Petit Peuple : Cangzhou (Hebei) – La reine octogénaire du live streaming (1ère Partie)

Retraitée à Cangzhou (Hebei), Qiu Zhizhen, est « mamie-tendance » (cháo lǎotài, 潮老太). 

Toute sa vie, elle s’est démarquée de ses semblables, par une discipline de fer. A 81 ans, elle en fait 60 : son visage sans rides éclate de santé, et sa démarche aérienne est pleine de grâce. Sa méthode, elle n’en fait pas secret, et tient en une maxime en quatre vers, dont les premiers sont : « manger végétarien, toujours faire de la marche (基本吃素,坚持走路, jīběnchīsù, jiānchízǒulù).

Née en 1937 sous le signe du Buffle, Zhizhen trouve en cette position astrale l’équanimité positive, la force tranquille qui lui firent résister aux bouleversements du XXe siècle, de la Révolution qui débutait quand elle avait 12 ans.
Pragmatique, patiente, elle sut inspirer la confiance de la nouvelle société socialiste. En 1951, une entremetteuse lui montra la photo d’un soldat, avec lequel elle échangea des lettres pendant quelques années, et dès son retour de guerre en 1957, les deux se marièrent après seulement une seule rencontre. Elle obtint un emploi au Bureau de l’électricité, ce qui lui épargna la famine du Grand Bond en avant, les embarras des campagnes de Mao.

En 1967, quand les jeunes instruits durent quitter la ville pour des communes populaires à la campagne, Zhi-zhen, elle, put rester : Cangzhou avait besoin du Bureau de l’énergie et de son personnel. Ensuite, au terme du fleuve tranquille de sa carrière, elle put partir en retraite, sous les vivats des collègues—des techniciens de pylônes, aux chauffeurs, et même du président. 
De retour au foyer, loin de céder au désœuvrement, elle prit toutes les occasions de s’occuper : la chorale du mercredi, les cours d’informatique du jeudi et tous les soirs, la gym dansante sur la place avec voisins et voisines. Avec son mari aussi en retraite, elle passait des semaines au « centre de formation » de son ex-danwei (unité de travail), en réalité un hôtel gratuit pour le personnel et ses retraités, à Weihai (Shandong) en bord de mer.

Pendant son temps libre, Zhizhen s’intéressait aux nouvelles technologies. De Pékin, sa fille Liu Hong lui apportait toutes les nouveautés, iPad et smartphone, pour rester connectées malgré la distance. Depuis 2004, la mamie maniait e-mails, réseaux sociaux, QQ, Weibo, puis WeChat. Seul souci : tous les messages devaient être tapés sur un clavier, exercice difficile pour les personnes âgées.

Tout changea la semaine du 1er mai 2016, quand sa petite-fille Meidan, descendant chez elle pour quelques jours de vacances, se mit à haranguer devant son smartphone, d’un style déclamatoire, tenant plus du théâtre que du babil coutumier. Se postant derrière l’adolescente, Zhizhen se vit alors sur l’écran et stupéfaite, l’entendit la présenter avec aplomb: « chers followers, ici Cangzhou—voici Qiu Zhizhen, la meilleure grand-mère du monde » ! La mamie devina qu’elle s’adressait à un auditoire sans doute vaste. Ce fut pour elle une révélation : son bébé d’hier était devenue une réalisatrice d’émission ! Puis Meidan, terminant son programme, prit congé : ce fut pour apprendre fièrement à l’aïeule qu’elle venait d’engranger 730¥, grâce à son nombre d’abonnés et leurs cadeaux virtuels. Depuis six mois, cette activité ludique et lucrative lui permettait de payer ses études, et de libérer ses parents de sa charge.

Mi-intriguée, mi-éblouie, Zhizhen lui demanda quel était donc son secret ! La prenant au mot, Meidan lui téléchargea l’application sur son iPad. Puis elle commença son initiation aux arcanes du live-streaming. Comme à un enfant, elle lui montra patiemment les fonctions, tel le suivi des questions du public en bas d’écran (cf photo).

Deux fois par jour, Meidan se connectait, et faisait son show. Eblouie, Zhizhen résolut de marcher sur ses traces. Dès lors, chaque émission fut pour elle sa formation continue, lui permettant de comprendre les trucs du métier, de répéter en mode hors ligne. Ce qui la bluffait éperdument, était la liberté de ce mode d’expression si simple, mais au pouvoir magique. Nul besoin désormais de perdre son temps à rédiger des messages – elle avait trouvé sa voie, et sa voix !

Arriva dix jours plus tard le baptême du feu online. Meidan la présenta une fois encore à l’invisible auditoire puis la laissa seule à elle-même, priant ses « fans » de lui faire bon accueil. Tenant en main son argumentaire, méticuleusement préparé, Zhizhen n’en était pas moins morte de trac, même à 80 balais… Mais à peine le direct commencé, la peur s’évanouit pour laisser place à la libération, l’exultation de se raconter et de passer son message. Elle avait une personnalité nouvelle, spontanément évidente, comme une seconde renaissance. Elle était la mamie universelle et indulgente dont rêvait toute une jeunesse. Elle révélait l’histoire occultée, celle de son enfance, celle du pays. Sous prétexte de souvenirs d’enfance, elle comblait un vide chez son public, le trou noir du passé caché. La tonalité qui en découlait était pétrie de confiance, de bonne humeur, et de bienveillance.

 Au bout d’un temps qui lui sembla terriblement court, Meidan lui montra sa montre : à cinq minutes de la fin, il était temps de prendre congé et de remercier son public.

Hors ligne, elle s’entendit annoncer par une Meidan très fière mais un peu abasourdie, qu’avec 32.000 suiveurs pour sa première apparition, dépassant ainsi son propre score. C’était un triomphe incroyable, et de surcroît 7le record du pays dans sa tranche d’âge !
Pour lire la suite, rendez-vous la semaine prochaine…

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1 Commentaire
  1. severy

    On imagine déjà ce qui attirera bientôt l’intérêt des suiveurs: l’agonie en direct de « Ma grand-mère bien aimée »…
    La suite au dernier numéro.

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