Editorial : La Chine redevient-elle une destination touristique ?

La Chine redevient-elle une destination touristique ?

De Pékin à Shanghai, en passant par Chongqing ou le Yunnan, une chose saute aux yeux : le retour des touristes étrangers, une espèce en voie de disparition en Chine depuis la pandémie de Covid-19. Il aura fallu l’abolition de la politique « zéro-Covid » fin 2022 et une série de mesures ambitieuses, dont l’exemption de visa de courte durée pour plusieurs dizaines de pays et une baisse du seuil de détaxe, pour que la Chine redevienne une destination touristique attractive.

Tout débute en décembre 2023, lorsque la Chine introduit une mesure expérimentale d’exemption de visa d’une durée de 15 jours pour les voyageurs de 6 pays, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne – sans réclamer de réciprocité. A l’époque, cette annonce avait été interprétée comme un geste de bonne volonté de la part de Pékin à destination des pays européens avec lesquels les relations s’étaient sensiblement dégradées durant la pandémie.

Depuis, cette politique a largement dépassé le stade expérimental pour couvrir 47 pays : leurs ressortissants peuvent désormais visiter l’Empire du Milieu pendant 30 jours sans visa (liste complète en cliquant ici). Derniers bénéficiaires en date : le Brésil, l’Argentine, le Pérou, le Chili, l’Uruguay ou encore l’Arabie Saoudite, Oman et le Koweït.

Les pays qui entretiennent des relations tendues avec la Chine ou qui ont connu des disputes avec Pékin dans le passé, n’ont pas été aussi gâtés. Ainsi, les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la République Tchèque, la Lituanie et la Suède doivent se contenter d’un visa de transit de 10 jours, tout comme l’Ukraine et la Russie. Les pays africains, eux, restent exclus de la liste, malgré la volonté affichée de rapprochement avec le continent.

Il n’empêche, l’initiative « visa free » de Pékin a rencontré un franc succès : l’an passé, 26,9 millions de voyageurs étrangers sont entrés sur le territoire chinois, presque le double de 2023, dont 62 % sans visa. Un résultat encourageant, mais qui reste tout de même en-dessous du niveau de 2019, année durant laquelle l’Empire du Milieu recevait 31,9 millions de visiteurs étrangers munis d’un visa. Les acteurs du secteur restent toutefois optimistes pour 2025. « Notre tourisme entrant a déjà retrouvé 70 à 80 % de son niveau d’avant la pandémie. Il pourrait revenir à 100 % cette année », aurait déclaré Liang Jianzhang (James), cofondateur de la plateforme de réservation de voyages en ligne Trip.com, au média shanghaien The Paper.

Mais alors, d’où sont originaires ces voyageurs venus découvrir la Chine en 2024 ? Les ressortissants des pays asiatiques voisins (ou proches) de la Chine, comme le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande, et la Mongolie, sont les premiers à avoir profité de ces exemptions de visa, tandis que les Européens, eux, n’ont pas exactement « sauté » sur l’occasion : selon des données officielles compilées par Bloomberg, les Français et les Allemands auraient été 27% moins nombreux à visiter la Chine en 2024 qu’en 2019.

Pour les Américains, qui ne bénéficient pas de la politique des 30 jours sans visa, la baisse est encore plus marquée (-52%). Depuis que le gouvernement américain a appelé ses ressortissants à « reconsidérer leur voyage » en Chine en 2023, nombreux sont ceux qui confient « avoir peur » de voyager dans le pays de Xi Jinping.

Face à cette chute du nombre de touristes américains, il n’est pas étonnant de voir Pékin vouloir diversifier ses flux touristiques en s’ouvrant davantage à d’autres régions du monde, même si ces pays ne sont historiquement pas de grands pourvoyeurs de touristes pour la Chine.

Outre les tensions géopolitiques, l’autre facteur à prendre en compte est celui de la baisse du nombre de vols vers la Chine opérés par les compagnies aériennes étrangères. Celles-ci n’ont retrouvé en 2024 que 58% de leur capacité d’avant la pandémie faute de demande (contre 88% du côté des compagnies chinoises), selon les données de la société d’analyse aéronautique Cirium. En cause, l’évolution des liens économiques entre la Chine et leurs pays d’origine. En effet, les grandes multinationales occidentales hésitent à poursuivre leurs investissements en Chine, ce qui freine également les déplacements. Selon l’analyse des données de ForwardKeys, les réservations de voyages d’affaires vers la Chine n’ont atteint que 52 % de leur niveau de 2019, contre une reprise de 79 % pour les voyages de loisirs l’année dernière.

Au-delà de ces considérations logistiques, la Chine demeure une destination compliquée pour de nombreux visiteurs internationaux. La barrière linguistique reste importante : l’anglais est peu répandu, y compris dans les grandes métropoles comme Shanghai ou Pékin. Souvent coupés de l’écosystème digital chinois, les touristes étrangers se retrouvent en difficulté pour accéder de manière autonome aux informations pratiques nécessaires au bon déroulement de leur voyage.

Autre défi majeur : les systèmes de paiement. Le pays fonctionne quasi exclusivement avec des applications mobiles comme Alipay ou WeChat Pay, rendant l’usage de l’argent liquide difficile. Malgré des efforts conséquents de la part de ces plateformes pour les rendre plus facilement utilisables par les touristes étrangers, une marge d’amélioration demeure.

Enfin, l’accès à Internet représente un frein supplémentaire. La censure en vigueur bloque l’accès à de nombreux sites et services populaires à l’international, notamment Google, Instagram ou WhatsApp, obligeant les voyageurs à télécharger un VPN avant leur départ.

Toutes ces difficultés sont loin d’être insurmontables pour Pékin qui semble désormais déterminé à faire revenir les touristes étrangers, non pas pour l’impact économique qu’ils ont sur son économie (le secteur ne représente que 0,5% du PIB chinois, contre 2,5% en France), mais plutôt pour les effets qu’ils peuvent avoir sur l’image du pays hors frontières. 

Pékin compte en effet sur eux pour raconter leur séjour en Chine sous un jour positif, à la manière de ces influenceurs étrangers qui sont de plus en plus nombreux à vanter dans leurs vidéos la beauté des paysages de l’Empire du Milieu, la richesse de la culture millénaire chinoise, la compétitivité du « made in China » ou encore le train de vie confortable dans les mégalopoles du pays. De quoi susciter un regain d’intérêt mondial pour la Chine en tant que destination touristique et satisfaire la quête de soft power de Pékin.

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