Les têtes n’en finissent plus de tomber. À peine quatre jours après la nomination du nouveau ministre de la Défense, l’amiral Dong Jun, trois mois après le limogeage de son prédécesseur, le comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire a démis le 29 décembre neuf hauts gradés de l’Armée Populaire de Libération (APL), confirmant une reprise en main d’ampleur du haut commandement, enclenchée en juillet 2023.
La mise à l’écart de ces individus – en plus du remplacement de l’ex-ministre Li Shangfu et de la « disparition » de dizaines d’autres officiers liés à la Force des missiles, au département du développement de l’équipement et des Forces de soutien stratégique – constitue en soi le remaniement le plus important du leadership de l’APL des 10 dernières années.
L’appareil n’a jusqu’à présent donné aucune explication à ces mises à pied, mais le spectre de l’anti-corruption plane. Il est pourtant nécessaire de distinguer la corruption dite « politique » de celle au sens financier du terme.
La première, qui déplaît fortement à Xi dans la mesure où certains se permettraient de « discuter des politiques du Comité Central » – un euphémisme qui pointe en direction du désaccord ou de la remise en cause des idées mises en l’avant par le « noyau » du Parti, c’est-à-dire Xi – demeure plus « localisée » et restreinte.
Cependant, l’accusation de corruption « politique » soulève la question de loyauté envers l’agenda politique de Xi, mais aussi celle de l’exécution des ordres. Cela laisse entrevoir que certains, tel le commandant de la force des missiles, Li Yuchao, auraient eu certaines réserves quant aux visées stratégiques de Xi Jinping. Considérant l’importance critique de cette unité pour une potentielle campagne taïwanaise, Xi ne peut se permettre d’accepter que la chaîne de commandement de la dite force soit dotée de « visages à deux faces ».
Dans le second cas de corruption, le problème se décline en deux dimensions. D’une part, les détournements de fonds, le favoritisme et les pots-de-vin dans le système d’approvisionnement ; d’autre part, la fraude en matière de contrôle de la qualité et respect des normes de production des équipements livrés à l’APL.
La découverte de failles embarrassantes dans le dispositif balistique, quelques mois après l’affaire du ballon-espion à la dérive au-dessus des Etats-Unis, aurait fait voir rouge à Xi Jinping et précipité cette nouvelle purge de l’APL. Pas question pour le leader de voir la corruption saper ses efforts de modernisation de l’armée, voire de remettre en question la capacité du pays à mener une guerre. En effet, si les armes, missiles et autres équipements sont de piètre qualité, la Chine peut-elle véritablement se lancer dans une campagne militaire dans le détroit de Taïwan ?
Voilà pourquoi il devient urgent pour Xi de rectifier le système d’approvisionnement militaire qui est supervisé par le département du développement des équipements – auparavant dirigé par l’ex-ministre, Li Shangfu, et l’actuel vice-président de la Commission Centrale Militaire et proche de Xi, Zhang Youxia. Résoudre ce problème est d’une importance cruciale non seulement pour Xi, mais pour l’APL dans son ensemble, car un équipement fonctionnel est nécessaire à la « préparation au combat ».
Pékin a déjà commencé à faire le ménage. Le 27 décembre, trois dirigeants de compagnies étatiques liées à l’APL ont vu leur statut de membre de la CPPCC révoqué. Il s’agit de Wu Yansheng (Président de la China Aerospace Science and Technology Corporation – CASC), Liu Shiquan (Président de Norinco) et Wang Changqing (Directeur général adjoint de la CASC). À cela s’ajoute les « disparitions » de Chen Guoying (Directeur général de la China South Industries Group), Tan Ruisong (ancien Président de la Aviation Industry Corporation) et de Yuan Jie (Directeur exécutif de la CASC).
En regardant simplement le nom des corporations associées à l’APL qui semblent être dans le viseur de l’appareil disciplinaire, il est facile de déduire que l’approvisionnement, les contrats et les appels d’offres problématiques semblent être en grande partie liés à l’équipement et l’armement de la Force des missiles.
Cependant, ce passage en revue de la structure d’approvisionnement de l’APL pourrait prendre un certain temps, car tous les contrats devront être revus et les équipements examinés. Selon la taille des stocks, cette inspection pourrait prendre des mois, voire des années ! Un processus susceptible d’avoir un impact non négligeable sur les capacités militaires du pays. Voilà ce qui conduit certains officiels américains à penser que Xi Jinping pourrait être moins enclin à lancer une action militaire d’envergure dans un futur proche. De quoi éloigner le spectre d’une opération contre Taïwan.
Ceci dit, l’arrestation d’un grand nombre d’officiers militaires ne résoudra pas le problème de la corruption systémique qui empoisonne la structure d’approvisionnement de l’APL. En effet, l’opacité dans laquelle opère l’APL, parfois décrite comme un État dans l’État, fait que personne ne sait vraiment comment elle dépense les milliards de yuans qui lui sont attribués. Or, sans davantage de transparence, Xi Jinping risque non seulement de perdre sa grande bataille contre la corruption, mais aussi sa prochaine guerre.
1 Commentaire
severy
16 janvier 2024 à 22:04Proposition de refrain pour l’hymne national de la Chine pop:
« L’argent, l’argent
Tout s’achète et tout se vend »
– Clin d’oeil à Gilbert Bécaud