Editorial : Bo Xilai – la dégringolade vertigineuse

Bo Xilai   Wang Lijun

Un instant freinée, la pompe à rumeurs de l’affaire Bo Xilai a repris de plus belle.

À foison, les précisions tombent sur la mort de N. Heywood, vieux confident de Gu Kailai l’épouse de Bo. Fin novembre, elle l’aurait fait tuer au Nanshan Lijing, hôtel hors de Chongqing, après qu’il ait prétendu à une part trop grande des fonds qu’elle lui demandait d’exporter au noir, puis qu’il ait menacé de la dénoncer.

Après le meurtre (maquillé en mort éthylique), 60 jours de silence auraient traduit le refus des policiers de signer ce faux impliquant de si hauts noms. Wang Lijun, leur patron, aurait repris le cas et présenté à Bo (18/01) ses conclusions – l’enquête devait avancer. Wang est alors suspect d’avoir lâché son protecteur en omettant d’effacer les traces du crime. Peut-être parce qu’il travaillait aussi pour Pékin. Bo aurait d’abord cédé puis, se déjugeant trois jours plus tard, aurait tenté de démettre Wang de ses fonctions, provoquant ainsi sa fuite (07/02) au consulat américain de Chengdu, départ de toute l’affaire.

Dans la presse, on tente d’évaluer la fortune du couple Bo, de son épouse et de ses quatre soeurs : entre 126M$ et… 1,2MM$, entre Hong Kong et les Caraïbes.

Depuis, Pékin tente de mitiger les conséquences.

Le 1er ministre Wen Jiabao relance ses vieilles promesses de lutte anti-corruption. La presse célèbre le limogeage de Bo comme « victoire de l’Etat de droit ». Mais cette fois, les mots pourraient être suivis d’actes. Au Quotidien du Peuple du 17/04, un édito relate l’exécution en 1952 de deux généraux coupables de concussion : Mao Zedong estimait leur mort nécessaire, au nom de la rentabilité. Il fallait éviter « le même sort à 2, 20, 200 ou 2000 officiers tentés de suivre leur exemple ». Mais en ce « papier », les experts voient un 1er pas du régime, pour préparer l’opinion à un sort identique pour Bo. Idem, Zhou Yongkang, le policier au Comité Permanent, protecteur de Bo, serait en examen.

Émis de Zhongnanhai, de tels bruits confirment le dégât d’image infligé au Parti communiste chinois, et le désarroi dans les hautes sphères. Cette affaire qui conjugue vieilles haines de factions, meurtres, collusion en vue de coup d’Etat et détournements de biens publics en milliards de $ sont incompatibles avec la morale socialiste, et compromet le petit nombre de familles  se partageant depuis 60 ans le pouvoir. L’affaire Bo est comparée à celle de Lin Biao : jamais élucidée, la disparition du maréchal en 1971 avait porté l’intelligentsia à changer de regard sur Mao Zedong, comprenant qu’il servait plus son pouvoir personnel que la Révolution. Bo est fils de Bo Yibo, un des fondateurs du régime. Entre la légitimité du système et la règle tacite d’impunité des 高干子弟 (gaogan zidi, fils de hauts cadres), il va falloir choisir.

Le scandale fait tâche d’huile. Commissaire politique au département logistique de l’APL, l’armée chinoise, Liu Yuan limoge (19/02) le général Gu Junshan, n°2 de ce même organe, dont la corruption  s’étalait en son palais au centre de Pékin. Liu crée aussi un comité d’audit anti-corruption militaire, avec le soutien, et pour le compte de Hu Jintao. Il lui permet ainsi d’asseoir – bien tardivement – son  influence sur « notre nouvelle Grande Muraille », caste d’officiers au-dessus des lois, et d’une obédience envers le pouvoir civil, très sujette à caution. Devant un aréopage de généraux, Liu aurait eu ces propos très durs : du fait de la dépravation de l’armée, « en cas de guerre, quels soldats écouteraient vos ordres, risqueraient leurs vies pour vous ?»

Pour conclure, entre ce déballage dans l’armée et l’affaire Bo, quel rapport ?  

Les « petits princes », fils des 60 ou cent familles, sont à la tête de l’armée et du Parti. Liu Yuan est fils de Liu Shaoqi, l’autre si célèbre rival de Mao mort dans la honte. En plus d’être le fidèle lieutenant de Hu, il est intime de Bo et de Xi Jinping, le repreneur du pouvoir en octobre. Il est donc obligé de travailler pour deux de ses amis de toujours, contre le troisième. Quant à Gu Junshan, le corrompu évincé, on dit qu’il ne serait rien d’autre que… cousin de Gu Kailai, la femme de Bo ( à confirmer) ! La boucle est bouclée – cela donne le vertige, sur  l’affaire qui déchire désormais le Parti et l’armée, les deux remparts du régime…

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