Technologies & Internet : Disgrâce d’un cyber-nationaliste

Disgrâce d’un cyber-nationaliste

La sanction se veut exemplaire : Sima Nan (司马南) le célèbre blogueur ultranationaliste a été condamné le 21 mars à verser 9 millions de yuans (1,2 million de $) d’amende pour fraude fiscale. L’homme aurait cherché à éviter de payer 5 millions de yuans de taxes en dissimulant ses revenus et faisant de fausses déclarations.

Sima Nan, dont le vrai nom est Yu Li, a connu le succès en postant des vidéos farouchement anti-américaines sur les réseaux sociaux chinois, où il était suivi par environ 50 millions d’abonnés, toutes plateformes confondues (Weibo, Douyin…). Son fonds de commerce ? Accuser des entreprises et des entrepreneurs privés, de trahir les intérêts nationaux et de collusion avec les États-Unis.

Et les exemples sont légion. En 2020, il a critiqué Yu Minhong, de New Oriental pour « sa capitalisation de l’éducation », le dépeignant comme un type d’« exploitation des parents », et a même appelé à une vague de réglementation dans le secteur des cours du soir (ce qui arriva par la suite…).

L’année suivante, Sima Nan est parti en guerre médiatique de plusieurs mois contre Lenovo, accusant son fondateur et ses dirigeants de « détournement de fonds publics » et remettant en question le bien-fondé de leurs salaires élevés. Cette polémique n’a pas été sans conséquences pour le groupe, puisqu’elle a notamment entraîné l’évaporation de plusieurs dizaines de milliards de yuans de sa capitalisation boursière… Mais pour Sima, ces déclarations-chocs lui ont fait gagner des millions d’abonnés et donc des millions de yuans. Et qu’importe si ses accusations étaient souvent exagérées et parfois sans fondements…

D’ailleurs, l’homme n’avait jamais été inquiété pour ses propos jusqu’à présent, signe qu’il avait le blanc-seing des autorités. Ses détracteurs ont bien tenté de le décrédibiliser en dévoilant que, malgré toute sa haine affichée contre les Etats-Unis, Sima et sa famille y étaient propriétaires de plusieurs maisons. Après avoir d’abord nié catégoriquement, et confronté à des preuves irréfutables, l’homme a finalement dû admettre que c’était la vérité, ajoutant qu’il n’avait « acheté qu’une petite maison pour investir ». Cet épisode n’a pourtant pas ruiné sa réputation, basée sur une image de « défenseur des petites gens ».

Le vent a commencé à tourner pour Sima en août 2022, lorsque le blogueur a vu ses comptes « gelés » quelque temps, sans qu’une raison claire soit donnée… Même chose en novembre 2024, où Sima écopait cette fois d’un ban « définitif », là encore sans davantage d’explications. Dans son dernier message sur Weibo, avant les élections présidentielles américaines, il exprimait son soutien à Donald Trump, se disant confiant qu’il aiderait la Chine dans la « conquête » de Taïwan.

Ce n’est que depuis l’annonce le 21 mars de son amende de 9 millions de yuans que l’on connaît la véritable raison de cette mise au ban des réseaux sociaux. Fidèle à lui-même, l’homme a brisé son silence en présentant ses excuses tout en imputant la responsabilité à ses agents qui, selon ses dires, auraient « gardé tout son argent » et « mal déclaré » ses impôts, choses que les principaux intéressés nient farouchement.

Il n’en est pas moins que cette fraude fiscale, certainement avérée, apparaît plutôt comme un prétexte utilisé par le gouvernement pour saper la crédibilité et la notoriété d’un cyber-nationaliste devenu gênant. Ce changement d’attitude de la part de Pékin vis-à-vis de ces blogueurs qui lavent « plus rouge que rouge » n’est pas étonnant quand on sait que redonner confiance au secteur privé est la priorité du moment. Alors, à défaut d’excuses sincères de Sima, Lenovo, New Oriental et consorts ont maintenant de quoi se consoler.

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