Monde de l'entreprise : Dongguan : le soulier insurgé

Dongguan : le soulier insurgé

Au Guangdong, Yue Yuen, géant taiwanais, est au soulier l’alter ego de Foxconn dans le smartphone : un producteur à façon pour 60 marques internationales, Nike, New Balance... Entre ses 7 usines de Dongguan et à l’étranger, en 2013, Yue Yuen produisait pour 7,5 milliards de $ de chiffre d’affaires, avec 435 millions de $ de profits. 

Yue Yuen entra en crise en mars, quand une employée en retraite après 18 ans de maison, se plaignit d’une pension tronquée – le groupe n’avait pas cotisé selon la loi. Apparemment, la pratique est courante en Chine, où en 10 ans, sur les 400 industriels vérifiés par China Labor Watch, pas un seul ne respectait les parts patronales des assurances sociales. 

Cette fois, la situation s’embrasa : très informés de leurs droits, notamment par des ONG locales, telle Chunfeng Labour Dispute Service, les travailleurs communiquaient par les réseaux sociaux, Weibo ou WeChat. Mardi 15/04, 40.000 d’entre eux débrayaient (cf photo) – la police se contentant de protéger les bâtiments. Ils exigeaient le rattrapage des cotisations (en retard d’au moins 200¥ par mois par employé), et +30% de salaire. Le jour même, Yue Yuen offrit la régularisation sur 24 mois : les grévistes refusèrent, craignant que les patrons ne ferment les usines, sans honorer leur parole, pour se replier sur celles d’Indonésie et du Vietnam. 

Détail intéressant : les grévistes ayant refusé d’être représentés par le syndicat unique (organisation de masse universellement déconsidérée en Chine), ce furent des cadres du Parti local qui négocièrent pour eux, face à la direction. Après 5 jours, aucun accord n’avait été trouvé et le temps jouait en faveur des travailleurs. Car les clients, Adidas et Nike, en rupture de stock, s’impatientaient, et n’aimant pas voir leur image ternie par des pratiques d’entreprise illégales. 

Le 15/04, à Canton (ville voisine), un tribunal jugeait 12 membres d’une milice, pour « désordre public ». Ils avaient menacé leur employeur (un hôpital) de suicide collectif, suite à un conflit salarial. Fait remarquable, se démarquant de sa main lourde habituelle, le juge prononça le non-lieu ou le sursis pour 3 accusés et condamna les autres à des peines légères – quelques semaines, compte tenu du temps déjà purgé. A en croire les experts, le Parti (qui décide des verdicts) cherchait une voie de sortie à cette affaire, car un verdict lourd ferait risquer l’explosion dans le monde du travail. 

De ces deux histoires simultanées, la leçon pourrait être qu’avec les méga-usines installées sur son sol, l’Etat ne puisse plus longtemps s’offrir le luxe d’une absence de dialogue entre patrons, employés et lui-même.

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