Petit Peuple : Shenzhen – Le roi s’ennuie (1ère partie)

A Shenzhen, Xu Mouzhong, ne sachant que faire de ses milliards, passait ses journées dans les clubs huppés de la ville avec d’autres nouveaux riches, liés par le besoin de ne pas se mélanger à la populace. 

Ces 20 dernières années, tous avaient accédé à cette classe sociale intouchable par des moyens inavouables, en bourse, dans les mines ou dans l’immobilier. Ayant confié leurs affaires à des armées d’analystes et de financiers, ces chevaliers d’industrie n’avaient plus rien à faire, s’étaient vu rattrapés par le désœuvrement. 

Du matin au soir, ils menaient une vie désabusée entre les complaintes d’épouses dépensières et déprimées, les minauderies de leurs jeunes amantes, qui s’affairaient à extorquer d’eux, voitures de sport, appartements, bijoux, garde-robe, dont le design n’égalait en délire que le prix. S’ils s’exhibaient avec ces cocottes, c’était plus pour leur propres standing de notables que par amour. Quant à leurs enfants, ils étaient à la dérive, planant entre les effluves d’alcool, de drogue et de débauche.

Aussi était-ce pour fuir cet enfer pavé d’or que Xu et ses amis trouvaient refuge en un club encore plus exclusif. 

Au fond, leur seul plaisir consistait à jouer au mah-jong, réminiscence des plaisirs de leurs parents. Evidemment, le jeu d’argent est interdit en R.P de Chine, et la loi est froidement appliquée par la police dans les quartiers populaires, par des raids incessants autour des gares, des marchés et des petites gens. 

C’est pourquoi Xu avait loué une villa comme garçonnière, au n°2107 de la résidence Xiangmihu, à Futian – quartier de riches où la police se gardait de mettre les pieds. 

Dans cette élégante bâtisse à colonnes de style colonial virginien en bordure de lac, il invitait ses cinq meilleurs copains-nababs 2 ou 3 fois par semaine. Là, ils jouaient des nuits entières, entrecoupées de beuveries et cancans sur l’intelligentsia de Shenzhen, Hong Kong ou Pékin, et franches rigolades qui parfois finissaient en parties fines avec leurs « er nai » (« secondes poitrines »), qu’ils échangeaient. C’est d’ailleurs l’une de ces beautés qui leur avait présenté, en juillet 2013, un certain Zhang Yongding, émérite de mah-jong, qu’on disait la coqueluche des joueurs de cette métropole méridionale. 

Derrière la table au drap vert bouteille, Zhang s’était effectivement confirmé excellent joueur, perdant parfois et gagnant souvent, sachant écouter, rire et partager. 

Quelques mois s’étaient ainsi passés, à gagner la confiance de ces grands seigneurs. En décembre, Zhang leur avait présenté un autre joueur, Zhou, comme son co-équipier, tout en leur proposant dorénavant de passer aux choses sérieuses : fini le bricolage entre copains où l’on misait peu et recomposait les équipes à chaque jeu ! Désormais, on ouvrait une compétition de style mondial, de celles qui durent des mois. On misait sans limite, et on restait avec son équipe unique, pour le meilleur et pour le pire. Enthousiastes, les milliardaires avaient applaudi pour donner leur aval. 

Et c’est de la sorte qu’à la rencontre suivante, Zhang et Zhou arrivaient en smoking blanc, tranchant avec les polos Lacoste des richards. Même frisant la cinquantaine, ils avaient une allure sportive, le sourire botoxé, et les cheveux gominés. Par cet air de jeunesse, ils rassuraient, inspirant confiance.
On se mit à table, à bouléguer les parallélépipèdes d’opaline blanche et verte, à ériger les quatre murets en carré, de manière à ne laisser chaque jeu visible que par son propriétaire. 

Les premiers jours, les milliardaires gagnèrent « petit » – mais cela leur permettait quand même, à 1000 yuans le point, de remporter 50.000 à 100.000¥ par soirée.
C’était très bon pour le moral, et les nababs ne se gênèrent bientôt plus pour blaguer la malchance des soi-disant champions, les prenant par le bras pour les interpeller en reprenant un verre. Les perdants cependant prenaient les revers avec bonhomie, payant leurs dettes rubis sur l’ongle et sans jamais se départir d’un sourire imperturbable : « ce n’est que de l’argent », disait placidement Zhou, le plus jeune.

La chance tourna en janvier, imperceptiblement. Une nuit, les professionnels se mirent à tout rafler, doublant les enchères pour partir avec 500.000 yuans à 3h du matin. Les nababs en furent presque rassurés : il était dans l’ordre des choses de perdre parfois. Simplement, il s’agirait désormais de considérer un peu moins à la légère ces joueurs, plus coriaces qu’à première vue. 

Le problème est que dans les semaines suivantes, les pertes ne firent que s’aggraver à 22 millions de ¥, prix d’une villa avec vue sur la mer. Cela commençait à peser. « Mais alors, comment conjurer la « malchance persistante » (走黑运 , zǒu hēi yùn ) », se demanda Xu Mouzhong ? 

Nos milliardaires allaient-ils renouer avec la victoire, sortir élégamment de la spirale infernale ? Ou bien trouveront-ils le miracle les guérissant du démon du jeu ? Vous le saurez dès la semaine prochaine !

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