Monde de l'entreprise : Dumex (Danone) – Une patiente odyssée…

Dumex (Danone) – Une patiente odyssée…

L’histoire de Danone en Chine est aussi tumultueuse que celle du marché laitier chinois : pleine d’avancées éclair abruptement freinées. C’est que ce parcours se déroule dans un pays qui ignorait le lait 25 ans en arrière, qui a découvert entretemps son importance cruciale pour la croissance des jeunes, et depuis lors n’en a jamais assez, de qualité !

En 2008, le lait chinois subit de plein fouet le scandale de la mélamine, où nombre de producteurs furent attrapés en train d’allonger leur lait maternisé de poudre de plastique : 300.000 bébés avaient eu les reins bloqués, dont 6 en étaient décédés. Les conséquences subsistent encore aujourd’hui : les producteurs chinois qui assuraient alors 70% de la demande, n’en détiennent plus que 30%. En 2013, l’étranger a vendu à la Chine pour 16 milliards de $ de lait en poudre. La Nouvelle-Zélande, reine mondiale du lait, augmentait ses ventes à la Chine de 55% grâce à sa coopérative géante Fonterra. 

Danone bloqué par deux affaires.

Danone, n°2 mondial, détenait alors sur ce marché une part honorable, 19%, notamment via Dumex (sa filiale de lait maternisé) qui assure la moitié de ses ventes dans le pays. Mais depuis lors, sa progression fut ralentie par deux incidents sans lien avec sa qualité. Fonterra, fournisseur de Dumex, annonça par erreur la présence dans sa matière première d’une bactérie tueuse. De ce fait, Dumex dut rappeler des milliers de boites, et ses ventes baissèrent d’un tiers. Danone chuta à 12% du marché—un procès est en cours. 

‚A même époque, le ministère des Finances accusa 5 groupes étrangers dont Dumex, de corrompre les médecins pour qu’ils prescrivent leur lait. Véridique, un tel dérapage s’expliquait par une tentation inévitable : les praticiens chinois gagnent en moyenne 400€ par mois, moins qu’un cuisinier !

L’Etat se devait donc d’intervenir : vu la pénurie en lait importé, les prix explosaient. Circonstance aggravante : le signe astral de 2014, le Cheval, est perçu comme un animal de bonne augure. Et hasard malheureux, au même moment, l’Etat a été amené à assouplir le planning familial, augmentant les cas où le couple a droit à un second enfant.

Par conséquence, 2014 promet de voir 16 millions de bouches supplémentaires (+5%), dont 70% seront nourris au lait en poudre du fait que 70% des jeunes mères préfèrent donner le biberon dès les six 1ers mois, pour pouvoir retourner plus vite au travail. 

Une remise à plat de la qualité 

Dumex Qualite Hefei AnhuiSi le Conseil d’Etat s’intéresse davantage aux étrangers, c’est dans le cadre d’une remise à plat intégrale du secteur alimentaire, visant à éradiquer progressivement tout scandale à l’avenir, et aussi pour rétablir la confiance. Selon Boris Bourdin, patron de Dumex Chine, il n’est pas rare pour une mère de changer 2 à 3 fois de marque durant la lactation, dans l’angoisse d’offrir à l’enfant unique le meilleur départ dans la vie. 

Aussi, la loi fut modifiée pour recadrer tous les producteurs, locaux et extérieurs. Pour accorder son nouvel agrément, la Food & Drug Administration chinoise vérifie désormais pas moins de 37 critères de la chaîne de production : une procédure « au moins aussi sévère, explique Bourdin, que celle de l’Union Européenne ». Et lors de l’inspection, c’est la tolérance zéro. Visitée par erreur, une usine fromagère britannique qui n’exportait même pas vers la Chine, se vit éliminée suite à quoi tout fromage britannique fut banni sur sol chinois.

Confier le marché aux groupes étrangers ? 

Sur son marché fragmenté, la Chine compte 128 groupes de production. Elle veut en réduire le nombre à « 10 groupes, assurant plus de 160 millions de $ par an ». Ces géants sont aujourd’hui 6, et contrôlent 45% du marché : autant dire que parmi les 122 autres « pesant » ensemble 55% du marché (soit 0,5% en moyenne), l’autorité de tutelle a de la marge pour faire le ménage, dans les mois qui suivent, pour supprimer la licence ! 

Question pertinente : vu les dérapages à répétition constatés au fil des années chez de grands groupes locaux, tels Mengniu ou Yili, et vu l’avance technologique écrasante de concurrents, tels Danone ou Nestlé, se pourrait-il que Pékin envisage de confier son marché aux étrangers ?

La solution serait tentante, pour s’assurer une offre de qualité, sans l’épée de Damoclès d’un scandale un jour ou l’autre, mettant à risque la stabilité du pays et du régime. Or, le fait de contrôler depuis 2013 les étrangers plus que les autres, peut faire croire que l’Etat était en train de préparer ce type de solution. C’est du moins ainsi que voyait les choses, début 2014, le CEO d’un autre important groupe étranger. 

A Shanghai pourtant, le patron de Dumex n’y croit pas, notamment pour des raisons de géostratégie alimentaire : « aucun pays, ni même la Chine, ne peut accepter de confier la santé de ses enfants hors frontière. Ne serait-ce que parce qu’en cas de conflit, l’étranger aurait un moyen de pression imparable, en pratiquant l’embargo sur l’aliment de ses nourrissons ». Aussi, la Chine publiait, le 13 juin, sa liste des 19 premières firmes ayant reçu son agrément. Elle incluait les géants Mengniu et Yili, mais aussi Nestlé—cette dernière parce qu’une partie de ses produits vendus en Chine, sont également produits sur place. 

La campagne anti-étranger de l’été 2013 a entièrement changé la donne. Tous les producteurs (pas seulement ceux pris sur le fait) ont dû repenser dans l’urgence leurs pratiques commerciales, licencier à tour de bras, faire amende honorable pour contenir leur dégât d’image. 

Dumex a renforcé son site internet de recettes pour bébés et de conseils aux jeunes mamans. La marque maintient aussi son très populaire centre d’appel de 300 conseillers nutritionnels – en 4 ans d’activité, il a traité 5 millions d’appels. «  Face à leur maternité, estime Bourdin, les jeunes Chinoises n’ont pas la vie facile. Comme elles ne peuvent souvent concevoir qu’un enfant par couple, elles n’ont pas le temps d’accumuler de l’expérience. Elles n’ont ni sœur, ni même souvent mère, à qui parler – elles doivent se débrouiller seules ».

Dumex s’est également raffermi sous l’angle éthique, pour devenir inattaquable. Du haut en bas de l’échelle, tout son personnel doit maintenant apprendre la dimension morale de leur mission – « les bébés sont vulnérables – nous avons charges d’âme ». On leur enseigne la responsabilité, la capacité d’appel à l’aide si nécessaire, et d’esprit d’équipe en cas de problème, histoire d’éviter à l’avenir la délation et l’ambiance désastreuse qui s’en était suivie…

Un lait révolutionnaire pour l’avenir… 

DumexPour l’avenir, Dumex se préoccupe de la pollution, qui bouleverse le développement normal des tout-petits en les forçant à vivre calfeutrés. Or, explique Bourdin, «  les 1000 premiers jours conditionnent toute notre vie ». Aussi, puisque cette pollution est là pour durer, les laitiers vont chercher à compenser les carences futures, en ajoutant des éléments nouveaux au lait. Cela commence dès la césarienne, très mauvaise pour l’enfant car elle le prive des anticorps que donne le passage naturel du fœtus via l’utérus. On compensera par un apport de bactéries digestives et de nutrions. Ensuite, l’enfant sortant moins à l’extérieur et se dépensant moins, le lait sera allégé en calories – moins de protéines et d’acides gras. 

Puis dès l’âge de 2 ans, alors que l’enfant apprend normalement à mastiquer en fourrant dans sa bouche tout ce qu’il trouve dehors, les petits chinois ne pourront plus le faire désormais en passant leur temps enfermés à l’intérieur. Aussi, les pédiatres nutritionnistes de Dumex formulent un complément de nutriments plus fermes à mâcher dans les « bouillies » pour compenser.
C’est par cette présence toujours plus axée sur le service et le dialogue que Danone/Dumex, mais aussi les autres groupes laitiers mondiaux parient sur leur maintien en Chine : en apportant en tout temps un plus, par rapport aux producteurs locaux !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
14 de Votes
Ecrire un commentaire