Finance : Sauver le soldat Bourse des griffes de l’« Ours »

Une tempête s’est abattue sur la bourse de Shanghai, grillant 20% de sa valorisation en 15 jours, au 18 juin. La chute était à vrai dire inévitable, après une « chevauchée fantastique » partant de 2000 points début 2014, à 5000 points début juin. 

Pourquoi ces groupes publics, constituant l’essentiel des titres cotés en bourse chinoise, ont-ils tant monté, quoique si mal gérés ? Au Centre de Recherche au Développement, Zhang Chenghui estime à 6,5 trillions de ¥ en 2015 les profits industriels et les intérêts de leur dette (égale à 1,25 PIB) à 8 trillions. Avec un tel bilan, loin d’attirer les actionnaires, ce listing d’actions boursières serait de longue date en faillite en Occident…
La raison à l’engouement a été le choix du gouvernement de gérer sa dette publique par ponction sur l’épargne et par refinancement, plutôt que par la méthode plus radicale des faillites et de la défaisance. 

Quasi instantanée, la réaction du Conseil d’Etat au dérapage de Shanghai a été dans la droite ligne de ce principe : rétablir la confiance, et lâcher du lest en forme de « prix d’appel » aux agioteurs. Les 24-26 juin, la Banque Centrale rabotait l’obligation de réserves des banques, et leur taux d’intérêt. Elle n’avait plus recouru aux deux techniques ensemble depuis 2008. Désormais, les taux d’intérêts sont à 4,85%, voire 2% pour le taux à un an. Mais surtout, les banques sont affranchies de l’obligation de geler 25% de leur capital. Selon Morgan Stanley, cela libérera 490 milliards de ¥ de crédit. 

D’autres mesures sont venues enrayer le départ en vrille de la bourse : au 1er août, la taxe boursière sera réduite de 30% (à 0,00487%), comme celle de « transfert » (0,002%). 

Et le 30 juin, le fonds public des retraites était autorisé à y placer 33% de ses 4,2 trillions de ¥ d’actifs. Vu le risque, cette mesure laisse dubitatifs bien des administrateurs. Mais ce fonds n’a pas vraiment le choix, vu l’urgence des besoins : par sa gestion prudente, il ne gagne que 2% par an – un taux négatif, moindre que l’inflation. Sous peu, il sera en rupture de paiement, vision préoccupante alors qu’approche le « tsunami des cheveux gris », où les 200 millions de sexagénaires actuels seront 500 millions en 2050. Or, les caisses de retraite de quatre provinces, telles Guangdong ou Jiangsu, depuis trois ans, gagnent en bourse 6% de revenu par an… 

Face à la tourmente boursière, on remarque la sérénité royale du Conseil d’Etat, due à l’excellente santé des banques, telle l’ICBC qui réalise en 2014, 59 milliards de $ de profit, n°1 mondial. À Bruxelles comme à Paris, Li Keqiang répète ses mantras : « la Chine va atteindre sa croissance de 7% cette année… rejeter toute tentation de stimulus fort, mais s’en tenir à la macro régulation…pour tenir l’équilibre entre croissance et ajustement » ! 

Ça marche plus ou moins : Shanghai (30 juin) regagne 5,5%, mais retombe au 3 juillet, perdant 30% depuis le 19 juin, rechutant sous les 4000 points. La tutelle CBRC reprend son épuisante chasse aux délits d’initiés –des joueurs ayant misé à court terme sur des fonds ne leur appartenant pas, et qui revendent coûte que coûte pour cacher leur délit, accélérant ainsi la débandade… 

Des observateurs (optimistes) de cette course boursière en dents de scie croient voir un Etat sûr de ce qu’il fait, qui « laisse faire la nature » pour « vacciner » ses boursicoteurs sur les risques de ce jeu —un Etat plus que jamais convaincu de les inciter à sortir leur épargne de la banque pour le placer dans la corbeille. C’est la logique du « nouveau normal » et de son outil n°1, le financement privé-public, qui doit relayer la planche à billets pour réaliser des milliers de chantiers concessionnaires en « BOT » (Build, Operate, Transfer). 

Prenons le cas de Sinohydro, auteur de nombreux barrages en Afrique comme en Asie. Désormais, ce groupe cesse de financer ses projets par les banques politiques (telle l’EximBank), avançant 85% des fonds pour se rembourser en ressources minières. L’Etat central n’a plus les ressources nécessaires. Ces barrages de conception ancienne coûtent souvent plus cher à bâtir, à entretenir que ceux de la concurrence, et peuvent s’avérer moins productifs en électricité. De leur côté, les pays-clients sont toujours plus réticents à accepter ce troc, préférant livrer leurs bois ou minerais au cours mondial (plus élevé). Aussi pour garder ses marchés, Sinohydro doit de plus en plus recourir au financement privé-public, l’outil financier des « Routes de la soie » et de leurs parcs industriels hors frontières.

Une dernière question lourde d’impact est celle du temps à disposition de la Chine pour opérer cette mutation de sa finance : la Banque mondiale admoneste le Conseil d’Etat (2 juillet) et l’avertit d’accélérer le pas. Pour elle, la cause première de la fragilité de la bourse, de l’instabilité financière est l’intervention publique massive dans la redistribution des ressources, son action constante sur la bourse et les consortia, son contrôle réel sur 95% des actifs de ses banques. Pékin est priée de séparer ses rôles de propriétaire, régulateur et planificateur stratégique, et de construire un système acheminant les fonds vers les secteurs rentables et gérant mieux ses risques. À bon entendeur…

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