Politique : Le nouveau visage de l’anti-corruption

Le nouveau visage de l’anti-corruption

Depuis près d’une décennie, l’anti-corruption est devenue partie intégrante du paysage politique chinois sous Xi Jinping. Après avoir épinglés quelques centaines de « tigres » (hauts dirigeants) et quelques millions de « mouches » (petits cadres), poursuivi les corrompus jusque dans leur tombe, « rectifié » l’appareil de la sécurité publique, voilà que les inspecteurs de la commission centrale pour l’inspection de la discipline (CCID) partent à la chasse aux « mauvaises performances » des petits fonctionnaires et traquent les liens « malsains » entre les cadres et le grand capital.

Cette évolution, repérée par le think-tank MacroPolo du Paulson Institute à Chicago, se reflète dans les statistiques : entre 2019 et 2021, le nombre d’enquêtes de la CCID liés aux performances des cadres représentait 54% du total, contre 46% pour les affaires de corruption « classique ». Ces derniers mois, la CCID a d’ailleurs publié deux directives soulignant l’importance de la lutte contre « l’inefficacité bureaucratique » et a communiqué sur plusieurs cas de cadres n’ayant pas mis en œuvre les consignes du gouvernement central, perdu le contact avec la population, ou alors tenu un nombre « trop élevé » de réunions. Si les inspecteurs ont opéré ce changement d’approche, c’est que le leadership a constaté que la peur engendrée par la campagne anticorruption a plongé les cadres dans une torpeur les empêchant de prendre toute décision ou initiative. Or Xi Jinping considère ces contre-performances au niveau de base comme une « menace à la stabilité sociale et à la légitimité du Parti ».

L’autre pan de cette évolution consiste à un « découplage » entre le pouvoir et les affaires, en ciblant la collusion entre les cadres et les entreprises. C’est le cas de Zhou Jiangyong (cf photo), ex-secrétaire du Parti de Hangzhou (Zhejiang), officiellement arrêté le 10 février pour avoir soutenu « l’expansion désordonnée des capitaux ». Dans les faits, « certaines entreprises » (comprendre Ant Group) auraient effectué des « paiements déraisonnables » au frère de l’ancien dirigeant, en échange d’accès à des terrains à prix préférentiel. L’arrestation de Zhou Jiangyong est significative pour deux raisons.

La première est qu’il est plus ou moins directement associé à la « nouvelle armée du Zhijiang », une des bases de pouvoir de Xi Jinping. En punissant Zhou, Xi veut donc faire de lui un exemple. Le message est clair : personne ne sera épargné, et ceux qui ne sont pas proches de Xi pourraient être encore plus sévèrement punis.

La seconde est que l’accusation d’avoir « soutenu l’expansion désordonnée des capitaux » est nouvelle dans le jargon de l’anti-corruption. Fin 2020, Xi Jinping avait inauguré une vaste reprise en main du secteur de la tech, en employant ces mêmes termes. Cette campagne antitrust avait débuté au lendemain de la suspension en dernière minute de l’introduction en Bourse d’Ant Group. Deux semaines plus tôt, son fondateur Jack Ma s’était aventuré à critiquer ouvertement les régulateurs financiers. Une prise de position qu’il continue de payer au prix fort.

Depuis lors, le gouvernement a déclaré vouloir mettre en place un système de « feux de circulation » pour juguler les capitaux. Ce qui conduit à la question suivante : comment seront désignés les capitaux « indésirables » ? A en croire certains analystes, un critère politique fera indéniablement partie de l’équation. La CCID pourrait ainsi cibler certaines compagnies dont les soutiens ont des points de vue divergents de Xi Jinping. Pour le leader, cela reviendrait à faire « une pierre, deux coups » : lutter contre la corruption tout en affaiblissant ses opposants, en les coupant de leurs sources de revenus. En apparence, rien de véritablement nouveau sous le soleil. Cependant, cette nouvelle composante de l’anti-corruption pourrait sensiblement compliquer l’environnement d’affaires en Chine.

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1 Commentaire
  1. severy

    Ah, ben, ça alors! Si on n’a même plus le droit d’être corrompu maintenant, ça ne valait vraiment pas la peine d’acheter son ticket d’entrée au Parti communiste par la porte de derrière!

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