Le Vent de la Chine Numéro 13 (2018)

du 8 au 14 avril 2018

Editorial : La Chine en pleine veillée d’armes

La Chine semble toujours attendre de se trouver au pied du mur avant de prendre des décisions qu’elle reporte au lendemain depuis des décennies. 
Le 2 avril, Xi  Jinping dirigeait la 1ère session de la Commission Centrale des Affaires économiques et financières, tout juste élevée à ce statut afin de lui permettre d’accélérer toute décision concernant la pollution, la lutte anti-pauvreté ou les dettes publiques. A présent, ni lobby ni Conseil d’Etat, ni Comité Central ne peuvent plus faire pression : la Commission a tous pouvoirs pour faire appliquer ses consignes là où elles l’étaient le moins – en provinces. En présence de Li Keqiang et du vice-premier Han Zheng, cette réunion fit feu de tout bois sur la priorité absolue, la dette des provinces,  alors que menace le conflit commercial avec les USA.

Le Président Trump, après avoir tiré en mars sa première salve de 3 milliards de $ de taxes sur les aciers et l’aluminium chinois,  lance (3 avril) la seconde (50 milliards $) sur les produits high-tech, ceux couverts par le plan « made in China 2025 » qui prétend s’approprier les dernières technologies (semi-conducteurs, nanotechnologie) souvent en forçant les multinationales à céder leurs brevets à des rivaux locaux. Face au tsunami de taxes américaines annoncées, la Chine répond du tac au tac. Mais elle sait bien que cela ne suffira pas : dans l’hypothèse de la perte d’une partie de leur marché américain, nombre de consortia chinois auront plus que jamais besoin de subventions de leur province qui, criblée de dettes, ne sera plus en état de les lui fournir. Or cette situation fait risquer une série de faillites « en dominos ». Le remède consiste en une discipline d’investissement des consortia et des gouvernements locaux, auxquels les banques sont interdites de prêter jusqu’à nouvel ordre. Les projets risqués sont interdits et la traque du crédit gris s’exacerbe. Pékin rajoute à sa panoplie répressive un cadre de surveillance rapprochée des cadres locaux responsables…

A Bo’ao (Hainan) du 8 au 11 avril, se tiendra le Forum pour l’Asie (fondé en 2002 pour l’adhésion à l’OMC), Xi Jinping dévoilera l’« interprétation la plus fiable des mesures […] pour les 40 ans de politique d’ouverture ». Une 1ère liste vise les ports francs, créés il y a une dizaine d’années entre Shanghai, Shenzhen, Xiamen et Tianjin, mais qui n’ont jamais décollé faute d’une marge d’autonomie suffisante. Xi devait annoncer l’octroi de privilèges exorbitants, tels la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux, l’accès au marché national, et de nouvelles normes financières et commerciales calquées sur celles de l’OCDE. La première de ces zones de style nouveau serait Hainan, désormais titulaire d’une liberté d’entreprise supérieure à celle de Shanghai et même de Hong Kong. Une autre série de mesures, attendue depuis des mois, devrait ouvrir la finance, l’assurance, les intermédiaires de marché, la santé—sous réserve d’inventaire. 

A tous ces projets, deux problèmes. L’un est la compatibilité de ces zones franches avec le reste de l’économie : comment survivre à une telle distorsion de concurrence ? Pour se protéger des retombées, Hainan préparerait déjà le gel de tout achat de terrain, pour éviter un déménagement de toute la Chine sur son sol insulaire.

L’autre difficulté pour la Chine, sera de convaincre le monde de sa sincérité. Les Etats-Unis ne croient pas en ces bonnes paroles – qui étaient déjà prononcées en 1997 par Zhu Rongji, en 2010 par Wen Jiabao, sans être suivies d’effets.

Pendant ce temps, le protectionnisme belliqueux de Trump le fait remonter dans les sondages : il n’a aujourd’hui nul intérêt à faire marche arrière. Mais alors, les nouvelles mesures promises par Pékin pourront-elles être ressenties comme un authentique changement de cap, assez convaincantes pour calmer les Occidentaux ?


Corées : Kim Jong-un sort des glaces

Qu’est-ce qui a fait sortir des glaces le petit dictateur nord-coréen Kim Jong-un, en visite officieuse à Pékin  du 25 au 27 mars, pour la première fois hors frontières depuis son avènement en 2011 ? En fait, cette visite est une action parmi d’autres pour se réconcilier avec le monde depuis trois mois. En décembre, à l’issue d’une série de tests nucléaires et de tirs de missiles intercontinentaux, alors que Donald Trump multipliait les menaces de frappes préventives sur sol nord-coréen, Kim annonçait tout à trac la participation d’une délégation sportive nord-coréenne aux JO d’hiver de Pyeongchang (Corée du Sud), réunifiée à la sudiste en une équipe unique : divine surprise ! Puis à l’issue des Jeux, la propre sœur de Kim se rendait à Séoul, porteuse d’une rare, double bonne nouvelle : au Président sud-coréen Moon Jae-in, elle proposait un sommet de réconciliation à Panmunjom, sur la zone démilitarisée, le 27 avril.

Moon recevait alors un message pour Donald Trump : Kim Jong-un était prêt à le rencontrer. Trump ayant saisi la balle au bond, le meeting aura lieu en mai dans un lieu encore à préciser.

La liste des sourires ne s’arrête pas là : le 29 mars, Thomas Bach, président du Comité International Olympique, était reçu à Pyongyang par Kim Jong-un qui l’assurait de la participation de son pays aux « deux prochains JO » de 2020 puis 2022. Puis le 1er avril, Kim assistait en sa capitale à un concert « K-pop » sud–coréen…

Une question se pose alors de savoir  pour quelle raison, Kim a-t-il fait une visite impromptue à Xi Jinping, avant même d’avoir honoré l’invitation à Donald Trump, au risque de lui faire perdre la face et de compromettre dès le départ cette rencontre essentielle ? 

Une première raison, à vrai dire la plus plausible, est la faim qui fait sortir le loup du bois. La récolte d’été (la seule de l’année, dans la région) est encore loin. Les greniers sont vides et les sanctions économiques internationales loyalement appliquées par la Chine, mordent. Le fait pour Kim de se réconcilier d’abord avec Pékin peut permettre d’espérer un assouplissement des contrôles aux frontières—de faire que la Chine ferme les yeux sur quelques transbordements de blé ou de pétrole en haute mer.

Une autre raison plus ancienne, est le sentiment de « fraternité d’arme » entre régimes socialistes, une constante de ces relations sino-coréennes. C’est l’argument que Xi et Kim ont invoqué après leur rencontre, pour justifier le retour à une amitié en veilleuse depuis dix ans.

Entre ces deux hommes pourtant, la réconciliation n’a pas dû être facile. En politique, le « pays du matin calme » attache une passion excessive sur son indépendance. Ce sont les séquelles d’une guerre féroce livrée entre superpuissances sur son sol en 1950-51, ayant dévasté le pays et causé plus d’un million de victimes. D’un point de vue nord-coréen, l’autodétermination n’a pas de prix—et l’arme nucléaire, le garant de survie du régime. Plus Pékin a tenté de l’inciter à s’engager dans un programme d’équipement et de bien-être, et plus l’impression d’ingérence s’est exacerbée en Corée du Nord. Xi, de son côté, s’est exaspéré de ce junior qui « mordait la main qui le nourrit », sans reconnaissance pour la protection matérielle et  politique que la Chine octroyait au petit voisin aux instances de l’ONU. Aussi Xi a-t-il fini par soutenir les sanctions contre Pyongyang, et en décembre quand l’émissaire spécial de Xi Jinping franchit la frontière pour négocier, et prévenir l’attaque de l’US-Army, Kim Jong-un lui fit l’affront de ne pas le recevoir.

En définitive, si les deux chefs d’Etat ont décidé d’enterrer ce passé de froidure, c’est au nom d’un intérêt commun supérieur : Kim ne pouvait pas laisser son dialogue avec le monde aux mains du seul Trump. Xi de son côté, ne pouvait accepter que son pays soit au second plan dans une solution au problème nord-coréen. Les pays ont voulu rappeler que l’Asie socialiste était en état de régler ses problèmes, sans l’entremise du gendarme du monde.

Le fait pour Kim Jong-un de s’être rendu à Pékin en train, mode de transport exclusif de son père et de son grand-père, lui apporte la légitimité dynastique de ses aïeux. De par cette stature d’un Kim Jong-un dans la droite ligne de Kim Il-sung, le petit leader revendique de Xi Jinping un traitement d’égal à égal. Aux yeux de Xi, l’exigence peut paraître exorbitante. Mais l’enjeu justifie qu’il s’y prête : le temps est mûr, pour la Chine, de tenter de regagner une écoute perdue, de négocier (un jeu où elle excelle) un traité de paix à cette guerre de Corée toujours techniquement en cours. Il s’agit aussi pour la Chine d’empocher l’essentiel de la reconstruction de la Corée du Nord.

On croit enfin discerner comme cause de cette visite une dernière influence qui pourrait en fait avoir été décisive : Pâques, fête chrétienne de la résurrection, avait lieu 8 jours après le départ de Pyongyang. Fondée par Kim Il-sung, la DPRK repose sur une idéologie unique au monde, la Juche, syncrétisme entre trois courants maîtres :

-la légitimité dynastique de la famille de Kim, un principe que la Corée a toujours connu à travers son millénaire royaume du Koryo,
– la stalinienne dictature du Prolétariat,
– le protestantisme, qui fut la confession fervente de la mère de Kim Il-sung. Pâques, en chinois comme en coréen, est la fête de la « restauration de la vie » (复活节 – fùhuójié en mandarin, 부활절 – bu hwal jol en coréen). À l’échelle du pays, on peut y voir l’annonce d’une  nouvelle ère et réconciliation avec le monde. Par ce voyage, en langage biblique, Kim Jong-un annoncerait la volonté et disponibilité de son pays à orchestrer sa renaissance, et retourner dans la société des nations – à condition qu’on l’y aide bien sûr, et qu’on l’y accepte.


Energie : Electricité chinoise pour les pays du Mékong : rêve ou cauchemar ?

Le 31 mars à Hanoi, six pays traversés par le Mékong signaient un traité ambitieux d’intégration régionale : la Chine s’engageait à verser 66 milliards de $ sur 5 ans dans 227 projets devant bénéficier au Vietnam, Laos, au Cambodge, à la Birmanie et à la Thaïlande. Ainsi, ce bassin fluvial du bas Mékong peuplé de 60 millions d’âmes, changeait d’ère et de vitesse, reléguant le précédent traité de coopération du Mékong, héritage de la France coloniale. Les pays signataires souhaitent une plus forte coopération, avec des règles et des objectifs taillés sur mesure pour les intérêts de la Chine.

L’un des plans vise l’endiguement des cours d’eau par une série de barrages : selon St. Jensen-Cormier, directrice Chine de l’ONG International Rivers, Sinohydro, Huaneng et d’autres construisent 41 retenues sur le Mékong et ses affluents. Au Cambodge, Huaneng bâtit Lower Sesan-2 (cf photo), d’une capacité de 400 MW pour 818 millions de $, futur plus grand barrage du pays.

L’intérêt de la Chine est clair : en avançant presque tous les fonds (seule à pouvoir le faire), elle supplante des groupes étrangers aux technologies pourtant plus récentes, pas forcément plus chères, mais moins financées. Elle se rembourse en exploitant les ouvrages—en vendant le courant, à son prix. Elle fait aussi de ces pays « bénéficiaires » des vassaux à long terme : en échange de ces infrastructures dont ils ont besoin et qu’elle est la seule à offrir, ils doivent voter avec elle aux Nations Unies. Aussi, ces projets font d’eux son hinterland. L’un d’eux consiste à rendre le Mékong navigable—œuvre colossale, qui créera pour la Chine un axe de pénétration au cœur de l’ASEAN.

Dans ce processus, les pays riverains y trouveront aussi leur compte : de barrage en barrage, se bâtissent des routes, des écoles et villages plus modernes, avec accès privilégié à l’eau, à l’électricité. Ils forment les bases pour l’apparition d’une industrie de transformation du bois, du poisson, des céréales, du coton local…

Rien qu’au Laos, 45 barrages chinois sont programmés. Selon l’International Journal of Hydropower and Dams, ce pays aurait un potentiel hydroélectrique de 100 GW (=100 réacteurs nucléaires français), dont seuls 25% déjà planifiés… Une situation « gagnant-gagnant », selon l’argument principal de la Chine pour convaincre l’Asie du Sud-Est de foncer dans l’aventure…

Encore faut-il que les promesses soient tenues. Ce qui n’est pas évident. Srey Ly Bik, paysan cambodgien, cultivait en 2016 sa terre avec 30 buffles et un tracteur, avant d’être exproprié – elle se trouvait sur le périmètre du futur réservoir, 75km² bientôt submergés. Mais les terres qu’on lui a donné en échange, étaient de roc non limoneux, inaptes à la culture : Srey a dû se résigner à tout vendre, pour vivre de ses économies.

Mêmes plaintes au Laos sur la Nam Ou (cf photo), affluent du Mékong où la Chine érige 7 barrages. Là, les paysans se plaignent d’une électricité payante en dépit des promesses, et d’une pêche de poissons désormais trop petits pour pouvoir être vendus – la qualité de l’eau aurait changé sous l’effet du béton à haute dose, altérant la croissance de la ressource halieutique.

On constate donc une rancœur montante auprès des populations, suite à l’apparition de ces ouvrages. Les deux principaux bénéficiaires, Laos et Cambodge se trouvent être à la fois les pays plus pauvres, et les plus fidèles à la Chine—les plus « gâtés » par ses programmes de développement. Il n’en faut pas plus dans la population pour susciter le soupçon d’une collusion entre son leadership et le capitalisme d’Etat chinois. Contre ces accusations, Sok Siphana, conseiller du gouvernement cambodgien de Hun Sen, crie au « procès d’intention » : « des petits pays comme les nôtresdépourvus de marché intérieur, doivent se doter d’une source d’énergie abondante et pas chère, pour attirer des industries tournées sur l’export. Ce sera notre seule chance face à des pays plus grands tels Birmanie, Vietnam ou Thaïlande » !

D’autres activistes vont s’élever contre cette vague de barrages, au nom de ses risques d’effets pervers : déplacement de population, acculturation accélérée et dégâts environnementaux. Ils militent pour le droit des peuples à croître à leur rythme, à préserver leurs traditions, et à redistribuer plus équitablement le fruit de cette croissance importée. Or, fait notable, ce type de contestation contre les pouvoirs publics sont plus fréquentes et plus écoutées en Asie du Sud-Est qu’en Chine : elles ont été capables de provoquer l’interruption en 2011 du chantier de Myitsone en Birmanie (barrage chinois à 3,6 milliards de $), puis au Cambodge en 2015, celle du barrage de Chhay Areng… Les deux chantiers pourraient reprendre cette année.

On sent bien à travers l’ASEAN, le vif débat d’idées en cours. Deux visions de l’avenir s’affrontent, irréconciliables. Ce débat met du sable dans les engrenages des plans des états-majors politiques et industriels chinois, prenant à contre-pied une Chine habituée à décider sa croissance au sommet sans concertation, en une gouvernance « pyramidale ». C’est que ces sociétés méridionales ont reçu de leur colonisation française ou britannique un socle d’institutions démocratiques et d’ONG. Cet héritage leur donne un passé, une conscience et une perspective tous différents de ceux de la Chine monolithique. Pour cette dernière, un vrai « fil à retordre » pour l’avenir !

Elle en prend conscience, selon les mots de Hu Zhiyong, de l’Académie des Sciences Sociales de Shanghai : « pour optimiser leur investissement dans ces pays, nos groupes industriels vont devoir mieux prévoir son impact sur les hommes et sur l’environnement – c’est une leçon qu’ils sont en train d’apprendre ! ».


Diplomatie : Chine – USA, des rétorsions sans queue ni tête

Aux taxes imposées le 23 mars par les USA à ses aciers et aluminium, la Chine a rétorqué le 2 avril par des rétorsions d’une valeur marchande équivalente sur des produits agricoles des Etats-Unis. Elle a aussi taxé l’éthanol américain, qu’elle espérait pourtant importer, pour mélanger à son essence. Adieu, programme « carburant propre » …

Puis le 4 avril, Trump frappe de 25% de taxes 50 milliards de $ de produits high-tech chinois. La Chine réplique du tac au tac par 25% de taxes sur le soja US, dont elle importe pour 14 milliards de $, pour son huile de table. Mais hors USA, les autres fournisseurs ne pourront remplacer ces volumes à 100% : la Chine recevra 10 millions de tonnes de moins. 

Elle importait en 2017, 270.000 voitures américaines pour 11 milliards de $, y compris des Mercedes d’Alabama, BMW de Caroline du Sud : elle devra s’en passer, un temps !
En 2017, Boeing livrait 202 avions en Chine : elle tentera de se reporter sur Airbus, déjà fournisseur de la moitié de sa flotte. Mais ce sera en vain : les chaînes d’Airbus sont déjà proches de saturation.
Visés aussi, les semi-conducteurs d’Intel, Qualcomm ou Texas Instruments. La Chine en achetait en 2017 pour 6,89 milliards de $ : elle devra les commandes ailleurs (Taiwan, Corée du Sud) – à beaucoup plus cher. 
Seront aussi dans le viseur de la République populaire ses propres touristes aux USA, qui étaient 3 millions en 2016. Avec les 300.000 étudiants chinois venus cette même année, ils grillaient 33 milliards de $ – les plus gros dépensiers étrangers ! Une fois les USA sur liste noire, les estivants chinois s’y feront plus rares…

Plus grave encore : GM, Ford, Apple et  d’autres multinationales maintiennent en Chine des millions d’emplois : que deviendront-ils ? De même, quel sera le sort des 1200 milliards de $ en bons du trésor américain ? La Banque Centrale peut recevoir l’ordre de les liquider sur le marché financier. Alors, le dollar chutera : l’Amérique sera plongée dans une crise monétaire, la Chine y perdra son épargne, et d’autres devises comme l’euro s’effondreront comme châteaux de cartes.

Bilan : vu l’intégration des économies des deux pays, un conflit commercial long est insoutenable. Washington se donne six semaines pour valider et appliquer ses taxes. Les adversaires ont ce délai pour s’entendre.


Religion : Vatican—l’introuvable concordat

Pour le Vatican, le concordat aurait pu être avalisé le jour de Pâques. Mais il n’en a rien été – l’administration papale a même démenti qu’un accord puisse avoir lieu « avant juin ».  Comme pour apporter un contrepoint, un porte-parole de Pékin déclara que les palabres des semaines passées s’étaient déroulés « en profondeur et bonne volonté », et que leur reprise prochaine seraient empreints de « positivité ». Autrement dit, l’espoir demeure.

Ce qui se passe, on le devine entre les lignes du tout récent livre blanc du régime sur les religions dans le pays. Faisant montre d’un rare effort de transparence, le document reconnait 200 millions de fidèles, hormis ceux des églises de l’ombre, dont 38 millions de protestants et 6 millions de catholiques. Les bouddhistes doivent représenter les trois quarts de ce chiffre officiel. C’est une question de critères, dans le décompte. Vingt ans plus tôt, les chrétiens étaient 8 millions de protestants et 2 de catholiques. Mais les nombres réels sont beaucoup plus forts, une fois ajoutés les chrétiens « sympathisants » et ceux « de l’ombre ». Les seuls protestants feraient plus de 90 millions, dépassant la cohorte des membres du Parti.

D’un point de vue idéologique, la partie intégriste du régime se raidit, sous le rappel de l’interdit fondamental : une « puissance étrangère » ne peut exercer une « influence » sur le pays. Pourtant le Parti ne revendique nulle autorité sur le domaine de l’âme, pas plus que le Vatican sur le mondain, ce qui devrait satisfaire tout le monde. Bien sûr, ces catégories théoriques, « monde » et « âme », ont du mal à coexister dans un monde réel : entre Chine et Vatican, il existe des zones de friction sur leur délimitation, telles la nomination des prélats, la gestion des biens de l’église, ou la lecture en chaire des « lettres pastorales ». Surtout, ce qu’il faut voir, est l’exacerbation des passions dans les deux camps, quand le concordat se rapproche. Athées socialistes et fidèles catholiques redoutent de se retrouver face-à-face « réconciliés » en dépit de leur passé violent.

Symptôme de la tension qui monte : le 23 mars, l’évêque Guo Xijin, notoirement réfractaire à son affiliation à l’Association Catholique Patriotique, disparaît de son diocèse du Fujian. La veille de Pâques, il réapparaît et Chen Zongrong, un des patrons de cet organe d’Etat, dément  qu’il ait été enlevé. Il s’était rendu « de son plein gré » à une « séance de thé » prolongée à Pékin.

Puis le 30 mars, les plateformes d’e-commerce ont rayé de leur inventaire toute Bible : le régime, en dépit du bon sens, semble espérer limiter les ventes du livre saint. Tout ceci esquisse un tableau d’une société chinoise, chrétienne comme socialiste, profondément divisée face au rapprochement, aussi imminent que déchirant. 


Petit Peuple : Zhaotong (Yunnan) – Wang Fuman repart du bon pied

 Dans le village reculé de Zhuanshanbao (Yunnan), Wang Fuman (8 ans) et sa sœur ainée Fumei (10 ans) connaissent la faim. Chaque matin à l’aube, dans leur maison en terre battue au toit troué, ils doivent se faire à manger—des patates bouillies, faute de mieux. Le soir, ils se nourrissent essentiellement de légumes, la viande étant bien trop chère pour eux.

Leur père Wang Gangkui, 29 ans, travaille sur des chantiers dans la capitale provinciale à Kunming, à 355 km de là, ne revenant que deux jours par mois, presque sans le sou, faute de pouvoir épargner assez sur sa paie famélique de 3000 yuans par mois. Leur mère, lassée de leur misère, les avait quitté il y a deux ans, les laissant sans nouvelles… Leur grand-mère, qui vivait avec eux, était trop âgée pour pouvoir les aider. C’était Fuman qui nourrissait le vieille femme, en gardant chaque midi le quignon de pain qu’on leur distribuait en classe, le fourrant dans son havresac malgré sa propre faim, pour le lui rapporter le soir. Aussi Fuman demeurait squelettique… Il était aussi incapable de se concentrer en classe, et en plein hiver, claquait des dents, incapable de tenir un stylo, ses engelures le faisant souffrir. Les copains pareil, bavardaient sans écouter l’instituteur prêchant dans le désert.

Un matin de février 2018, après sa marche quotidienne de 4,5 km entre sa maison et son école, à 3000m d’altitude et– 9°C, bien trop peu vêtu, il arrivait en classe transis de froid, cheveux, cils et sourcils blancs de givre et ses joues cuites par le gel. Ayant amusé ses camarades par son allure, le maître prit sa photo et la posta sur compte WeChat. En quelques heures, le cliché devint viral et fit le tour du pays. Il eut l’effet d’un coup de baguette magique ! Bientôt surnommé l’enfant-glace, des millions de concitoyens se mobilisèrent. Une telle misère était inadmissible—la Chine aime ses enfants. Et quand le petit Fuman raconta sa peur de rencontrer les loups à la nuit tombante, cela ne fait que renforcer le sentiment d’urgence, de compassion, de commisération. Les internautes furent nombreux à envoyer une petite obole virtuelle à son école. En huit jours, l’établissement de montagne avait reçu 1,9 million de yuans, sans compter les kilos de cahiers et crayons, de vivres, de gants et d’anoraks chauds…La famille de Fuman elle, recevait 8000 yuans.

 A Pékin, le Parti lui aussi ne tarda pas à réagir, toujours très réactif à la publication de toute info risquant de compromettre la stabilité sociale. A la vitesse de l’éclair, Fuman était bombardé « ambassadeur de l’éducation et de la lutte contre la pauvreté » – le slogan officiel n°1 du moment.  Trois jours tard, Fuman, sa sœur et son père recevaient une invitation à se rendre à la capitale, aux frais du département de la Propagande !

Une fois embarqué pour son premier voyage en avion, Fuman resta les yeux rivés au hublot, à contempler les nuages. A Pékin, il découvrait le « miracle » du chauffage central qui lui permettait de ne « porter qu’une seule couche de vêtements » ! Dévoilant aux journalistes son rêve de devenir « policier pour attraper les méchants » lorsqu’il serait grand, on lui fit faire le tour du QG des forces spéciales, sans oublier le lever du drapeau sur la place Tiananmen et une visite à la Grande Muraille. Un voyage-éclair de 72 heures très médiatisé.

Entretemps, une compagnie d’Etat dans le bâtiment offrit au père de Fuman un boulot mieux payé (200 yuans par jour) dans la ville voisine de Zhaotong, afin qu’il soit plus proche des siens.

Le bouquet final vint du secteur privé : M. Yang, proviseur de l’école Xinhua (Zhaotong) accepta de prendre gratuitement Fuman comme pensionnaire. Désormais, le petit dormait dans un vrai lit, en chambrée à six, star de ses nouveaux amis auxquels il se plaisait à raconter son voyage merveilleux à la capitale.

En classe, il adorait écouter les passionnantes leçons des professeurs aux vrais diplômes, qui répondaient aux questions des élèves, armés d’une érudition imparable. Fuman notait religieusement tout, et rougissait de joie chaque fois que le maître le félicitait pour ses réussites. Ici, il n’avait aucun mal à appliquer la consigne qui lui avait été donnée par le directeur : « étudier dur, car son avenir était entre ses mains ». Tous les enfants ici, faisaient de même. On bossait ferme, et on savait pourquoi : l’avenir était palpable, récompense à portée de vue !

Grâce à un smartphone qui lui avait été offert, il envoyait chaque jour à son père sa photo en uniforme, ou bien en survêtement à l’heure de la gym. C’était la vie de château, comme un « mirage » (海市蜃楼, hǎi shì shèn lóu).

Fuman était en fait trop jeune pour se rendre compte de la fragilité de sa nouvelle vie, due à l’écart immense des mentalités entre le lieu de pauvreté dont il venait d’être tiré, et le monde d’opulence où il baignait, et ses préjugés. Yang le proviseur, lui, s’en était douté, et avait tenté de prévenir l’orage en exigeant le strict anonymat. Il avait même renoncé, non sans noblesse, au bénéfice qu’aurait apporté à son école le battage autour de son acte de générosité.

Mais l’affaire était bien trop grosse pour que le secret ne tienne : en une nuit, sur internet, on était remonté jusqu’à son école. Le naïf proviseur se retrouva alors en porte-à-faux, dans le rôle de l’apprenti-sorcier.  Car chaque agence de la ville et de la province, chaque ministère, avait cherché à tirer parti de cette affaire, à s’accaparer une bribe de l’image de l’enfant de glace. Autour de l’école Xinhua, le maelström tournait et gonflait dangereusement…

Découvrez la suite de l’histoire de Wang Fuman au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 9 au 15 avril 2018
Semaine du 9 au 15 avril 2018

8-11 avril, Boao (Hainan) Forum for Asia Annual Conference, discours du Président Xi Jinping

9-11 avril, Shenzhen : CEF – China Electric Fair

11-12 avril, Shanghai : LUXE PACK, Salon du packaging des produits de luxe

11-13 avril, Pékin : INFOCOM, Salon des systèmes pour présentations audiovisuelles, multimedia et communication d’entreprise

11-14 avril, Xiamen : API China, Salon de l’industrie pharmaceutique : matières premières, chimie fine, ingrédients, machines de process et d’emballage

11-14 avril, Shanghai : CMEF, China Medical Equipment Fair, Salon international des équipements médicaux

11-14 avril, Shanghai : ICMD, Salon international de la conception et fabrication des appareils médicaux

11-14 avril, Shanghai : The Health Industry Summit (THIS), Salon et Congrès de l’industrie mondiale de la pharmacie et de la médecine

13-15 avril, Canton : CIAME, Salon de l’automobile et Forum mondial de l’innovation, de la technologie, de l’équipement et de l’industrie manufacturière

15-19 avril, Canton : Foire internationale de Canton