Le Vent de la Chine Numéro 13 (2017)
Du 2 au 4 avril, la Chine célébrait la Fête de la Lumière pure (Qingming 清明) et force est de constater que ce culte des ancêtres évolue avec son temps.
Au XXIe siècle, la fête consiste en une expédition en famille au cimetière. Là, on désherbe la tombe, on y déjeune et brûle divers artefacts de papier, monnaie « de l’enfer » : fausses voitures, iPhones, cigarettes de luxe, bouteilles de Maotai… Tous biens de confort que l’on veut faire passer au disparu dans l’au-delà.
Mais un vieux problème surgit alors : la population croît, contrairement à l’espace disponible. Les économistes sont unanimes, sous 10 ans autour des villes (qui abritent 51% des vivants), les espaces de repos des morts seront saturés. Ce n’est pas faute d’avoir investi : Suzhou aligne 30 cimetières « commerciaux » et 420.000 tombes, dont le prix moyen est aujourd’hui à 180.000¥ le lot d’1,5m². à Shanghai ou Pékin, autour de sites tels les tombeaux des Ming, le même emplacement coûte 300.000¥. Mais la demande reste très vive car la société vieillit. En 2016, la même Suzhou, pour 12 millions d’âmes, enregistrait 40.000 décès. Pour combattre la pénurie, la mairie vient de réserver ses cimetières aux seuls résidents, excluant les Shanghaïens qui venaient en masse.
L’inhumation à telle échelle est un cauchemar pour les urbanistes. Elle dévore les ceintures vertes des villes, et intoxique chaque année des milliers de gens par le brûlis de cette papeterie de basse qualité. Elle fait aussi planer le risque d’incendie : à Lianyungang (Jiangsu), un incendie de forêt se propagea le 4 avril, mobilisant durant des heures 600 pompiers. Aussi ce rituel fut banni à Harbin (Heilongjiang), sous peine d’amende de 200 à 1000¥, aux clients, fabricants et vendeurs.
Outre les interdictions et restrictions aux sépultures, la Chine cherche des alternatives. La mairie de Pékin propose des funérailles « bleues » en mer, gratuites, avec mini-croisière, orchestre funéraire à bord et remise de photos-souvenirs. En 2016, 2456 familles avaient accepté cette offre. En 2017, elle va plus loin, avec une tombe « verte » également sans frais, en cercueil biodégradable en 6 mois sous un parterre de gazon. Les 31 familles ayant accepté, ont reçu un bronze commémoratif au nom du défunt incluant un code QR. Sur le lien internet correspondant, on retrouve des photos du disparu, son CV, son arbre généalogique et un dossier ouvert pour les condoléances.
Un peu partout en Chine, des compagnies de services apparaissent sur internet, pour libérer les familles des devoirs envers les morts. L’exemple le plus abouti est ce cimetière Yuhuatai de Nankin avec son offre complète : jardiniers, pleureuses, prieurs, le tout pour 500¥ – payables par WeChat. La cérémonie est ainsi diffusée en live, pouvant être suivie de n’importe où. Car le Qingming devient l’occasion pour plusieurs millions de Chinois de partir en long week-end – en train, en bus, en voiture.
Une industrie est là, en bourgeon, cherchant à réconcilier traditions, technologies, budget des ménages, et leurs émotions. Qi Weijing, patron de Jiuhua Zhengyuan, veut racheter à Pékin dans l’année 10 cimetières, les équiper de recharges pour voitures électriques, d’un bar et d’une salle de réception pour changer l’ambiance de ce type de lieu : du « lugubre » au « branché ».
Enfin à la campagne, perdurent des pratiques d’un autre âge. En une seule ville du Shanxi, depuis 2013, 27 familles ont porté déclaré le vol de cadavres de femmes (chiffre probablement en-dessous de la réalité, nombreux étant ceux n’osant pas porter plainte), la tradition voulant qu’elles soient mariées en des « noces de fantômes », à un décédé célibataire. Ce genre d’unions post-mortem se fait surtout lors du Qingming. L’Etat interdit, punit—mais la tradition a la peau dure.
Le sommet Trump-Xi Jinping promettait d’être une affaire médiatique et tendue. Sous les feux de la rampe, ces leaders se montreraient incapables de dépasser leurs antagonismes, avivés par les mots offensifs de D. Trump durant sa campagne. Mais la rencontre de Mar-a-Lago (Floride, 6-7 avril), résidence privée du Président américain, fut à l’inverse des attentes. Elle fut amicale et discrète, plongée dans l’ombre par un événement de dernière minute, le raid de l’US Navy (6 avril), contre la base aérienne syrienne d’Al Shayrat près de Homs, en rétorsion de l’attaque au gaz toxique par l’aviation de Bachar el-Assad contre la ville rebelle de Khan Cheikhoun, ayant causé 100 morts dont 30 enfants.
Situation ubuesque mais bien réelle : quand furent tirés les 59 missiles Tomahawk par des navires de l’US Navy en Méditerranée, Xi était reclus avec Trump au club de luxe près de Palm Beach. Xi eût pu s’en irriter, cette frappe allant contre les principes de son pays qui rejette l’action militaire, professant que seule la diplomatie peut ramener la paix.
Toutefois Donald Trump, bien conseillé, semble avoir réussi à limiter les risques. Il a d’abord prévenu ses alliés européens, puis tout de suite après, Xi Jinping – « à dîner, au moment du dessert », précise la chronique. En même temps, depuis le Liban, « 60 à 90 minutes avant la frappe », un officier américain avisait les forces russes, par téléphone d’alerte, conformément aux dispositifs bilatéraux de prévention de conflit, de faire évacuer la base d’Al Shayrat.
De la sorte, côté chinois, la face était sauve. De part et d’autre, tous les efforts étaient déployés pour jouer la cordialité et rebâtir la confiance. L’objectif était ainsi respecté, préparé quelques jours plus tôt à Pékin par le Secrétaire aux Affaires étrangères Rex Tillerson : rétablir le dialogue.
Et de fait, au soir du deuxième jour, Xi Jinping déclarait qu’entre les deux pays existaient « 1000 raisons d’approfondir la relation, et aucune pour la faire dérailler ». Une phrase qui faisait contrepoint à celle de Donald Trump, en substance : « nous avons beaucoup échangé. Je n’ai encore rien obtenu—mais l’empathie entre nous est profonde » !
Quel bilan peut-on tirer de ce sommet ? D. Trump a accepté une invitation en Chine, « dans l’année ». Par la voix du Secrétaire au Commerce Wilbur Ross, les chefs d’Etat ont lancé leurs diplomates dans une course contre la montre pour un accord « sous 100 jours, avec étapes intermédiaires », afin de résorber le déficit commercial, le principal contentieux. Pas question donc pour D. Trump de donner suite à ses menaces de campagne, de déclarer la Chine « manipulatrice de sa monnaie », ni de lui asséner des taxes de « 45% ».
Un autre accord, encore largement secret, concerne la Corée du Nord. La Chine, généralement, ne veut pas modifier le statut précaire de la péninsule (toujours techniquement en état de guerre) —un statut qui l’a bien servie, faisant d’elle le protecteur unique du « Pays du Matin Calme », au quasi-monopole sur ses échanges extérieurs. Mais justement, la frappe en Syrie a aussi été profilée pour briser l’immobilisme chinois : selon Trump et son entourage, si Pékin se montre incapable de désarmer Pyongyang avant qu’il ne dispose réellement de missiles intercontinentaux et d’ogives nucléaires, les USA se feront forts d’agir seuls, par des actions du type de la frappe en Syrie…
Xi Jinping de son côté offrit quatre mécanismes de consultation, en remplacement du « Dialogue stratégique et économique que » menaient Obama et ses prédécesseurs, dialogue désormais caduc puisque dénoncé par Trump aux premiers jours de son mandat. Ces instruments cibleront respectivement « sécurité et diplomatie », « économie et échanges commerciaux », « application des lois et cybersécurité », et « échanges entre peuples ». Ces groupes consultatifs seront dirigés côté chinois par le Vice-Premier Wang Yang et le Conseiller d’Etat Yang Jiechi, et côté américain par Rex Tillerson et son collègue au Trésor Steven Mnuchin. Parmi les quatre, un instrument de consultation est spécialement remarqué, celui traitant de la cybersécurité. Régulièrement, les Etats-Unis accusent la Chine de lancer des attaques massives contre les sites étrangers par les agences occultes de l’Armée Populaire de Libération. Le fait que l’offre de dialogue sur ce sujet, émane de Xi Jinping en personne, suggère que les deux pays prennent désormais le sujet au sérieux—avec volonté de discipliner cet outil nouveau encore sans lois…
Dernière remarque : impossible d’ignorer les deux incidents graves à travers le monde qui se sont produits juste avant le sommet Trump-Xi. À 72 heures du meeting, la Corée du Nord faisait un « test » de missile, suivi le même jour par le bombardement chimique syrien. A l’évidence, ni Washington, ni Pékin ne portent de responsabilité dans ces frappes. Mais la question doit être posée, d’une intention de leurs auteurs (Kim Jong-un pour le 1er cas, Bachar el-Assad voire Vladimir Poutine pour le second) de faire capoter le rapprochement sino-américain. Dans le cas de la frappe chimique, le plan pouvait être de forcer la Chine à voter avec Moscou contre la résolution anti-Assad au Conseil de Sécurité, et de la sorte, torpiller toute chance d’accommodement à Mar-a-Lago…
La première partie du plan a bien eu lieu –Pékin a dû faire jouer sa solidarité quasi-automatique avec les russes à l’ONU. Mais la suite, un envenimement du sommet, n’a pas pu suivre –pas plus qu’un effet du missile nord-coréen. Mais il est amusant de constater, quand Chine et USA se disputent, le nombre des pays prêts à jouer gros afin de préserver ce climat négatif. Et de constater aussi leur échec final.
Baiyangdian, bucolique région de lacs et de roseaux à 160km de Pékin, vient d’être tirée de son sommeil séculaire. Avec son million d’habitants, ce district des villes de Rongcheng, Anxin et Xiongxian est catapulté Zone économique (ZE). En 20 ans, Xiongan (son nom) peut prétendre, une fois élargie de 100 à 2000km² à un PIB de 290 milliards de $, et à des infrastructures fixes de 580 milliards.
Il y a du chemin à faire. Pour l’instant, ce district pauvre, connu pour son huile de sésame et ses nattes de roseau, ne « pèse » que 3 milliards de $, 1% du PIB de la capitale.
Mais les atouts déposés dans son panier tressé par les bonnes fées du Conseil d’Etat et du Comité Central (sur ordre de Xi Jinping, qui s’y trouvait en février) sont nombreux. Des privilèges fiscaux (les mêmes qui ont fait Pudong et Shenzhen), et un appel d’air financier à attendre de trillions de dollars en quête aveugle de projets sur lesquels se déverser. Parmi les candidats figurent la SDIC, 1ère firme publique d’investissement, Hong Kong avec ses fonds et ses technologies, Sinopec qui créera le chauffage par géothermie et CRCC, groupe de transports publics.
Sur Xiongan, Pékin se dit prêt à éviter les erreurs environnementales ou spéculatives du passé. Dès le jour de l’annonce, tandis que tout Pékin et Tianjin se ruaient à Xiongan pour acheter, la police fermait 71 bureaux de vente et 35 agences, invalidait 765 ventes et arrêtait 7 aigrefins.
Le Conseil d’Etat présente la ZE comme partie d’un plan stratégique pour la grande région Pékin-Tianjin-Hebei, Jing-Jin-Ji. Il veut réinventer un maillage rurbain à haute densité, soulager Pékin (23 millions d’âmes), créer une région verte connectée et à forts moyens de communication (métro, TGV, internet), alternant résidences et centres productifs. Pékin disposera ainsi de 2 satellites urbains futuristes : Tongzhou pour l’administration, la santé et les universités, Xiongan pour le résidentiel, l’industrie propre et les services. Xiongan doit aussi s’imposer en modèle, face aux sept autres nouvelles zones économiques approuvées au même moment, dont cinq à l’intérieur du pays (y compris Chongqing), et deux à la côte (au Liaoning, et au Zhejiang).
D’autres cependant sont plus sceptiques, comme cet expert français en géopolitique, pour qui Xiongan semble avoir été conçu en monument à Xi Jinping, destiné à assurer sa postérité – après Shenzhen pour Deng Xiaoping, et Pudong pour Jiang Zemin. Autres intéressés peu convaincus : les habitants, qui craignent d’être dépossédés par la nuée d’investisseurs. « Nous vivons ici à 3000-4000¥/mois… Mais si les prix triplent, comment subsisterons-nous » ?
L’affaire a pris 14 mois à être validée : en février 2016, l’helvétique Syngenta, n°2 mondial de l’agrochimie était racheté par ChemChina, 43 milliards de $. En même temps, se faisait la fusion de DuPont et Dow Chemical (130 milliards de $) et le rachat de Monsanto par Bayer (66 milliards de $), réduisant le nombre des acteurs mondiaux de 6 à 3, qui détiennent ensemble 60% du marché des semences et 75% des pesticides et régulateurs de croissance végétale.
La reprise de Syngenta enchantait les actionnaires par la grosse plus-value offerte. Elle plaisait aussi à l’entreprise, assurée contre toute reprise hostile, bien placée désormais sur le plus grand marché du monde -1,4 milliard de bouches à nourrir, en sus de ses marchés extérieurs et de la coopération chinoise en Afrique, Asie Centrale ou au Cône Sud.
14 mois ont passé en discussions avec l’UE et les USA pour vérifier que Syngenta, chinois, ne dominera pas leurs marchés. Ils ont donné leur feu vert, moyennant la cession par Syngenta de sa filiale Adama au Californien American Vanguard, d’une majorité de ses formules pesticides et adjuvants des semences (céréales, betterave).
Pour Pékin, le profit est grand : 20 ans de recherches stériles en OGM sont oubliés. Le pays dispose à présent de laboratoires de R&D hors-pair, de quoi créer un grand succès sous 10 ans. Combinant cet outil à un effort de remodelage du terroir (remembrement) et de réforme du crédit rural et du droit foncier, la Chine est en train de se doter des moyens d’une agriculture intensive, capable de nourrir une clientèle chinoise exigeante et d’exporter.
Toutes les incertitudes ne sont pas balayées. À Bâle, Erik Fyrwald, CEO de Syngenta, croit que le management restera 100% indépendant. Mais la Chine à ce jour, n’a jamais réussi à racheter une firme sans tenter de lui imposer son propre style de gestion. En outre, ses besoins sont souvent différents de ceux du reste du monde, comme en graines oléagineuses pour lesquelles le sol chinois n’est pas adapté. La Chine saura-t-elle laisser Syngenta rechercher et produire en Chine-même, en concurrence avec des rivaux locaux malgré leurs puissants lobbies ? Saura-t-elle s’abstenir de bloquer des ventes par Syngenta à des pays avec lequel elle se trouve momentanément en litige, comme aujourd’hui avec la Corée du Sud suite au déploiement sur son sol d’une rampe Thaad anti-missiles ? Sur la manière dont la Chine réagira face à un tel défi, la page d’histoire de l’avenir reste à écrire, et rien n’est acquis.
« Impressions de Chine », de l’historienne Antonella Romano (Fayard, 2016) décrit la découverte de la Chine par l’Europe aux XVIe -XVIIe siècles, et les premières étincelles entre Occident chrétien et confucianisme chinois. On rencontrera en ce livre beaucoup d’érudition—mais même le néophyte lecteur pourra en tirer des lumières inattendues.
Un peu comme les Croisés de 5 siècles plus tôt, les Jésuites de Rome, Lisbonne ou Madrid arrivèrent à partir de 1550 dans l’Empire du Ciel, poussés par le zèle de convertir mais aussi par l’espoir de colonisation d’un monde qu’ils estimaient « inférieur ». Mais à peine débarqués, ils sentirent la puissance d’un empire millénaire et lettré. Face ce dernier, la règle du jeu apparaîtra bientôt claire : pour pouvoir rester, il faut dialoguer, et ce qu’attend Pékin des successeurs de François-Xavier (le précurseur) est un partenariat scientifique. Un défi que les Jésuites relèveront haut la main.
Arrivant en 1600 dans Pékin sous le règne de Wanli (empereur Ming), Mateo Ricci, Adam Schall, et Ferdinand Verbiest s’immergent dans la culture, maitrisant le mandarin, présentent aux lettrés la géométrie euclidienne, le théorème de Pythagore, l’astronomie européenne, et créent des mappemondes à partir de sources européennes enrichies de données locales.
En leur effort d’inculturation, Ricci et ses frères ont troqué le froc du moine pour la robe du bonze, puis les effets du Mandarin, plus conforme au dialogue avec des interlocuteurs lettrés. A l’aide de partenaires locaux, une masse considérable d’ouvrages sera produite par une poignée de Jésuites, en chinois, en latin et diverses langues d’Europe. Schall deviendra le premier membre étranger du tribunal des mathématiques, haute instance qui gère le calendrier (et donc, les rites de tout ce peuple). A la Cour, ces pères-savants se sont rendus indispensables !
Mais cette force est aussi leur faiblesse. Car le salut des missionnaires dépend de leur obéissance au prince, qui attend d’eux toute autre chose que des messes : les plans de palais, et surtout la fonderie de canons. Car les Ming (1368-1644) vivent leurs dernières années. Les Tartares arrivent, que les Jésuites vont devoir combattre, puis s’en faire accepter une fois acquise leur victoire et installée leur dynastie Qing (1644-1912).
Surtout, les chrétiens de Chine sont depuis longtemps déchirés sur leur stratégie. En 1630 ont débarqué les ordres mendiants, avec en tête les Dominicains qui regardent avec doutes grandissants l’accommodement des Jésuites avec la morale locale, et leur goût pour les sciences. Acquavita, le supérieur des Jésuites, croit que « sous le manteau étoilé de l’astronomie, notre sainte religion s’introduit plus facilement ». Hérésie pour les Dominicains, tout comme le fait de résoudre des équations au lieu de convertir ! La querelle des rites est ouverte, qui vaudra aux Jésuites dès 1646, de la part du Pape Innocent X, un an d’interdiction de laisser perdurer le culte des ancêtres.
La Compagnie de Jésus va perdre cette guerre. Plus tard hors du champ du livre, un autre empereur bannira le Christianisme, sapant ainsi des siècles de travail d’évangélisation.
Dernière étape de l’étude de A. Romano : à l’aube du XVIIIe siècle, sous les Qing, Louis XIV envoie quatre ambassadeurs-mathématiciens. C’est l’Europe du Nord qui prend le relai. Quoiqu’encore dans les ordres, ces savants préfigurent une nouvelle pensée hostile aux Jésuites, et à une influence politique des églises. Sous ce cadre moderne, la Chine sera rêvée par l’Europe des Encyclopédistes : comme une société idéale (utopique), à la gouvernance plus « sage » et éclairée.
Les Jésuites passent alors dans l’ombre, mais leur travail (et celui de leurs alliés) reste acquis : la mappemonde, la conscience d’un univers partagé entre une humanité au passé commun, à l’avenir solidaire.
Résultat surprenant, l’étude de A. Romano permet de constater qu’à cinq siècles d’écart, les préjugés entre Européens et Chinois n’ont pas tellement changé. Le missionnaire débarquant en 1550, comme l’expatrié du XXIe siècle, arrivent l’un et l’autre persuadés d’une même supériorité européenne, sous les angles de la technique et de la morale. Mais quelques années sur place suffisent à remettre les choses en place : à reconnaitre et admirer en ce monde chinois une société policée, une soif de lettres et de sciences, au moins égale à celle du « Vieux Continent » -qui se découvre finalement le plus jeune.
Le Chinois du XVIe siècle, on l’a vu, tolèrera la présence de l’hôte, pourvu qu’il pratique dialogue et échanges scientifiques et technologiques. Au XXIe siècle, la stratégie n’a pas changé – comme en témoigne le grand plan « made in China 2025 ». Rien de nouveau sous le soleil d’Extrême-Orient !
Autre surprise, les Européens qui initient leur tâche de conversion en Chine au XVIème siècle, sont les mêmes que ceux qui l’interrompent fin XVIIe siècle : des scientifiques en robes de religieux. Sous Ricci comme 180 ans plus tard sous les mathématiciens du Roy, la science a été présentée à Rome comme simple « prétexte » à la présence des moines. Tandis qu’aux empereurs, c’est l’évangélisation qui a été « vendue » comme objectif de long terme—« accessoire ». Ainsi, si la religion n’a pas triomphé, la science elle est sortie grand vainqueur du débat, promue par les chercheurs des deux pays.
Ceci nourrit notre soupçon, et aussi celui de l’auteur qui en fait ses derniers mots : entre des mondes aux attentes opposées, le travail scientifique était le seul terrain d’entente, et les savants européens, comme chinois le savaient. Aussi ont-ils sciemment imposé leur coopération aux politiques. Ce n’est pas un mince paradoxe que ce rapprochement se poursuive aujourd’hui, entre une Chine et une Europe aux systèmes politiques et idéologiques toujours opposés.
Retraitée à Cangzhou (Hebei), Qiu Zhizhen, est « mamie-tendance » (cháo lǎotài, 潮老太).
Toute sa vie, elle s’est démarquée de ses semblables, par une discipline de fer. A 81 ans, elle en fait 60 : son visage sans rides éclate de santé, et sa démarche aérienne est pleine de grâce. Sa méthode, elle n’en fait pas secret, et tient en une maxime en quatre vers, dont les premiers sont : « manger végétarien, toujours faire de la marche (基本吃素,坚持走路, jīběnchīsù, jiānchízǒulù).
Née en 1937 sous le signe du Buffle, Zhizhen trouve en cette position astrale l’équanimité positive, la force tranquille qui lui firent résister aux bouleversements du XXe siècle, de la Révolution qui débutait quand elle avait 12 ans.
Pragmatique, patiente, elle sut inspirer la confiance de la nouvelle société socialiste. En 1951, une entremetteuse lui montra la photo d’un soldat, avec lequel elle échangea des lettres pendant quelques années, et dès son retour de guerre en 1957, les deux se marièrent après seulement une seule rencontre. Elle obtint un emploi au Bureau de l’électricité, ce qui lui épargna la famine du Grand Bond en avant, les embarras des campagnes de Mao.
En 1967, quand les jeunes instruits durent quitter la ville pour des communes populaires à la campagne, Zhi-zhen, elle, put rester : Cangzhou avait besoin du Bureau de l’énergie et de son personnel. Ensuite, au terme du fleuve tranquille de sa carrière, elle put partir en retraite, sous les vivats des collègues—des techniciens de pylônes, aux chauffeurs, et même du président.
De retour au foyer, loin de céder au désœuvrement, elle prit toutes les occasions de s’occuper : la chorale du mercredi, les cours d’informatique du jeudi et tous les soirs, la gym dansante sur la place avec voisins et voisines. Avec son mari aussi en retraite, elle passait des semaines au « centre de formation » de son ex-danwei (unité de travail), en réalité un hôtel gratuit pour le personnel et ses retraités, à Weihai (Shandong) en bord de mer.
Pendant son temps libre, Zhizhen s’intéressait aux nouvelles technologies. De Pékin, sa fille Liu Hong lui apportait toutes les nouveautés, iPad et smartphone, pour rester connectées malgré la distance. Depuis 2004, la mamie maniait e-mails, réseaux sociaux, QQ, Weibo, puis WeChat. Seul souci : tous les messages devaient être tapés sur un clavier, exercice difficile pour les personnes âgées.
Tout changea la semaine du 1er mai 2016, quand sa petite-fille Meidan, descendant chez elle pour quelques jours de vacances, se mit à haranguer devant son smartphone, d’un style déclamatoire, tenant plus du théâtre que du babil coutumier. Se postant derrière l’adolescente, Zhizhen se vit alors sur l’écran et stupéfaite, l’entendit la présenter avec aplomb: « chers followers, ici Cangzhou—voici Qiu Zhizhen, la meilleure grand-mère du monde » ! La mamie devina qu’elle s’adressait à un auditoire sans doute vaste. Ce fut pour elle une révélation : son bébé d’hier était devenue une réalisatrice d’émission ! Puis Meidan, terminant son programme, prit congé : ce fut pour apprendre fièrement à l’aïeule qu’elle venait d’engranger 730¥, grâce à son nombre d’abonnés et leurs cadeaux virtuels. Depuis six mois, cette activité ludique et lucrative lui permettait de payer ses études, et de libérer ses parents de sa charge.
Mi-intriguée, mi-éblouie, Zhizhen lui demanda quel était donc son secret ! La prenant au mot, Meidan lui téléchargea l’application sur son iPad. Puis elle commença son initiation aux arcanes du live-streaming. Comme à un enfant, elle lui montra patiemment les fonctions, tel le suivi des questions du public en bas d’écran (cf photo).
Deux fois par jour, Meidan se connectait, et faisait son show. Eblouie, Zhizhen résolut de marcher sur ses traces. Dès lors, chaque émission fut pour elle sa formation continue, lui permettant de comprendre les trucs du métier, de répéter en mode hors ligne. Ce qui la bluffait éperdument, était la liberté de ce mode d’expression si simple, mais au pouvoir magique. Nul besoin désormais de perdre son temps à rédiger des messages – elle avait trouvé sa voie, et sa voix !
Arriva dix jours plus tard le baptême du feu online. Meidan la présenta une fois encore à l’invisible auditoire puis la laissa seule à elle-même, priant ses « fans » de lui faire bon accueil. Tenant en main son argumentaire, méticuleusement préparé, Zhizhen n’en était pas moins morte de trac, même à 80 balais… Mais à peine le direct commencé, la peur s’évanouit pour laisser place à la libération, l’exultation de se raconter et de passer son message. Elle avait une personnalité nouvelle, spontanément évidente, comme une seconde renaissance. Elle était la mamie universelle et indulgente dont rêvait toute une jeunesse. Elle révélait l’histoire occultée, celle de son enfance, celle du pays. Sous prétexte de souvenirs d’enfance, elle comblait un vide chez son public, le trou noir du passé caché. La tonalité qui en découlait était pétrie de confiance, de bonne humeur, et de bienveillance.
Au bout d’un temps qui lui sembla terriblement court, Meidan lui montra sa montre : à cinq minutes de la fin, il était temps de prendre congé et de remercier son public.
Hors ligne, elle s’entendit annoncer par une Meidan très fière mais un peu abasourdie, qu’avec 32.000 suiveurs pour sa première apparition, dépassant ainsi son propre score. C’était un triomphe incroyable, et de surcroît 7le record du pays dans sa tranche d’âge !
Pour lire la suite, rendez-vous la semaine prochaine…
9-11 avril, Qingdao : Qingdao Rubber & Tyre, Salon international de l’industrie du caoutchouc et du pneu
9-11 avril, Shenzhen : CEF, China Electronic Fair, Salon chinois de l’électronique, instruments de tests et de mesure
11-13 avril, Shanghai : ABACE – Asian Business Aviation Conference & Exhibition, Salon international des produits et services pour l’aviation en Asie
11-13 avril, Shanghai : Automotive Logistics Asia Conference, Conférence sur la logistique dans l’industrie automobile
11-14 avril, Shanghai : SINOCORRUGATED / SINOFOLDINGCARTON, Salon international de l’emballage en carton ondulé, du carton pliable, des services et technologies d’emballage en Asie-Pacifique
12-14 avril, Shanghai : LUXE PAK, Salon du packaging des produits de luxe
12-14 avril, Pékin : China Refrigeration Expo, Salon international de la réfrigération, de l’air conditionné, du chauffage et de la ventilation, des process pour les aliments congelés, de l’emballage et du stockage
12-14 avril, Pékin : China Sign Expo – 4N Show, Salon international de la publicité : nouveaux médias, nouvelles technologies, nouveaux équipements et matériaux
14-16 avril, Canton : AAC China, Salon international de l’industrie de la climatisation automobile
15 avril – 5 mai : Canton Fair Guangzhou , Foire de Canton