Finance : Wu Xiaohui, la chute d’un prince rouge

L’arrestation de Wu Xiaohui le 13 juin, fit l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel financier chinois.

Milliardaire de 50 ans, Wu ne connaissait hier que le succès. Époux d’une petite-fille de Deng Xiaoping, intime de Chen Xiaolu (fils du maréchal Chen Yi, un des pères fondateurs du régime), il était intouchable. Par suite, son enrichissement fut météoritique. Anbang, sa firme d’assurances fondée en 2007, comptait 323 milliards de $ d’actifs en décembre 2016, tel le Waldorf Astoria à New York, racheté pour 1,95 milliard de $ en 2014. En 2016, Wu voulait co-investir dans la tour de bureaux de Jared Kushner, gendre de Donald Trump. Mais qu’est-ce qui fit trébucher un homme si puissant ?

La réponse est claire : suite à l’arrestation le 30 janvier à Hong Kong de Xiao Jianhua, autre prince de la finance rouge, (qui s’apparentait en fait plutôt à un kidnapping), Xiao fut rapatrié en Chine et aurait collaboré sans se faire prier avec l’armada d’inspecteurs détachée auprès de lui. Ses révélations sur la dérive des banques, assurances et les magnats auraient effaré Xi Jinping, le décidant à faire le ménage.

A son tour, le 9 avril, Xiang Junbo, président de la CIRC (patron de la tutelle des assurances) était placé sous enquête, soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin en échange de licences d’assurances privées—comme celle d’Anbang. Ce même mois, ordre était donné à tout groupe bancaire de cesser de commercialiser les assurances-vie d’Anbang, une activité qui lui apportait 17 milliards de $ (88% des ventes) en 2016.

Le 25 avril se réunissait le Bureau Politique sur la sécurité financière : une réunion sans experts extérieurs  (c’était fort inhabituel), mais ayant convoqué les patrons des tutelles de la banque, de l’assurance et de la bourse, sans doute pour s’expliquer. Suivait en mai l’arrestation du n°2 à la CBRC, Yang Jiacai et l’interdiction pour trois mois aux assurances de tout  lancement de nouveaux produits financiers. Dans le collimateur, Anbang se voyait reprocher la vente de produits financiers à risque, pour drainer l’épargne et amasser rapidement des actifs à l’étranger et en Chine—une assurance en Belgique, une chaine hôtelière aux USA, ou Vanke, n°2 chinois de l’immobilier. Toutes ces tentatives, d’ailleurs, n’ont pas toujours abouti.

En mai, Hu Shuli, proche du régime et rédactrice en chef de Caixin, la revue financière bien informée, accusait en ses colonnes Wu Xiaohui d’irrégularités : trop d’achats de qualité douteuse, pas assez de transparence.

En juin, un prêt par la banque privée Minsheng, de « 100 milliards de yuans » aurait précipité l’arrestation de Wu : comme si la baisse de ses rentrées d’argent avait fait sortir le loup du bois, l’étape attendue du régime, qui lui donnait le signal pour frapper. Minsheng confirme le prêt, mais l’évalue à seulement 100 millions de $.

Comme on le voit, les raisons de cibler Wu Xiaohui ne manquent pas : fuites de capitaux et gestion à risque de ce secteur de l’assurance qui est sensible pour la stabilité financière du pays. Wu serait aussi accusé d’un rôle dans le crash boursier de décembre 2015, par ce jeu de ventes de produits « toxiques » ayant semé la panique parmi les porteurs.

Une dernière raison est avancée : selon un expert du secteur, la corruption dans les groupes financiers, désormais très surveillée sur le territoire, s’est simplement redéployée hors frontières, parfois dans le cadre des projets des « routes de la soie ». Les énormes montants dépensés permettent l’octroi en toute impunité de rétrocommissions. Or, avec sa frénésie d’achats hors frontières (60% des actifs du groupe), Wu Xiaohui avait tout loisir de pratiquer ce type de délit.

Cependant après la mise à l’ombre de l’homme d’affaires, le scandale soulève de sérieux risques. Wu Xiaohui, avec Xiao Jianhua, son délateur et alter ego, pèsent des centaines de milliards de $, chacun à la tête d’un empire diversifié. Peut-on démanteler ces pieuvres, sans les disloquer, au risque de destructions massives d’emplois et de fermetures ? En outre, Wu et Xiao avaient fait fortune, avec le soutien des plus puissantes familles du régime : accepteront-elles de lâcher ces alliés, sans dommage pour l’assise politique du Président Xi Jinping ? À quatre mois du XIXe Congrès, rien n’est pas garanti.

On note que ces financiers et hauts cadres qui chutent, avaient été épargnés depuis le début de la campagne anticorruption en 2012, sous la férule de Wang Qishan, le bras droit de Xi. La mansuétude de Wang pouvait s’expliquer par ses relations tissées au fil des décennies avec ces princes de la finance – lui-même étant un ancien banquier. Lors du Congrès d’octobre, Wang selon la rumeur, devrait reprendre la charge du 1er ministre Li Keqiang lors du prochain quinquennat (2017-2022). On est en droit de se demander si ce scénario reste plausible – et quel pourrait être le rôle de Li dans cette nouvelle phase d’arrestations qui a pour effet tangible d’affaiblir son adversaire.

Il faut d’ailleurs ici mentionner un troisième nom de financier célèbre, Guo Wengui, réfugié à New York (recherché pour corruption), et qui se répand outre Pacifique en révélations embarrassantes sur toute la finance chinoise – sur le groupe HNA, sur neuf constructeurs immobiliers, dont le groupe Soho…

Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque Populaire de Chine, sur le départ, faisait le 20 juin son chant du cygne sur l’endettement élevé de la finance chinoise, sa faiblesse capitalistique, ses prêts à risque. Toutes ces « mauvaises habitudes » selon lui procèdent d’une source unique : le protectionnisme d’Etat contre la concurrence étrangère. En effet, les liens incestueux de la finance avec les grandes familles, lui permettent de proroger indéfiniment cette sclérosante « Grande Muraille d’argent ».

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