Automobile : Entre ruée vers l’or et « nouveau normal »

Avec 1343 modèles exposés, 109 inédits et 209 de plus qu’en 2014 à Pékin, le Salon de l’Auto de Shanghai 2015 donne l’image contradictoire d’un secteur à la croisée des chemins, entre la chevauchée tumultueuse du passé et une stabilisation déjà visible.
C’est le salon du 1er pays producteur et acheteur de voitures (23,5 millions en 2014). Les fans s’y pressèrent, sans se plaindre de l’absence des top-modèles, d’ordinaire là pour attirer les regards. Bannies du Salon 2015 pour cause de campagne d’austérité morale, elles protestaient dans la rue, feignant, par dérision, de tendre un bol à aumônes pour compenser leur emploi supprimé. 

2014 vit s’effriter les ventes de voitures de luxe, (seulement 9% contre 13-15% en Occident), toujours au nom de cette longue campagne de frugalité. On voit se confirmer la popularité du SUV qui fait un bond, à +54% et 474.100 ventes en mars. Cet engouement exprime le besoin accru de sécurité, d’espace, et le plaisir de « dominer la situation » d’en haut.

Cependant l’engouement pour l’auto est désormais freiné : le « nouveau normal » vient réduire la vapeur.
De 14% en janvier 2014, la croissance a ralenti à 7% en décembre, et 3,9% en mars 2015. Et à ce niveau, il faut s’interroger sur le rôle négatif de la concurrence, qui force les griffes, surtout étrangères, à poursuivre une dangereuse course aux usines supplémentaires. Ford, vent en poupe (+9% de ventes au 1er trimestre) rachète Hafei (Harbin) pour 1,1 milliard de $, et bâtit à Hangzhou, créant 450.000 unités de capacité nouvelle, visant en 2017, les 1,8 million de ventes. Même boulimie chez Volkswagen qui pour 18 milliards d’€ en 4 ans, veut porter la production de 3,65 millions à 5 millions en 2019. General Motors aussi, met 16 milliards de $ pour « développer de nouveaux modèles ». Hyundai n’est pas de reste, créant au Hebei sa 4ème usine.

Tout ceci ne tient compte que des chiffres de vente d’il y a 18 mois. Aujourd’hui, toutes les grandes villes commencent à brider leurs immatriculations. Or après cela, quel marché restera-t-il ? Les villages ? L’export ? Le risque de surcapacité est grand ! 

Et c’est à ce moment qu’un autre phénomène inattendu, intéressant, s’esquisse : l’industrie allemande se met à patiner, comme victime de son succès. VDA, club des constructeurs allemands, prévoit pour 2015 des ventes chinoises à + 6%, moitié du score de 2014. VW commence à être régulièrement attaqué dans les média : par deux fois en mars sur CCTV, VW (mais aussi Mercedes-Benz et Nissan) a été accusé de surfacturer les pièces détachées et autres services inutiles, et d’ignorer sciemment des fuites d’huile sur certaines séries. En avril, Shi Tao, ex-vice-directeur de la JV FAW-VW à Jilin, écopait de la perpétuité pour 5,3 millions $ de pots-de-vin.

Daimler aussi est à l’amende (56 millions de $) en plein Salon (au moment le plus dommageable) pour entente sur les prix. Pékin semble ainsi se mobiliser pour enrayer la progression allemande et « sauver la diversité automobile » sur son sol. Pour sauvegarder ses 22% de parts du marché, VW explore des voies nouvelles, telle la voiture « low-cost et sympa », en symbiose avec Great Wall, plus à l’aise dans ce style… 

À ce jeu de vases communicants, ceux qui devraient remonter sont les groupes depuis longtemps dans l’ombre, ayant mis le temps à profit pour créer leur réseau de vente et centres de R&D, à la recherche d’une image fraiche et originale. Geely, ayant racheté Volvo en 2010, booste la production en Chine, en Belgique, aux USA (usine projetée à 500 millions $). Il s’est offert les services de P. Horbury, designer britannique qui signe la berline GC9 aux élégantes références locales (avec dans l’habitacle les lignes du pont « demi-lune », et de la robe « qipao »). 

À Shanghai avec Dongfeng, son actionnaire à 14% et partenaire, PSA ouvre un centre de R&D à 200 millions de $ ,dont 40% à charge de Dongfeng. C’est une première : jusqu’alors, les constructeurs chinois reprenaient les châssis du partenaire étranger. Disposant d’une solide image en design, finition et accessoires pour ses 3 marques (Peugeot, DS et Citroën), PSA a vu ses ventes augmenter de 32% l’an dernier, à 734.119 contre 637.682 en France, et construit aussi sa cinquième usine en Chine (capacité de 360.000 unités), pour viser les 1,2 million de ventes en 2020. Le concept-car Aircross de Citroën (cf photo), dévoilé au Salon, devrait sortir sous motorisation turbo, hybride voire sous « 5 à 8 ans » en version électrique. 

Côté France toujours, tout arrive : après 20 ans de peine, Renault finit par ouvrir son usine à Wuhan, avec le soutien du partenaire Nissan. Il veut atteindre « 750.000 ventes » d’ici 2020, avec deux SUV à sortir en 2016.

Il ne faut pas négliger deux secteurs marginaux, à la fois « à la traîne et d’avenir » :
– les voitures hybrides ou électriques, où pas un groupe ne se permet d’être absent. Faute d’un réseau national, crédible de recharge, et de batteries performantes, et en dépit d’un régime de subventions, ce secteur n’a réalisé l’an passé que 75.000 ventes (3% du marché). Mais même ainsi, il doit dépasser cette année le n°1 mondial américain (95.000) moyennant le maintien, pour quelques années, de la subvention étatique de 20.000 à 55.000 yuans selon le modèle.

– De son côté, la « smart-car », voiture « intelligente » est annoncée par des géants de l’internet tels Tencent, Alibaba ou Baidu, mais sans un seul véhicule à vendre, ni fonction nouvelle réellement utile… Affaire à suivre au Salon de l’Auto de Pékin en 2016 !

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