Le Vent de la Chine Numéro 1-2 (2024)

du 15 au 21 janvier 2024

Editorial : Tour d’horizon de 2024
Tour d’horizon de 2024

Comme chaque année, le Président Xi Jinping a présenté ses vœux à la nation lors d’un discours retransmis à la télévision. Depuis son bureau de Zhongnanhai, le n°1 chinois s’est montré confiant dans l’avenir : « après avoir traversé la tempête, l’économie chinoise est plus résiliente et dynamique qu’auparavant », a-t-il lancé. 

La réalité est plus nuancée : la croissance du pays ne cesse de ralentir et il devient urgent pour le gouvernement de trouver un moyen de stimuler l’économie. Pour cela, le dirigeant compte beaucoup sur les véhicules électriques, les batteries et les panneaux photovoltaïques, qui ont tous trois eu droit de cité dans l’allocution de Xi. 

Dépeignant la Chine comme une grande nation d’innovation, le leader a également listé les avancées technologiques chinoises qui ont marqué 2023, que ce soit dans lespace, avec les missions Shenzhou, ou dans les profondeurs de l’océan, avec le submersible Fendouzhe. Le Secrétaire général du Parti s’est également réjouit du lancement commercial du moyen-courrier C919, concurrent de l’Airbus A320. Son constructeur, Comac, envisage d’ailleurs de déposer une demande de certification auprès des autorités européennes en 2024.

Il n’a pas non plus échappé au leader que les marques chinoises gagnent en popularité sur le marché domestique, comme à l’international (BYD, Shein, Temu sont les grands gagnants de 2023) et que les smartphones chinois se vendent comme des petits pains (notamment le dernier modèle de chez Huawei, pied de nez aux restrictions technologiques américaines).

Xi Jinping a également tenu à souligner les différents événements organisés par la Chine en 2023, tels que les Jeux Asiatiques de Hangzhou, le sommet Chine-Asie Centrale à Xi’an ou encore le Forum « Belt & Road » (BRI) à Pékin, manière de présenter son pays comme un acteur incontournable sur la scène internationale.

Pourtant, le dirigeant n’a pas daigné mentionner directement les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, se contentant d’évoquer « certaines régions du monde en proie à la guerre ».

De même, le Président s’est montré beaucoup moins prolixe sur les difficultés économiques rencontrées par ses compatriotes et par les entreprises chinoises, affirmant seulement sur un ton ému « qu’ils occupaient toutes ses pensées ».

Sans être doué de télépathie, on peut aussi deviner que le scrutin présidentiel à Taïwan occupait l’esprit du dirigeant chinois lorsqu’il rappela la « nécessité historique de réunifier la patrie ». Il ne pourra pourtant pas compter sur l’aide de Taipei pour cela car c’est William Lai, candidat du Parti démocratique progressiste (DPP) qualifié de « fauteur de troubles » par Pékin, qui a remporté ces élections le 13 janvier. Il faut donc s’attendre à ce que les tensions perdurent entre Pékin et Taipei cette année, avec davantage de manœuvres militaires dans le détroit, de mesures pour isoler Taipei et d’implication de Washington. Cependant, un conflit armé paraît improbable à court terme.

Toujours ce mois-ci, le 27 janvier, Paris et Pékin célébreront le 60ème anniversairechiffre hautement symbolique en Chine – de leurs relations diplomatiques. Une visite de Xi Jinping en France, nation organisatrice des Jeux Olympiques de 2024, a également été évoquée. 2024 sera aussi l’année franco-chinoise du tourisme culturel, inaugurée lors du festival des glaces de Harbin avec des sculptures grandeur nature de Notre-Dame de Paris et du Temple du Ciel (cf photo). A cette occasion, une série d’évènements culturels et artistiques seront organisés un peu partout en Chine. Retrouvez le programme complet ici.

Quelques jours plus tard, le 10 février, le monde chinois célèbrera le passage à l’année du Dragon, signe de bonne fortune, propice à la croissance et la prospérité, disent les astrologues.

Justement, on attend toujours la tenue du 3ème Plenum du Comité Central, réunion politique qui définit traditionnellement les grandes lignes économiques des prochaines années. Elle n’a étrangement pas eu lieu en début d’hiver 2023. Certains suggèrent alors qu’elle pourrait se tenir avant l’ouverture des « Deux Assemblées » parlementaires début mars. L’annonce du successeur de Qin Gang, ministre des Affaires étrangères, limogé pour de mystérieuses raisons quatre mois après sa nomination, est particulièrement attendue. Si Liu Jianchao fait figure de favori, Pékin pourrait bien nous réserver des surprises, à l’image de la récente nomination de l’amiral Dong Jun au ministère de la Défense. Autre date-clé de 2024 : la célébration du 75ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine le 1er octobre

Au plan diplomatique, Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères par intérim, a déjà annoncé se préparer au 9ème forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), qui se tiendra à Pékin d’ici la fin de l’année.

Autre échéance attendue en cours d’année : celle des conclusions de la Commission européenne suite à l’ouverture en septembre 2023 d’une enquête anti-subventions sur les véhicules électriques en provenance de Chine. Pékin a d’ores et déjà dénoncé le « protectionnisme » de l’Union Européenne et ouvert une enquête antidumping sur les eaux-de-vie de vin, comme le cognac, importées du Vieux Continent. D’autres rebondissements sont à attendre.

Enfin, s’il n’y avait qu’une seule date à retenir en 2024, ce serait sans doute le 5 novembre, date à laquelle sera désigné le 47ème Président des Etats-Unis. A ce jour, tout laisse penser que les deux finalistes de l’élection présidentielle précédente se retrouveront à nouveau pour un face-à-face. Si Joe Biden s’est montré davantage enclin à gérer la rivalité qui anime les deux grandes puissances et à éviter la confrontation, Donald Trump apporterait certainement son lot d’incertitudes aux relations bilatérales. Malgré cela, il y a un consensus parmi les analystes pour dire que Pékin préférerait voir le milliardaire revenir à la Maison Blanche. Mais les Chinois savent bien que l’avenir est imprévisible !


Petit Peuple : Fugui et Laifu (Xuzhou) – De l’utilité des allégories
Fugui et Laifu (Xuzhou) – De l’utilité des allégories

« Félicitations à Monsieur Fugui et Mademoiselle Laifu pour leur mariage ». Les caractères flottent sur l’arche gonflable rouge qui orne temporairement le fronton d’une école maternelle de la ville de Xuzhou, au nord-ouest de la province du Jiangsu. Le mariage d’un membre du personnel ? D’un parent d’élève ? Du maire de cette ville de plus de 9 millions d’habitants ? Du tout. Le mariage des deux lapins de l’école.

Tout est parti d’une remarque d’un enfant – tout juste revenu d’un mariage familial, qui a demandé à son enseignante si les lapins de l’école, Fugui et Laifu, pouvaient eux-aussi se marier. Et bien pourquoi pas ? a-t-elle pensé et l’idée a fait son chemin. Quoi de mieux pour sensibiliser les enfants à la cause animale et aux valeurs de l’amour et de l’engagement que d’organiser un mariage à l’échelle de l’école ? L’idée a plu à la direction, aux parents et aux utilisateurs de Douyin qui ont vu près de 9 millions de fois la vidéo qui en a résulté.

La cérémonie a été pensée dans les moindres détails pour ressembler le plus possible à un mariage humain. Si le marié ne pouvait pas envoyer un cortège de voitures pour venir chercher sa belle, ce sont des jeunes élèves en voitures-pédalo qui ont défilé devant les autres dans la cour de l’école, avec la cage de Laifu – recouverte d’un voile rouge traditionnel – en tête de cortège. L’école a également réalisé deux certificats de mariage en tous points identiques aux vrais. Les enfants ont ensuite pu donner aux mariés des billets de banque qu’ils avaient confectionnés et glissés dans des enveloppes rouges. La fête s’est poursuivie avec un goûter pour trinquer aux heureux mariés et les enfants sont repartis avec un petit sac de friandises à partager.

Dès le lendemain, les enfants se sont étonnés de voir chaque lapin dans sa cage : ne devaient-ils pas désormais vivre ensemble, comme une vraie famille ? Oh, la perspicacité enfantine… Il a donc fallu faire cage commune et c’est là que les choses se sont corsées. Comme chez les humains à vrai dire !

Aussi pressé qu’un singe (en vrai chaud lapin pour la traduction française), Fugui a sauté sur le dos de sa compagne avant de tomber sur le côté en poussant un cri aigu, sous les yeux éberlués des enfants. Un nuage de questions se bousculait dans la tête de l’enseignante, paniquée : fallait-il lever le lièvre et expliquer aux enfants la reproduction ? Laifu avait-elle été stérilisée avant d’être adoptée par l’école ? Que faudrait-il faire des lapereaux s’il y en avait ? Toute la journée, le raffut provoqué par les deux lapins en chaleur – dont on avait couvert la cage d’un tissu pour ne pas choquer les enfants – a confirmé à l’enseignante que la femelle serait enceinte bientôt…

La vidéo du mariage, virale, multipliait les vues et les articles écrits sur le sujet soulignaient une façon ludique d’enseigner, le pouvoir de l’imagination dans le processus éducatif. S’il fallait continuer de calquer la vie de ces lapins sur celle des humains, toute l’équipe enseignante, consternée, imaginait déjà la montagne de tracas qui les attendaient : la fête des 100 jours, celle du zhuazhou au premier anniversaire des lapereaux, les soins à prodiguer, que faire en cas de dispute ? Faire cage à part ? Simuler un divorce ? L’organisation d’une garde alternée ? L’imagination fertile de cette équipe, dûment louée sur les réseaux, allait bon train. Le directeur mit fin aux divagations. « Nous avons manqué de prudence mais tout peut se rattraper. Un lapin rusé n’a-t-il pas toujours trois issues à son terrier ( jiǎo sān , 狡兔三窟) ? Voici ce que nous allons faire. »

Dès le lendemain, les lapins furent remis dans leurs cages respectives et discrètement placés chez deux enseignants. On annonça aux enfants leur départ en voyage de noces, un long périple dans différentes provinces de Chine. Bien sûr, ils enverraient des nouvelles et reviendraient bientôt. Cela laissa du temps pour s’organiser et prendre une décision difficile : en plus de faire stériliser Laifu dès que ce serait possible, fallait-il garder un lapereau (plus commode) ou deux (plus en ligne avec la réalité des situations familiales des enfants) ou trois (plus en ligne avec ce qu’on attendait de ces futurs parents pour redresser la natalité chinoise) ? Et que faire des autres ? Les faire adopter bien sûr, ce serait un comble de les abandonner ou pire…

« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes » disait La Fontaine dont les fables étaient destinées à éduquer le fils du roi Louis XIV. Peut-être eût-il fallu préciser : « dans mes écrits et non dans la vie » !

Par Marie-Astrid Prache

NDLR : Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article s’inspire de l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors de l’ordinaire, inspirée de faits rééls.