Petit Peuple : Zhaotong (Yunnan) – Wang Fuman repart du bon pied

 Dans le village reculé de Zhuanshanbao (Yunnan), Wang Fuman (8 ans) et sa sœur ainée Fumei (10 ans) connaissent la faim. Chaque matin à l’aube, dans leur maison en terre battue au toit troué, ils doivent se faire à manger—des patates bouillies, faute de mieux. Le soir, ils se nourrissent essentiellement de légumes, la viande étant bien trop chère pour eux.

Leur père Wang Gangkui, 29 ans, travaille sur des chantiers dans la capitale provinciale à Kunming, à 355 km de là, ne revenant que deux jours par mois, presque sans le sou, faute de pouvoir épargner assez sur sa paie famélique de 3000 yuans par mois. Leur mère, lassée de leur misère, les avait quitté il y a deux ans, les laissant sans nouvelles… Leur grand-mère, qui vivait avec eux, était trop âgée pour pouvoir les aider. C’était Fuman qui nourrissait le vieille femme, en gardant chaque midi le quignon de pain qu’on leur distribuait en classe, le fourrant dans son havresac malgré sa propre faim, pour le lui rapporter le soir. Aussi Fuman demeurait squelettique… Il était aussi incapable de se concentrer en classe, et en plein hiver, claquait des dents, incapable de tenir un stylo, ses engelures le faisant souffrir. Les copains pareil, bavardaient sans écouter l’instituteur prêchant dans le désert.

Un matin de février 2018, après sa marche quotidienne de 4,5 km entre sa maison et son école, à 3000m d’altitude et– 9°C, bien trop peu vêtu, il arrivait en classe transis de froid, cheveux, cils et sourcils blancs de givre et ses joues cuites par le gel. Ayant amusé ses camarades par son allure, le maître prit sa photo et la posta sur compte WeChat. En quelques heures, le cliché devint viral et fit le tour du pays. Il eut l’effet d’un coup de baguette magique ! Bientôt surnommé l’enfant-glace, des millions de concitoyens se mobilisèrent. Une telle misère était inadmissible—la Chine aime ses enfants. Et quand le petit Fuman raconta sa peur de rencontrer les loups à la nuit tombante, cela ne fait que renforcer le sentiment d’urgence, de compassion, de commisération. Les internautes furent nombreux à envoyer une petite obole virtuelle à son école. En huit jours, l’établissement de montagne avait reçu 1,9 million de yuans, sans compter les kilos de cahiers et crayons, de vivres, de gants et d’anoraks chauds…La famille de Fuman elle, recevait 8000 yuans.

 A Pékin, le Parti lui aussi ne tarda pas à réagir, toujours très réactif à la publication de toute info risquant de compromettre la stabilité sociale. A la vitesse de l’éclair, Fuman était bombardé « ambassadeur de l’éducation et de la lutte contre la pauvreté » – le slogan officiel n°1 du moment.  Trois jours tard, Fuman, sa sœur et son père recevaient une invitation à se rendre à la capitale, aux frais du département de la Propagande !

Une fois embarqué pour son premier voyage en avion, Fuman resta les yeux rivés au hublot, à contempler les nuages. A Pékin, il découvrait le « miracle » du chauffage central qui lui permettait de ne « porter qu’une seule couche de vêtements » ! Dévoilant aux journalistes son rêve de devenir « policier pour attraper les méchants » lorsqu’il serait grand, on lui fit faire le tour du QG des forces spéciales, sans oublier le lever du drapeau sur la place Tiananmen et une visite à la Grande Muraille. Un voyage-éclair de 72 heures très médiatisé.

Entretemps, une compagnie d’Etat dans le bâtiment offrit au père de Fuman un boulot mieux payé (200 yuans par jour) dans la ville voisine de Zhaotong, afin qu’il soit plus proche des siens.

Le bouquet final vint du secteur privé : M. Yang, proviseur de l’école Xinhua (Zhaotong) accepta de prendre gratuitement Fuman comme pensionnaire. Désormais, le petit dormait dans un vrai lit, en chambrée à six, star de ses nouveaux amis auxquels il se plaisait à raconter son voyage merveilleux à la capitale.

En classe, il adorait écouter les passionnantes leçons des professeurs aux vrais diplômes, qui répondaient aux questions des élèves, armés d’une érudition imparable. Fuman notait religieusement tout, et rougissait de joie chaque fois que le maître le félicitait pour ses réussites. Ici, il n’avait aucun mal à appliquer la consigne qui lui avait été donnée par le directeur : « étudier dur, car son avenir était entre ses mains ». Tous les enfants ici, faisaient de même. On bossait ferme, et on savait pourquoi : l’avenir était palpable, récompense à portée de vue !

Grâce à un smartphone qui lui avait été offert, il envoyait chaque jour à son père sa photo en uniforme, ou bien en survêtement à l’heure de la gym. C’était la vie de château, comme un « mirage » (海市蜃楼, hǎi shì shèn lóu).

Fuman était en fait trop jeune pour se rendre compte de la fragilité de sa nouvelle vie, due à l’écart immense des mentalités entre le lieu de pauvreté dont il venait d’être tiré, et le monde d’opulence où il baignait, et ses préjugés. Yang le proviseur, lui, s’en était douté, et avait tenté de prévenir l’orage en exigeant le strict anonymat. Il avait même renoncé, non sans noblesse, au bénéfice qu’aurait apporté à son école le battage autour de son acte de générosité.

Mais l’affaire était bien trop grosse pour que le secret ne tienne : en une nuit, sur internet, on était remonté jusqu’à son école. Le naïf proviseur se retrouva alors en porte-à-faux, dans le rôle de l’apprenti-sorcier.  Car chaque agence de la ville et de la province, chaque ministère, avait cherché à tirer parti de cette affaire, à s’accaparer une bribe de l’image de l’enfant de glace. Autour de l’école Xinhua, le maelström tournait et gonflait dangereusement…

Découvrez la suite de l’histoire de Wang Fuman au prochain numéro !

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1 Commentaire
  1. severy

    Le récit est brillamment raconté, comme à l’accoutumée. Mais au petit héros de l’histoire, l’on a bien envie de demander: « Et ta soeur? ».

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