Petit Peuple : Xi’an : Liu Juyou, drogué malgré lui (2ème partie)

Résumé 1ère partie : Liu Juyou se fait embarquer lors d’un contrôle de police, début septembre à Xi’an (Shaanxi), testé positif à la consommation de drogue. Sachant bien qu’il n’y avait jamais touché, ce chauffeur de 26 ans se retrouve en préventive et doit seul faire la preuve de son innocence…

Pendant tout ce temps en Centre de détention, Liu Juyou ne se laissait pas abattre mais réfléchissait fiévreusement : d’où venait cette intoxication, s’il n’avait touché à la drogue ?
Soudain, à l’aube de la cinquième nuit, la lumière fut. Il se rappela « la Céleste nouille », son dernier bouiboui favori, découvert par hasard. Étirées à deux bras à la mode de Lanzhou, les nouilles n’avaient rien de mémorable, mais la sauce était magique. A la tomate se mariait l’oignon fondu, l’ail et la ciboule, la sauce d’huitre et la pâte de piment du Sichuan, assez épicée pour réveiller un mort, mais étrangement subtile. Puis son palais gardait souvenance de ce quelque chose d’entêtant, qui ne demandait qu’à y revenir… La drogue avait dû être jetée dans la marmite, il n’y avait pas d’autre solution ! C’était le poison mortel planqué dans le plaisir, la « balle enrobée en dragée » (糖衣炮弹, tángyī pàodàn) !

Liu saisit alors son portable—qu’il avait eu la sagesse de conserver en position éteinte depuis 5 jours, pour le faire durer. Il appela Li Zhenhe, son épouse. La voix tremblante, il lui dit son soupçon. Il la pria d’aller avec l’oncle Wang, la tante Xie et son frère Zhaohua, déjeuner à la Céleste nouille, puis d’aller se faire tester. Elle promit de le faire toute affaire cessante.
Heureux de pouvoir assister leur proche dans la détresse, tous se retrouvèrent derrière les tables en formica avec des mines de conspirateur, à déguster leurs bols de « lamian ». Puis la dernière bouchée ingurgitée, ils poursuivirent à pied vers l’hôpital. Le temps de se plier aux formalités, de faire les files d’attente, le verdict des laborantins tombait : Liu avait vu juste, les nouilles étaient plombées à l’opium ! 

Armés des certificats des médecins, ils allèrent en cohorte au commissariat central. Après les avoir écoutés, les limiers de la brigade des stups foncèrent en voiture, sirène enclenchée, vers la guinguette. Là, ils n’eurent même pas besoin d’attendre les résultats de l’analyse de la sauce : Zhang, le patron, leur confia fièrement pratiquer sa recette de famille comme son père, son grand-père et depuis 5 générations. L’opium, c’était des têtes de pavot dont il avait acheté 2kg dans la montagne. Il l’avait fait « pour l’arôme et le business » car en ces temps difficiles, le client se faisait rare. Or, avec son ingrédient-miracle, il était le seul du quartier à n’avoir pas eu besoin de casser ses prix. Sur cette belle confession, le malheureux gâte-sauce fut coffré. 

Informés du succès de l’opération, les membres de la famille de Liu retournèrent au commissariat, fiers d’avoir élucidé ensemble l’énigme et s’imaginant que le chef d’inculpation de leur proche était caduc. Quelle désillusion, ils se heurtèrent à un « non » catégorique ! Le boulot des agents était d’enfermer les toxicomanes, pas de les relâcher au premier prétexte. Or, toxico, Liu l’était sans discussion. Et qu’est- ce qui leur disait que Liu n’était pas venu chaque jour en toute complicité, prendre sa dose d’opium dans ses nouilles ? Hypocritement, les pandores se refusaient à amoindrir leur palmarès, leurs statistiques d’arrestations, dont dépendaient leurs primes. Après 15 jours d’échanges verbaux exaspérés, à bout de patience, l’épouse balança toute l’histoire sur Weixin (WeChat), suscitant à travers le pays des milliers de réactions hilares ou indignées. Ainsi, le centre de détention entrouvrit ses griffes, relâchant le chauffeur plus mort que vif. Depuis d’ailleurs, il jure que jamais plus il ne remettra les pieds dans un restaurant, et ne mangera que la cuisine de sa femme.

Le patron du bouiboui, plus chanceux, fut élargi le même jour que le chauffeur, après seulement 10 nuits à l’ombre. Joua en sa faveur le fait qu’il s’agissait d’une recette bien connue, interdite depuis quelques années seulement. La dose en alcaloïde était trop faible pour susciter une dépendance : sa bonne foi semblait donc établie. Toutefois, avant d’être autorisé à refranchir le lourd vantail d’acier, Zhang avait été prévenu: son affaire n’était pas close, il pourrait être poursuivi à l’avenir. 

Une fois à l’air libre, le cuistot fit le point sur sa mésaventure. Philosophe de nature, il se dit qu’au fond, une telle épée de Damoclès sur sa tête ne changeait pas grand-chose à sa situation. Se faire du souci sur la menace éventuelle d’être recoffré, ne ferait que ruiner sa santé. Mis à part l’usage du pavot comme condiment, dont il s’abstiendrait désormais comme de la peste, il s’empresserait d’oublier toute l’affaire. Sur ces bons mots, en sifflotant, il se remit en chemin.

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