Politique : La visite tant attendue

Au lendemain d’un lundi noir pour les bourses mondiales et de l’effondrement des cours du pétrole, le Président chinois Xi Jinping se rendait pour la première fois à Wuhan le 10 mars. Ayant troqué son simple masque chirurgical pour un N95 plus performant, il visitait Huoshenshan, l’un des deux hôpitaux bâtis en 10 jours et géré par l’armée, puis il s’enquérait des conditions de travail des médecins et de la santé d’un malade par vidéo-conférence (cf photo). A ses côtés, figurait le tsar de l’idéologie, Wang Huning.

Ce déplacement était bien sûr éminemment symbolique. Selon l’analyste américain Bill Bishop, la visite de Xi est l’un des trois signes permettant de penser que l’épidémie est sous contrôle – les deux autres étant la réouverture des écoles à travers le pays ainsi que l’annonce d’une date pour les « deux sessions » du Parlement. On peut sans doute y ajouter un autre élément qui ne saurait tarder : la levée des mesures de confinement au Hubei et à Wuhan. Le 11 mars, la ville de Qianjiang à 150 km de Wuhan levait ses restrictions, avant de faire marche-arrière 30 minutes plus tard…

Jusqu’à présent, seul le Premier ministre Li Keqiang avait fait le déplacement à Wuhan (27 janvier), sûrement pour éviter au leader suprême de s’exposer lui-même au virus. Pendant deux semaines cruciales de l’épidémie, était pointée du doigt l’absence de Xi de la scène médiatique, d’ordinaire focalisée sur ses moindres faits et gestes. Le Président ne faisait sa première sortie publique que le 10 février… à Pékin. Mais en affirmant être « personnellement » aux commandes depuis le début de l’épidémie, Xi se devait de venir à Wuhan à un moment ou un autre.

La veille de la visite, la CCTV était plus qu’élogieuse : « la performance de Xi témoigne de son fantastique leadership et de sa sagesse extraordinaire en tant que commandant en chef, et de sa sincérité en tant que ‘leader du peuple’ qui aime son peuple ». Pourtant, plusieurs commentaires sur Weibo étaient nettement moins dithyrambiques : « il ne vient que lorsque l’épidémie est presque finie ». Certains internautes publiaient des dessins de Sun Wukong, le légendaire roi des singes « cueillant des pêches » au paradis, symbolisant le fait de s’approprier le travail des autres…

Quelques jours avant la visite de Xi, en un excès de zèle, le nouveau Secrétaire du Parti de Wuhan, Wang Zhonglin, avait suggéré l’idée d’une « campagne éducative » pour inciter les citoyens à exprimer leur gratitude envers leur Président et le Parti. La proposition reçut un accueil particulièrement hostile sur les réseaux sociaux, « comparable à la colère ressentie lors du décès du Dr Li Wenliang » selon une note interne. Un post rapidement censuré, de l’écrivaine Fang Fang, appelait les dirigeants à « ravaler leur arrogance et à présenter leur gratitude envers leurs maîtres, les millions d’habitants de Wuhan ». Rétropédalage immédiat pour Wang Zhonglin et Ying Yong, ex-maire de Shanghai et nouveau secrétaire du Parti du Hubei, qui présentèrent leurs sincères remerciements à la population.

Gardant ce tollé à l’esprit, Xi reconnaissait durant sa visite qu’avec cette longue quarantaine, le peuple peut ressentir le besoin d’exprimer ses frustrations : « il faut les comprendre et les tolérer ». Pourtant, lors de sa visite dans une résidence de Wuhan, des policiers étaient postés à presque toutes les fenêtres pour éviter que les habitants n’interpellent négativement le Président. En effet, quelques jours plus tôt, Mme Sun Chunlan, vice-Première ministre, avait été apostrophée par des résidents mécontents de la gestion de leur approvisionnement. Dans le même registre, Ying Yong, le secrétaire du Parti, se trouvait décontenancé lors d’une visite de quartier le 26 février. En effet, aucun résident n’avait de problèmes à lui faire part : « êtes-vous sûr qu’il n’y a rien dont vous voulez me parler ? Je suis sûr qu’il y a des problèmes, et on peut les résoudre ensemble», répéta-t-il. Li Keqiang recevait la même réponse d’ouvriers d’un chantier de construction d’un des hôpitaux d’urgence fin janvier. Il s’avéra par la suite que les travailleurs manquaient de masques et que certains furent contaminés.

Le Président Xi lui-même avait dénoncé ces inspections comme un moyen inefficace de recueillir des informations de terrain. Il ne veut plus de ces retours biaisés par les cadres, faussant ainsi l’aperçu global des hauts dirigeants. Le leadership faisait le même constat à plusieurs reprises lors des manifestations à Hong Kong. « C’est l’éternel problème de la remontée de l’information vers le sommet, chaque échelon représentant un goulot d’étranglement supplémentaire nuisant à la qualité du renseignement, commente Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius. De plus, aucun canal d’information ne va de la société vers le Parti, c’est toujours l’inverse ». De même, la performance des cadres est toujours évaluée par leurs supérieurs, jamais par le peuple. C’est un des éléments de la « modernisation de la gouvernance » (thème du 4ème Plénum) auquel Xi Jinping veut s’attaquer.

Seul accroc à la visite de Xi : le même jour, l’interview du Dr Ai Fen, faisait des remous sur internet. La directrice du département des urgences de l’hôpital Central de Wuhan (établissement présentant le plus haut taux de contamination du personnel soignant par déni de sa direction) et collègue du lanceur d’alerte Dr Li Wenliang, raconte avoir été réprimandée pour avoir partagé avec ses pairs une photo des tests de l’un de ses patients, entourant les mots « coronavirus de type SRAS ». L’article fut vite rendu inacessible par la censure, mais les internautes chinois, comme à leur habitude, rivalisèrent d’inventivité pour s’assurer que ce précieux témoignage ne disparaisse pas complètement : des traductions en anglais, français, coréen, en braille, des versions audios, en pinyin, par paragraphes, écrites à la main ou à la verticale, émergèrent pour éviter la détection automatique. Enfin, un commentaire devenait particulièrement populaire : « ce médecin risque son travail pour cette interview, ce journaliste risque d’être accusé d’avoir fabriqué de fausses rumeurs, ce média risque d’être sanctionné pour avoir publié cet article, et les internautes risquent de voir leur compte WeChat bloqué pour avoir transféré cet article ». Alors que Xi se plaint de la mauvaise qualité de son information, les citoyens eux déplorent son contrôle.

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1 Commentaire
  1. severy

    Un nouveau virus a été découvert.
    On croit qu’un nouveau virus a été découvert.
    Certains croient qu’un nouveau virus aurait été découvert.
    On se demande si un nouveau virus aurait peut-être pu être découvert.
    On n’est pas sûr qu’un nouveau virus aurait pu être découvert.
    On ne croit pas qu’un nouveau virus ait été découvert.
    Il est faux de croire qu’un nouveau virus a été découvert.
    Il est antipatriotique de faire croire qu’un nouveau virus a été découvert.
    Il est interdit de croire qu’un nouveau virus a été découvert.
    Tout citoyen croyant qu’un nouveau virus a été découvert aura la tête tranchée (Camarade Pagnol dixit).
    Quel virus?
    Tout ça, c’est de la désinformation américaine!

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