent être séduits par les résultats économiques et de développement que le modèle de gouvernance chinois a produit, mais ils sont également porteurs d’aspirations de démocratie et de liberté. Le modèle des partis uniques, l’Afrique l’a déjà connu et n’en garde pas de bons souvenirs…

Depuis des années maintenant, de plus en plus de voix africaines se lèvent pour réclamer l’émergence d’un modèle politique africain authentique, le modèle démocratique occidental ayant échoué en créant crise politique et instabilité.

C’est dans cette brèche que la Chine pourrait s’immiscer, en clamant que le modèle démocratique n’est pas universel : selon elle, il est propre et particulier à l’histoire et à l’évolution de chaque pays et ne saurait donc être imposé. Un discours qui pourrait faire mouche.

En somme, s’il y a une crainte à avoir, ce n’est pas tant de voir la Chine parvenir à exporter son modèle en Afrique, mais plutôt de la voir encourager le rejet du modèle démocratique occidental sur le continent.

Si elle y parvient, elle aura déjà atteint son premier objectif, qui est d’annihiler toute hostilité future à son égard en Afrique. L’idéal étant de parvenir à créer une coalition de pays partageant une vision similaire de la gouvernance et qui, à défaut de la soutenir, ne l’attaqueront pas sur la scène internationale.

Par Géraud Neema Byamungu

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1 Commentaire
  1. severy

    Pauvres Africains! À peine se sont-ils tirés des griffes des empires coloniaux occidentaux, les voici qui tombent sous le charme du miroir aux alouettes d’une puissance néo-coloniale tout aussi implacable. Le grand perdant sera le peuple, victime à la fois du capitalisme impérialiste chinois et des cliques autoritaires ou franchement dictatoriales qui exercent un pouvoir sans partage et se complaisent dans une corruption largement entretenue par le régime de Pékin.

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