Le Vent de la Chine Numéro 24 (2017)

du 25 juin au 1 juillet 2017

Editorial : Avant la trêve estivale…

Patiemment, de main de fer, le 1er Secrétaire Xi Jinping prépare son XIXe Congrès d’octobre. D’ici là, se tiendra cet été, à huis clos, le conclave balnéaire de Beidaihe, où 60 à 70 édiles de la nation parachèveront les nominations du prochain quinquennat et la fixation de la ligne politique future. 
En signe de renforcement de son autorité, Xi présidait le 18 juin sa dernière création, la Commission Centrale d’intégration des industries militaires et civiles, destinée à assurer un flux constant de systèmes d’armement pour les branches air, terre, mer et balistiques de l’Armée Populaire de Libération. En plus du titre de « cœur » du Parti qu’il s’est fait attribué en 2016, Xi préside une douzaine de comités, groupes moteurs et commissions centrales, dont les attributions ont été reprises aux groupes de travail du Secrétariat du Comité Central. Toutes ces entités récentes ont été mises aux mains d’hommes de confiance, assurant à Xi les rênes du pouvoir.
En gestation depuis plus d’un an, un autre  organe devrait devenir la clé de voûte du système Xi Jinping : la super agence anticorruption, conçue pour mailler le territoire, en associant les expertises de la CCID (police interne du Parti) et des limiers financiers de la Sécurité publique. Mais bien des questions restent sans réponse. Qui dirigera l’agence ? Wang Qishan, à la tête de la CCID ? Mais n’est-il pas déjà pressenti pour reprendre le poste du Premier ministre Li Keqiang ? Quelle seront ses attributions ? Pourra-t-elle arrêter les suspects sans en référer à un juge, les destituer, les exproprier sans procès ni avocat ? Cette question importe à grand nombre de membres du Parti, surtout à l’heure où les plus puissants capitalistes du pays, au sommet de la classe du pouvoir, tombent comme feuilles mortes. Selon des rumeurs, Xi et Wang, par jeu de limogeage et de promotions, s’efforcent de renforcer leur emprise sur la Sécurité Publique—qui s’est largement affranchie du pouvoir depuis 2008. 

Autre question qui interpelle : qui présidera la CIRC (la Commission de surveillance des Assurances), décapitée en avril après la mise en examen de son président Xiang Junbo ? Selon un  expert, cette vacance qui s’éternise suggère une défiance généralisée envers la structure organisatrice, la gouvernance-même de la finance en Chine. Une refonte de la CIRC et des deux autres tutelles financières CSRC (bourse) et CBRC (banques) est inévitable. Mais dans quel sens ? Nul n’a aujourd’hui d’indices, sur le type de réforme que décidera le chef de l’Etat.

Le 15 juin, date de la visite pékinoise de Gianni Infantino, le nouveau président de la FIFA (cf photo), coïncida avec les premières semaines du blocus aérien et maritime du Qatar par une coalition d’Etats menée par l’Arabie Saoudite. Il fut reçu en grande pompe par Xi, qui lui fit part une fois de plus du désir ardent de la nation d’héberger un jour la Coupe du Monde de football. Mais à quelle échéance ? Le plus tôt, selon la règle, serait 2030 ou 2034, l’édition de 2022 étant déjà confiée au Qatar (classé dans le continent asiatique), et la suivante en 2026, devant obligatoirement se tenir hors d’Asie. Mais… suite à la défection des traditionnels sponsors euro-américains, échaudés par la corruption du précédent président Sepp Blatter, la FIFA dépend d’autant plus du sponsoring de groupes chinois (tels Wanda, Hisense, Alibaba ou Vivo). La Chine dispose de 20 stades de plus de 50.000 places, et autant d’argent nécessaire pour remplacer un Qatar au pied levé, ce dernier dût-il voir son blocus s’éterniser en mois ou en années.
On ne sait pas ce qu’a dit Xi à Infantino, mis à part cette phrase ailée : « le vrai sens du football n’est pas dans la seule compétition, mais dans la culture du patriotisme populaire et l’esprit collectif de lutte ». Deux faits manifestes : 
– récupérer la Coupe de 2022 avant octobre, serait pour Xi un coup d’éclat—manière favorable d’aborder le XIXe Congrès en position de force ;
– Xi Jinping se tient prêt ! 


Finance : Wu Xiaohui, la chute d’un prince rouge

L’arrestation de Wu Xiaohui le 13 juin, fit l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel financier chinois.

Milliardaire de 50 ans, Wu ne connaissait hier que le succès. Époux d’une petite-fille de Deng Xiaoping, intime de Chen Xiaolu (fils du maréchal Chen Yi, un des pères fondateurs du régime), il était intouchable. Par suite, son enrichissement fut météoritique. Anbang, sa firme d’assurances fondée en 2007, comptait 323 milliards de $ d’actifs en décembre 2016, tel le Waldorf Astoria à New York, racheté pour 1,95 milliard de $ en 2014. En 2016, Wu voulait co-investir dans la tour de bureaux de Jared Kushner, gendre de Donald Trump. Mais qu’est-ce qui fit trébucher un homme si puissant ?

La réponse est claire : suite à l’arrestation le 30 janvier à Hong Kong de Xiao Jianhua, autre prince de la finance rouge, (qui s’apparentait en fait plutôt à un kidnapping), Xiao fut rapatrié en Chine et aurait collaboré sans se faire prier avec l’armada d’inspecteurs détachée auprès de lui. Ses révélations sur la dérive des banques, assurances et les magnats auraient effaré Xi Jinping, le décidant à faire le ménage.

A son tour, le 9 avril, Xiang Junbo, président de la CIRC (patron de la tutelle des assurances) était placé sous enquête, soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin en échange de licences d’assurances privées—comme celle d’Anbang. Ce même mois, ordre était donné à tout groupe bancaire de cesser de commercialiser les assurances-vie d’Anbang, une activité qui lui apportait 17 milliards de $ (88% des ventes) en 2016.

Le 25 avril se réunissait le Bureau Politique sur la sécurité financière : une réunion sans experts extérieurs  (c’était fort inhabituel), mais ayant convoqué les patrons des tutelles de la banque, de l’assurance et de la bourse, sans doute pour s’expliquer. Suivait en mai l’arrestation du n°2 à la CBRC, Yang Jiacai et l’interdiction pour trois mois aux assurances de tout  lancement de nouveaux produits financiers. Dans le collimateur, Anbang se voyait reprocher la vente de produits financiers à risque, pour drainer l’épargne et amasser rapidement des actifs à l’étranger et en Chine—une assurance en Belgique, une chaine hôtelière aux USA, ou Vanke, n°2 chinois de l’immobilier. Toutes ces tentatives, d’ailleurs, n’ont pas toujours abouti.

En mai, Hu Shuli, proche du régime et rédactrice en chef de Caixin, la revue financière bien informée, accusait en ses colonnes Wu Xiaohui d’irrégularités : trop d’achats de qualité douteuse, pas assez de transparence.

En juin, un prêt par la banque privée Minsheng, de « 100 milliards de yuans » aurait précipité l’arrestation de Wu : comme si la baisse de ses rentrées d’argent avait fait sortir le loup du bois, l’étape attendue du régime, qui lui donnait le signal pour frapper. Minsheng confirme le prêt, mais l’évalue à seulement 100 millions de $.

Comme on le voit, les raisons de cibler Wu Xiaohui ne manquent pas : fuites de capitaux et gestion à risque de ce secteur de l’assurance qui est sensible pour la stabilité financière du pays. Wu serait aussi accusé d’un rôle dans le crash boursier de décembre 2015, par ce jeu de ventes de produits « toxiques » ayant semé la panique parmi les porteurs.

Une dernière raison est avancée : selon un expert du secteur, la corruption dans les groupes financiers, désormais très surveillée sur le territoire, s’est simplement redéployée hors frontières, parfois dans le cadre des projets des « routes de la soie ». Les énormes montants dépensés permettent l’octroi en toute impunité de rétrocommissions. Or, avec sa frénésie d’achats hors frontières (60% des actifs du groupe), Wu Xiaohui avait tout loisir de pratiquer ce type de délit.

Cependant après la mise à l’ombre de l’homme d’affaires, le scandale soulève de sérieux risques. Wu Xiaohui, avec Xiao Jianhua, son délateur et alter ego, pèsent des centaines de milliards de $, chacun à la tête d’un empire diversifié. Peut-on démanteler ces pieuvres, sans les disloquer, au risque de destructions massives d’emplois et de fermetures ? En outre, Wu et Xiao avaient fait fortune, avec le soutien des plus puissantes familles du régime : accepteront-elles de lâcher ces alliés, sans dommage pour l’assise politique du Président Xi Jinping ? À quatre mois du XIXe Congrès, rien n’est pas garanti.

On note que ces financiers et hauts cadres qui chutent, avaient été épargnés depuis le début de la campagne anticorruption en 2012, sous la férule de Wang Qishan, le bras droit de Xi. La mansuétude de Wang pouvait s’expliquer par ses relations tissées au fil des décennies avec ces princes de la finance – lui-même étant un ancien banquier. Lors du Congrès d’octobre, Wang selon la rumeur, devrait reprendre la charge du 1er ministre Li Keqiang lors du prochain quinquennat (2017-2022). On est en droit de se demander si ce scénario reste plausible – et quel pourrait être le rôle de Li dans cette nouvelle phase d’arrestations qui a pour effet tangible d’affaiblir son adversaire.

Il faut d’ailleurs ici mentionner un troisième nom de financier célèbre, Guo Wengui, réfugié à New York (recherché pour corruption), et qui se répand outre Pacifique en révélations embarrassantes sur toute la finance chinoise – sur le groupe HNA, sur neuf constructeurs immobiliers, dont le groupe Soho…

Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque Populaire de Chine, sur le départ, faisait le 20 juin son chant du cygne sur l’endettement élevé de la finance chinoise, sa faiblesse capitalistique, ses prêts à risque. Toutes ces « mauvaises habitudes » selon lui procèdent d’une source unique : le protectionnisme d’Etat contre la concurrence étrangère. En effet, les liens incestueux de la finance avec les grandes familles, lui permettent de proroger indéfiniment cette sclérosante « Grande Muraille d’argent ».


Technologies & Internet : Le quantique chinois de l’univers

Un an après avoir lancé Mozi, le 1er satellite mondial à communication quantique, la Chine a réalisé le 16 juin, sa première transmission satellitaire de données vers les stations en sommet de montagne à Delinghua (Qinghai) et Lijiang (Yunnan), suivant une application physique de la théorie des quantum. En pratique, une paire de photons jumeaux intriqués a été émise du satellite, puis reçue simultanément par les deux stations.

Le principe est simple : un des photons est « gardé » sur place, l’autre envoyé. Or, du fait des lois de la physique quantique, ces deux particules lumineuses conservent les mêmes qualités et le même contenu quelles que soient la distance et durée du déplacement. Par contre, quelque tierce partie qui soit, tentant de mesurer ou de capter le message associé, causera sa destruction instantanée. Ce système est donc en théorie l’ersatz idéal de l’encryption actuellement pratiquée sur internet,  où émetteur et récepteur échangent d’abord une formule—un système à la merci des hackers et d’un décryptage par de superordinateurs.

Cette expérience annonce donc à l’avenir un internet inviolable, où le message ne peut plus être lu que par son destinataire. On n’en serait plus techniquement éloigné que d’une décennie, le temps de régler les problèmes de support (satellitaire et fibre optique) et de protocole. Un tel progrès a été rendu possible par le volontarisme de la Chine au tournant du siècle, démontrant une fois de plus la vivacité de son leadership, très conscient de l’enjeu mondial dans la recherche scientifique et l’avancée technique. En recherche quantique, Europe et Amérique mènent des recherches analogues, mais avec moins de moyens et de systématisme.

La prouesse technique est aussi à saluer : s’agissant d’une transmission optique, il a fallu la conduire de nuit, durant les cinq minutes de passage du satellite Mozi (qui se traduit par Micius, philosophe de l’ère des Royaumes combattants, 468-391 avant JC) au dessus des « cibles » des stations du Qinghai et du Yunnan. Il a aussi fallu produire dans l’espace les paires de photons liés par « intrication quantique », les émettre vers la Terre avec une précision d’un mètre de largeur (taille du récepteur optique), à bord d’un vaisseau se déplaçant à 8km/seconde. En raison des nuages, des poussières et autres perturbations atmosphériques, une seule paire de photons arriva à destination, sur les 6 à 10 millions de paires émises. Mais cela a suffi pour démontrer que les photons reçus étaient arrivés intacts, permettant la charge des crypto-circuits quantiques.

Mais l’expérience ne signifie pas encore, à elle seule, un système mature. Restent quelques obstacles techniques tel celui de la lecture optique. Pan Jianwei, 47 ans, responsable scientifique du projet, annonce qu’il est résolu – plusieurs nouvelles générations de satellites sont en gestation, bientôt en service pour permettre l’émission diurne. La transmission est également possible par fibre optique, mais pas sur courtes distances, qui ont pour effet de rendre floue l’image véhiculée. La transmission Pékin-Shanghai a été tentée en 2016, mais l’obligation de booster le signal tous les 100km, affaiblit la sécurité du système en offrant aux hackers une porte à chaque station de gonflage du signal. Ces contraintes ne posent pas de problèmes insolubles, mais empêchent l’utilisation à court-terme.

Pour la Chine, les avantages du système sont évidents, d’abord sur le plan de la défense qui assume probablement les coûts de développement de la filière. L’Armée Populaire de Libération veut « d’ici 2050 » rattraper la capacité offensive d’une US Army, voire prendre le contrôle de la quasi-entièreté de la mer de Chine du Sud. Un internet impénétrable serait pour elle un atout majeur.

Pour la finance aussi, un tel internet quantique serait très utile, dans la perspective du déploiement d’un réseau de service planétaire afin d’effectuer débits et crédits sécurisés sur les 5 continents sans risque de piratage des données privées. Un internet quantique accélérait et mondialiserait les paiements chinois WeChat et Alipay, et l’usage d’une monnaie digitale basée sur la « Blockchain », dont la Banque de Chine prépare la mise en circulation pour l’an prochain, parallèlement au Bitcoin.

Enfin, il est une chose que l’internet quantique chinois ne fera pas : assurer au pays un monopole technique, voire un internet coupé du monde par son support satellitaire. En effet, le fondement scientifique vient de l’étranger, et n’en est pas séparé. Pan Jianwei a préparé son doctorat sur l’internet quantique en langue allemande à l’université de Vienne, auprès de son directeur de thèse, Anton Zeilinger.

La prochaine étape, dans les semaines qui suivent, consistera à répliquer le test de transmission par ce même satellite Mozi, entre Pékin et Urumqi (Xinjiang), à 3200km d’éloignement. Puis l’expérience se poursuivra entre Pékin et Vienne à 7500km, avec l’équipe de Zeilinger. Zeilinger de son côté met la dernière main à Qapital, réseau de fibres optiques reliant aux quantums diverses capitales européennes dont Paris, Londres, Vienne et Bratislava.

Ainsi donc, comme dans les autres applications techniques et économiques liées à l’espace, la Chine a tendance à chercher l’alliance avec les puissances existantes. C’est autant pour économiser le temps et les fonds, que par respect pour l’univers, patrimoine commun de l’humanité.


Xinjiang : La langue de Lu Xun, vecteur d’intégration

Depuis 2004, la Chine pratique le bilinguisme scolaire au Xinjiang dans 78% des établissements—système qui en vérité privilégie le mandarin sur le ouïghour (cinq matières dans l’un, seulement une dans l’autre). Mais il « intéresse » le jeune ouighour au résultat, lui octroyant jusqu’à 50 points supplémentaires au Gaokao (Bac) et aux concours de cadres, pourvu qu’ils le présentent dans la langue de Lu Xun.

Au bout de 13 ans de cette politique, l’étude d’un chercheur allemand A. Zenz, sur le sujet, comporte son lot de surprises : cette discrimination positive a permis aux Ouighours d’obtenir de meilleures notes que les Hans, et suscité chez eux un report massif vers la langue chinoise. En 2006 au Xinjiang, 4,8% des candidats Ouighours admis au Gaokao l’étaient en section chinoise. Dix ans plus tard, ils étaient 23%. Certes, ils sont désormais plus nombreux à réussir—ils constituent 41% de la promotion totale (contre 24,7% seulement en 2006), mais ils se détournent progressivement de la langue de leurs aïeux. Même tendance dans les concours : parmi ceux admis au fonctionnariat en 2012, ils étaient encore 61% à se présenter en ouighour. Mais 4 ans après, 62% tentent le concours en mandarin, où les chances sont meilleures. Dans l’intervalle, les postes en ouighour ont fondu de moitié. 

Cette bascule vers le chinois semble irréversible – à tel point que  le 12 avril, le ministère de l’Education abolissait le système des bonus au Xinjiang : il n’était plus nécessaire. Encouragé par ce succès, Pékin s’apprête à présent à envoyer 10.000 maîtres Han de tout le pays, vers le Xinjiang et le Tibet. En renforçant la maîtrise du chinois, ils doivent apprendre à tous ces enfants de la mosaïque ethnique à se parler, et préparer leur accès au marché de l’emploi. Selon le ministère, ils doivent aussi, « protéger » ces petits encore trop influençables, de l’influence coranique. Une difficulté est de trouver des instituteurs prêts à partir pour ce terrain difficile, parfois hostile. Pour susciter les vocations, l’Etat compte sur le chômage élevé des jeunes diplômés, et un système de primes et d’avancement accéléré.

Le résultat social de l’effort massif d’intégration linguistique est contrasté, facile à dériver en polémique. Incontestablement, les Ouighours s’enrichissent, signant la fin de la vieille discrimination économique en faveur des Hans. Ils s’intègrent à la pompe chinoise à croissance. Mais c’est au prix du recul de leur langue natale, qui devient peu à peu, comme à Canton ou Shanghai, celle pratiquée à la maison. Au risque de susciter des rancœurs, pour des générations.


Architecture - Urbanisme : La fronde des petits propriétaires
La fronde des petits propriétaires

Shanghai et Pékin vivent un curieux conflit avec leurs résidents – voire les développeurs immobiliers. Les mairies veulent enrayer l’expansion des logements bâtis sur des surfaces commerciales ou de bureaux. Ces logements illégaux se vendent avec forte décote, affranchis des entraves habituelles (telles la preuve de paiement des taxes locales ou le permis de résidence), mais soumis à un « bail de propriété » plus court. Les acheteurs s’y logent le temps d’épargner assez pour s’offrir des surfaces plus larges et légales. Ces appartements peuvent aussi constituer un revenu locatif, ou permettre l’inscription de l’enfant à une bonne école du voisinage. Or depuis trois mois, tout le système est interdit.

Après avoir longtemps fermé les yeux, Shanghai s’inquiète. En effet, 12 millions de m² de terrains constructibles ont été cédés aux enchères en 12 mois, aux promoteurs, représentant potentiellement 240.000 appartements. En valeur, cela représentait 20% des ventes, mais aussi la moitié de l’offre résidentielle de l’année. Le problème est que ces résidences illégales exacerbent la spéculation, avec en avril des hausses moyennes de 15,4% sur 12 mois. Aussi la mairie de Shanghai a-t-elle entrepris en mars de forcer propriétaires et développeurs à détruire les cuisines et salles de bain de ces logements, et interdit aux acheteurs d’emménager et de revendre à des particuliers.
A Pékin, le demi-tour a été plus radical : les écoles riveraines ont été avisées de n’accepter que les enfants de foyers dotés de titres de propriété en règle. D’un trait de plume, dans les deux villes, des dizaines de milliers de logis déjà écoulés sont devenus invendables. 

La riposte des citadins n’a pas tardé : le 8 juin en plein centre de Shanghai, les 12 et 13 juin en banlieue de Pékin (Changping), les propriétaires ont manifesté avec banderoles, mégaphones et heurts parfois violents avec la police. A Shanghai, soucieuse de paix sociale, la mairie a fini par jeter l’éponge, le 14 juin, tolérant que les acheteurs emménagent – mais leur interdisant toujours de vendre, sauf à des commerciaux ou institutionnels. À Pékin, pour l’instant, la mairie ne bouge pas. Le demi-tour est perçu par l’économiste Zhu Ning comme une reculade : sans mise au pas de ces « logis de l’ombre », nulle chance d’éviter l’éclatement d’une bulle immobilière ! Shanghai et Pékin ne sont que la face visible de l’iceberg. Derrière, se cache le cas du parc « gris » déployé depuis 30 ans en bourgades et en milieu rural. Ces «petits propriétaires» se compteraient en centaines de millions. Pour l’Etat, tout  remettre à plat serait bien sûr tentant, mais n’aurait guère de chance d’advenir sans retour de flamme. Ce genre de considération paralyse les mégapoles, les contraignant à agir par à-coups prudents, sans rien régler sur le fond.


Petit Peuple : Xiangyang (Hubei)—Fan Yusu, battue, jamais vaincue (3ème Partie)

Résumé  : En 2001, à 28 ans, Fan Yusu, native du Hubei, est de retour avec ses fillettes à Pékin en désespoir de cause, après avoir quitté un mari violent, et avoir été reniée par sa famille. S’ouvre alors un nouveau chapitre de son existence…

En dépit du stress, de l’épuisement, tout n’était pas négatif pour Yusu —elle goûtait sa liberté existentielle retrouvée, sans personne pour la rabaisser à chaque fait et geste ! Après tout ce qu’elle avait enduré, tout ce qu’elle entreprenait ne pouvait plus que la grandir. De plus, il y avait ses filles, de six et deux ans, qu’il fallait mener vers l’âge adulte, leur donner plus de chances qu’elle n’en avait eue elle-même. C’était un fardeau et un devoir, mais loin de l’asservir, il l’anoblissait quelque part, comme le défi de sa vie. Il aiguisait son audace, lui donnait un humour, une force, une invincibilité.

De retour à Pékin, elle avait atterri à Picun, village coincé entre 5ème et 6ème périphérique, peuplé de 30.000 paumés comme elle, faute de pouvoir obtenir le permis de résidence de la capitale. Comme tous les « Piteux » ou « Pitiens », ces réprouvés de Pi, Yusu louait une chambre de 8m2 chez un paysan enrichi, l’ancien « président » de la commune. Elle travaillait (au noir) comme institutrice à l’école (sans licence). La paie de 1600 yuans par mois, était misérable, mais le job lui laissait du temps pour ses filles. Pour elles, elle faisait les marchés aux puces où elle achetait des vieux livres au kilo, qu’elle stockait pour le jour où elles sauraient lire. Elle en avait déjà amassé 500 kg. Elle s’était également inscrite au cercle littéraire de la « maison des travailleurs », où comme autrefois avec sa sœur, elle lisait des romans à voix haute, en discutait avec chacun.

En 2011, quand son aînée eut l’âge de travailler à 14 ans, et sa cadette fut assez grande pour se rendre seule l’école à 9 ans, Yusu put prendre un meilleur emploi : « ayi » (nourrice) chez un industriel classé dans la liste Hurun des plus grandes fortunes chinoises. Depuis belle lurette, le nabab avait envoyé son épouse et ses enfants au Canada, pour avoir le champ libre avec son amante de 25 ans sa cadette. Il avait eu d’elle un garçon de 6 ans, pourri gâté en tant qu’héritier de sa dynastie naissante. Ses journées, il les passait sur un campus international huppé qui l’éduquait en chinois et anglais. Pour l’emmener le matin à l’école et lui faire faire le soir ses devoirs, il avait son tuteur à domicile, diplômé de l’université Renmin. Accessoirement, il s’entraînait au Kung Fu sous la férule d’un moine de Shaolin (Henan), payé à prix d’or. La formation était dispensée en son gymnase privatif de 300m².

Yusu elle, était chargée de s’occuper du deuxième rejeton, une fillette de 3 mois qu’il fallait nourrir, changer, bercer… À plus de 6000 yuans par mois, le job était payé plus qu’honnêtement. Envers de la médaille : Yusu ne voyait ses filles que le samedi soir. A peine de retour à Picun, poches et valise pleines de cadeaux et victuailles, elle couvait ses petites, les faisait se raconter, les emmenait en promenade, et faisait avec elles le plein hebdomadaire de tendresse, de cours de lecture et de plats cuisinés, avant de se séparer le lundi à l’aube, le cœur gros. Les gamines passaient ainsi la semaine seules, avec pour unique soutien la voix de leur mère quelques minutes par téléphone, et la visite quotidienne de Ding et Li, autres petites migrantes qui venaient partager leur solitude.

Souvent, la petite dont Yusu avait la garde s’éveillait en pleurs– peut-être par manque d’une vraie maman, la sienne étant restée femme-objet. Avant d’aller calmer le nourrisson, elle devait d’abord sécher ses propres larmes…Yusu contenait un sentiment de révolte, pensant à ses propres filles également privées de mère…

Une nuit, elle vit la lumière dans le salon. C’était sa patronne, habillée d’une longue robe rouge, talons hauts, collier de perles, et maquillée pour dissimuler les premières ridules. Seule ou se croyant l’être, attendant son amant, elle avait quitté un instant son éternel sourire photogénique pour laisser flotter sur son visage ses vrais soucis : l’angoisse de vieillir, de cesser de plaire, d’-tre remplacée un jour…  Pour Yusu, cette vision fut une choquante révélation : cette femme était exploitée, tout comme elle, mais en pire. Esclave sexuelle, elle était comme les courtisanes du temps jadis, d’époque Tang ou Qing, prisonnière de leur luxe factice. « C’est ça, le socialisme ?», écrivit Yusu cette nuit-là, en un questionnement brûlant sur le sens de la vie.

Un jour enfin, en avril 2017, elle osa mettre en ligne, via la plateforme WeChat Noon-story, « Je suis Fan Yusu », le récit de sa vie en 7000 caractères. Elle guignait les petits sous promis à tout texte attirant plus de 1000 visiteurs . Elle qui avait toujours vécu dans l’échec, ne se faisait pas d’illusion sur ses chances de réussir.

Sa stupéfaction le lendemain n’en fut que plus grande, découvrant que l’essai avait été dévoré par 100.000 personnes. La semaine qui suivit, les premiers journalistes l’assiégeaient déjà. Affolée, elle quitta Picun pour trouver refuge dans un monastère, comptant sur les moines pour protéger son intimité. A sa porte, contrat en main, les éditeurs se pressaient, jouant des coudes avec les réalisateurs télé. Ses frères, bouches en cœur, demandaient aussi à la revoir, espérant tirer profit de sa soudaine notoriété. Elle découvrit ainsi l’ivresse, mais aussi le danger de la célébrité, et le besoin d’apprendre à la dompter.

Idole éphémère, Fan Yusu saura-t-elle accepter sa renaissance, « laisser paraître sa corne de licorne » (崭露头角 zhǎn lù tóu jiǎo, symbole du talent) ? C’est tout ce qu’on lui souhaite – elle n’en mérite pas moins !

 


Rendez-vous : Semaine du 26 juin au 2 juillet 2017
Semaine du 26 juin au 2 juillet 2017

27-29 juin, Shanghai : PCIM Asia, Salon international et Congrès sur l’électronique de puissance, la gestion de l’énergie et des énergies renouvelables

28-30 juin, Canton : China International Die-casting, foundry and Industrial Furnace Exhibition, Salon international de la fonderie, des moules et fours industriels

28-30 juin, Canton : China International Non-ferrous metals Exhibition, Salon international des métaux non ferreux

28-30 juin, Canton : China International Robotics Exhibition, Salon international de la robotique

28-30 juin, Canton : China International Tube & Pipe Industry, Salon international des tuyaux et tubes d’acier

28-30 juin, Canton : China International Metals & Metallurgy, Salon international de la métallurgie et des métaux

28-30 juin, Shanghai : MWC – Mobile World Congress, Salon international du GSM

28-30 juin, Tianjin : WIC2017 – World Intelligence Congress, 1ère Convention sur l’Intelligence artificielle

29 juin – 1er juillet, Qingdao, China International Textile Expo, Salon des textiles, du cuir et des équipements

29 juin – 2 juillet, Nankin : Asia Outdoor Trade Show, Salon des activités des loisirs de plein air

30 juin – 2 juillet, Pékin, Luxury China, Salon asiatique du luxe

30 juin – 1er juillet Hong Kong, 20ème anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine continentale