Politique : Ma Jian, espion, passe à la trappe

La dernière fois que l’on vit en public Ma Jian, le vice-ministre de la Sécurité d’Etat – (MSE), ce fut le 7 décembre dernier à Islamabad (Pakistan), en mission de coopération occulte. Depuis, plus rien, Ma est sorti de l’écran radar. Début janvier, un lapidaire communiqué de la CCID (la police du parti) annonça sa mise en examen pour « sérieuses infractions à la discipline ». 

<p>S’agissant d’un très haut cadre et d’une affaire de sûreté de l’Etat, les données sur sa chute sont forcément très limitées. Nonobstant, le peu que l’on a est des plus instructifs. Avec 30 ans de maison, Ma avait servi Zhou Yongkang (le « tzar » de toutes les polices durant 10 ans). Il avait aussi été proche de Ling Jihua (l’ex-bras droit de Hu Jintao jusqu’en 2012). Ma était surtout jusqu’à hier, chef du « bureau n°8 », à l’écoute occulte des diplomates, hommes d’affaires et journalistes. Par ses centaines d’informateurs en Chine et en dehors, il disposait de fichiers, moyens de pression sur tout le monde. Intelligent et travailleur, Ma avait été pressenti, en des temps meilleurs, pour passer n°1 au MSE. En un mot, il était le plus solide rempart des adversaires du Président, un des rares capables de faire obstacle aux limiers de
Wang Qishan, le chef d’orchestre de la campagne anti-corruption. 

Une autre rumeur précieuse peut permettre de deviner son chef d’inculpation. En ce pays en effet, les règlements de compte politiques et accusations de fautes internes sont souvent présentées hors du Parti comme corruption. En interne, Ma semble accusé de « factionnalisme », ayant protégé des alliés. Mais la presse le soupçonne d’avoir empoché 250 millions de ¥ de Li You, CEO de Founder, conglomérat technologique de l’université Beida. Avant la chute de Ma, Founder était en plein scandale financier, accusé par son investisseur n°2 Beijing Zenith de détournements en milliards de yuans de ses fonds. Founder aurait aussi offert d’importants dessous de table à Ling Jihua.

Duowei, site d’analyse sino-américain, propose sa lecture de ces péripéties qui agitent les entrailles du Parti : « en Chine, les secrets d’Etat peuvent s’acheter contre du pouvoir, de l’argent, ou cédés par intérêt personnel…Aussi à ce stade, Xi Jinping doit reconstruire un service de sécurité fiable et sous son contrôle ». C’est ce qu’il fait, depuis novembre 2013, en créant une Commission Nationale de Sécurité. Sous ses ordres directs, avec trois autres dirigeants (Li Keqiang le 1er ministre, Wang Qishan, Zhang Deqiang, le Président du Parlement), la Commission court-circuite le MSE. Depuis 20 ans, selon Duowei, ce dernier disposait d’un pouvoir assez fort pour paralyser tout chef de l’Etat. Aussi, après la rognure de ses pouvoirs discrétionnaires, puis avec la chute de Ma Jian, ce MSE reçoit aujourd’hui un coup peut-être fatal à son influence politique.

C’est sans doute cet affaiblissement qui permet à la CCID de faire le vide autour de Ling Jihua, frappant ses alliés (qui sont par rebond, aussi ceux de Hu Jintao). Passent donc à la trappe Huo Ke, ex-chef de division au Bureau général du Comité Central (aujourd’hui patron du tourisme), et Luo Fanghua, productrice TV de 46 ans, belle-sœur de Ling Jihua. Pourtant, comme pour « renforcer la société harmonieuse » – maintenir l’équilibre politique au sommet – un autre allié de Hu Jintao, Chen Shiju est promu n°2 au Bureau de la « société spirituelle socialiste », instance sans pouvoir, mais de prestige.

C’est sur cette toile de fond de lutte de pouvoir que s’éclaire la dernière campagne de Xi Jinping. Le 29 décembre, devant le Bureau Politique, il dénonçait les 3 « gangs » du « secrétariat », du Shanxi  et du pétrole (cf Vent de la Chine n°1). Puis devant la CCID en conclave (12-14 janvier), il insistait : « sous peine d’encourir la colère d’1,3 milliard de citoyens, le PCC ne peut se permettre de perdre la bataille contre la corruption et les factions ».
Une fois évincé, Ling Jihua fut remplacé à la tête du « Front Uni » par Mme Sun Chunlan, ex-Secrétaire du Parti à Tianjin. À ce poste, elle est relayée par Huang Xingguo, compagnon de route de Xi. Loin d’être insignifiante, cette dernière nomination est fort parlante car Huang est de ce fait éligible au Politburo, tout comme Sun Chunlan, qui l’est déjà. 

En octobre 2017, lors du 19ème Congrès, 12 des 25 membres du Politburo iront à la retraite, frappés par la limite d’âge. La pension rattrapera de même 5 des 7 membres du Comité Permanent, l’organe suprême : tous vieux compagnons de Jiang Zemin et tous sélectionnés pour leur qualité de conservateurs, placés là comme « assurance anti-réforme » pour le compte du « Hong er dai » (红二代), le club exclusif des fils de la révolution, soucieux de protéger leurs monopoles et privilèges. Les seuls pressentis pour rester au Comité Permanent après 2017, Xi et Li Keqiang, attendent leur heure. Xi aura pour priorité, d’ici là, de sélectionner les futurs co-leaders de 2017, ceux qui réaliseront avec lui et Li Keqiang la réforme institutionnelle et sociétale annoncée à leur entrée en fonction en 2013.

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