Politique : 3ème Plenum : vol au-dessus d’un nid de réformes

Les jours suivant le 3ème Plenum du Comité Central, la majorité des observateurs (à quelques exceptions, dont Le Vent de la Chine)
exprimaient leur déception face à des résultats qui semblaient en deçà des espérances. 

Puis 3 jours après, le 15 novembre, parut le plan de réforme complet en 60 points, qui changea la donne, présentant certaines avancées, et permettant surtout d’évaluer leurs implications d’ici 2022… En voici les points essentiels.

Retrouvez notre analyse complète sur ce crucial 3ème Plenum dans notre prochain supplément de l’étude « Xi Jinping, la nouvelle ère ». Commandez dès à présent !

3eme PlenumXi Jinping assume tranquillement la paternité du plan de réforme : il affirme sa capacité à négocier le tournant d’une gouvernance nouvelle, en reprenant une partie des pouvoirs des institutions-tours d’ivoire en place (NDRC, CMC, SASAC…). 

Hier, Xi se présentait en héritier de Mao Zedong, le voici sacré « fils de Deng Xiaoping », qui obtient auprès de l’opinion un second état de grâce : par l’espoir de rééquilibrage social et de relance économique d’ici 2022.
28 très hauts cadres iront dans les provinces, hérauts du paquet de réformes, pour l’expliquer, écouter les critiques et ainsi, isoler les adversaires. 

Le Comité National de Sécurité : Il faudra suivre de près ce futur organe suprême, qui aura le dernier mot sur la conduite du Parti, de l’APL, de la justice, police et sécurité d’Etat – sur tout en fait, sauf sur l’économie. 
Il devra :  coordonner les corps de l’Etat – faire passer la réforme contre les intérêts lobbyistes; ‚ prévenir les dérapages internationaux (mer de Chine, Sud-Est du Tibet) ou intérieurs (émeutes ethniques, manifestations anti-pollution, corruption, scandales alimentaires, faillites et licenciements massifs); ƒ prévenir d’éventuelles menaces sur la légalité constitutionnelle (récemment, un homme tout-puissant, Zhou Yongkang, aurait pu lancer 1,5 million de policiers en armes pour installer Bo Xilai à la tête du régime). Tout cela revient à recréer un exécutif fort, aux mains de Xi Jinping. 

Finance : la clé de voute de la réforme boursière, sera le passage de valeurs « approuvées » à des valeurs « enregistrées ».
Sans besoin de piston, toute firme candidate pourra lancer ses titres, une fois le cahier des charges respecté. Autrement dit, la bourse chinoise quitte un système manipulé (empire de délits d’initiés), pour les normes internationales. Ce qui suppose des amendements de loi, et bien des résistances d’intérêts cachés, hostiles au désengagement du Parti dans la bourse. 

Ce tournant était en fait préparé depuis 2012, par le blocage de toute nouvelle introduction pour forcer les candidats et la tutelle à réévaluer l’exactitude des données soumises.
Xi Jinping promet aussi d’en finir avec l’intervention sur le cours du yuan, et la fixation d’un plafond aux taux d’intérêt des banques (à des dates et selon des étapes non précisées). D’ici fin 2014, il mettra les statistiques aux normes mondiales. Ceci aidera à réévaluer le logement privé (en vue de l’introduction d’une taxe foncière, destinée à compenser les provinces pour leur abandon des expropriations comme levier budgétaire), le revenu paysan, et les stock-options.
Au bénéfice des zones franches, une base de données des emprunts individuels verra le jour, complétant celle existante sur l’endettement des entreprises.

Tian An Men

Sur les entreprises d’Etat, la réforme est modeste, mais significative.
Celles-ci sauvent leur statut de pilier stratégique (accès au crédit, aux terrains, impôts quasi nuls, monopole sur leur marché). Mais elles devront s’entrouvrir au privé et à l’étranger – même dans la finance, les télécoms, l’énergie. Surtout, elles devront fonctionner à égalité d’accès en bourse, accès au même taux d’intérêt, aux mêmes lots de terrain et, pour leurs employés, l’octroi des mêmes stock-options.
Ce cadre nouveau change instantanément les décisions d’affaires : la banque de développement (CDB) ajourne le lancement d’une obligation de routine, destinée à financer ses prêts aux provinces – la rémunération trop généreuse qu’elle devrait offrir, lui aurait fait risquer des pertes. 

Dans au moins un cas, les grands gagnants de la réforme sont les consortia pétroliers. Pour les aider à tenir les délais de passage aux carburants propres (de 2014 à 2018 pour l’essence et le diesel, du standard III aux standards IV et V), le Conseil d’Etat a toléré (23/09) des hausses de tarifs très supérieures aux surcoûts de raffinage. 

Planning familial : après 40 ans, le principe d’« un enfant par couple » voit le début de la fin.
Si un des deux parents est fils unique (ce qui est presque toujours le cas en ville), ils peuvent avoir un deuxième enfant, une fois le système validé par la province. A Canton, deux-tiers des parents seraient intéressés, mais une fraction d’entre eux avouent devoir renoncer vu le coût de la scolarité et le déficit déjà criant en crèches. L’influx de naissances attendu représente 1 million par an nationalement, dont 100.000 dans le Guangdong, et risque d’augmenter les frais pour les parents, à un niveau insoutenable. 

Judiciaire : Xi Jinping ouvre une brèche dans ce fief imprenable du Parti.
Concession apparente, il confie au niveau provincial les budgets des 3.500 tribunaux et les nominations des 200.000 juges, renforçant ainsi le pouvoir local. Mais c’est pour mieux réaffirmer le principe d’indépendance des juges, et pour limiter le champ d’action du « comité d’adjudication » : le juge seul responsable, doit préparer seul son verdict.
En outre, comme promis en janvier par Meng Jiangzhu, chef de la Sécurité publique, les camps de rééducation par le travail (劳改所, láogǎi suǒ) sont abolis – mais rien n’est dit sur ce qui leur succédera.
Enfin, concernant la prévention de la corruption, le Comité Central propose aux cadres des logements de fonction durant leur mandat, et la constitution d’un fichier national des biens privés – y compris donc, ceux des apparatchiks.
Enfin, dans l’ensemble, le climat d’ouverture est tel que Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix, ose réclamer depuis sa prison une révision de sa condamnation à 11 ans pour « subversion ». 

Des zones d’ombre : parmi les objections au plan de réformes du Plenum, l’une se distingue par sa pertinence.
Succédant à des décennies de sevrage du crédit aux PME, une ouverture massive ne va-t-elle pas faire plus de mal que de bien ?
Parmi les 42 millions de PME assurant 69% du PIB et 80% de l’emploi, bon nombre sont en très mauvais état, antiques, polluantes, dangereuses, à un niveau très bas de formation et de technologie propre. D’autres PME, propriétés des communes, ont un peu plus de savoir-faire, mais leurs secteurs sont en telle surproduction (solaire, acier, chantiers navals), que l’Etat va devoir la résorber, causant de lourdes pertes d’emplois pour permettre aux survivantes de renouer avec le profit. Injecter du crédit à telles firmes, ne fera rien pour assainir le secteur. 

Autre souci : la bulle immobilière, dont même de grands groupes fonciers se mettent à redouter l’éclatement, du fait de la multiplication de bâtiments neufs et déserts à travers le pays. 

D’où la question de l’économiste Andy Xie : dès lors que le crédit cesse d’irriguer les conglomérats et les infrastructures qui tiraient traditionnellement la croissance, l’économie peut-elle éviter un atterrissage brutal ? Le tandem Xi jinping – Li Keqiang aura bien besoin de doigté pour éviter l’accident de parcours, en cette mer agitée.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
13 de Votes
Ecrire un commentaire