A la loupe : Le luxe en Chine : un malentendu à la base

En éclairage d’un article sur le luxe en Chine à paraître la semaine prochaine, voici cet éclairage linguistique du sujet par Renaud de Spens, expliquant que sur le terme de luxe aussi, entre Chine et Occident, il y a maldonne.

NB : les opinions qui suivent, sont celles de l’auteur !

Les traductions en chinois de concepts occidentaux, fin du XIXe siècle et XXe siècle, sont souvent fausses et continuent à alimenter aujourd’hui les malentendus culturels.

C’est le cas de la notion de luxe. “Luxe”, en français (racine de l’anglais luxury”), possède une valeur ambiguë, empruntée au latin “luxus”, “splendeur, excès”, mais qui vient simplement de “lux”, “lumière”.

C’est pourquoi le mot peut à la fois être péjoratif, synonyme de “débauche” (sens qui a survécu dans son dérivé “luxure”) et mélioratif, synonyme de raffinement.

Mais quand, occidentalisation aidant, il a fallu traduire la locution “produit de luxe” en mandarin, c’est un terme ancien mais toujours perçu comme immoral en culture chinoise qui a été choisi, 奢侈 (shēchǐ).

Le 1er caractère 奢 désigne littéralement “ceux qui aiment paraître grands”, et le 2d 侈 décrit un homme submergé de biens, riche ou arrogant au-delà de toute bienséance. Si on voulait retraduire dans l’autre sens 奢侈品, cela donnerait un genre de “produit ostentatoire pour nouveaux riches” : bien loin du “luxe, calme et volupté” de Baudelaire, mais peut-être plus proche de la réalité du marché.

Dans un sens positif “Luxe” se traduirait plutôt par 奢华 (shēhuá),  华丽 (huálì) 华美 (huáměi), voire 精彩 (jīngcǎi)。 Le caractère 精 (jīng) est intéressant, car il représente l’essence, et par extension le raffinement, et figure dans la locution idiomatique 精品 (jīngpǐn), “produit de bonne qualité”. Le label “produit de bonne qualité”, utilisé par toutes les bonnes marques, a-t-il quelque chose à voir avec le luxe ?

La différence essentielle est qu’un “produit de bonne qualité”, dans l’acception chinoise, est “toujours bon, mais pas toujours cher”, quand un “produit ostentatoire pour nouveaux riches” est “toujours cher, mais pas toujours bon”. Le sac Louis Vuitton porté en bandoulière, ne gagnera toute sa valeur sociale qu’après que son possesseur ait affirmé “c’est un vrai” à ses relations, révélant plus le prix payé que la qualité. Il faut cependant nuancer : nombre de riches consommateurs chinois se tournent aussi vers le luxe, notamment étranger, parce qu’ils se sentent incapables de distinguer la qualité ou le goût des produits, et qu’ils comptent sur le label “luxe” pour pallier leur ignorance.

Dans le passé, la production de luxe était en Chine, comme en France, étroitement liée à la Cour. Les meilleurs plats culinaires, les plus belles porcelaines et soieries, étaient conçus dans les ateliers impériaux et influençaient peu à peu l’industrie bourgeoise. Les destructions culturelles de la révolution de 1911, puis du maoïsme, ont réduit le luxe et l’élégance chinoise à néant.

Une fois rétabli, à partir des années ’80, le droit à consommer des produits inégalitaires et discriminants, nouveaux riches et “héritiers rouges” n’ont pu restaurer l’ostentation de leur classe qu’en se tournant vers des marques de luxe étrangères. Mais depuis, l’industrie et l’artisanat chinois de haut vol reprennent leurs marques et font leurs gammes.

Est-il absurde de croire le temps, plus si éloigné, où cette culture du luxe asiatique enfin réveillée, les géants européens auront à se battre et à faire preuve d’audace et d’inventivité pour rester sur leur piédestal ?

 

 

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