Les problèmes de sécurité alimentaire figurent parmi les sujets d’angoisse de la rue, et aussi du pouvoir. Face aux édiles de l’ANP, l’Assemblée nationale populaire, en mars, le vice 1er Wang Qishan avouait le «grand embarras» de Pékin sur le sujet et déplorait «la farine trop blanche et le riz trop brillant».
C’est de l’affaire des grains aux métaux lourds (cadmium, plomb mercure, entre autres) dont il parlait. Selon Century, hebdomadaire national, cette pollution frappe au moins 20Mt de riz par an, 10% de la récolte : assez pour plomber 40M de Chinois. Le poison provient des milliers de mini fonderies obsolètes aux effluents non retraités, dans 14 provinces telles Guangdong, Yunnan, Hunan ou Guangxi. L’alibi est la sauvegarde d’emplois en régions défavorisées. Mais le mal se traduit par des cancers, cécité et autres pathologies souvent fatales : un fléau majeur et évitable, comme l’admet le 1er ministre Wen Jiabao.
Entre-temps, un autre scandale éclate, qui laissera des traces dans l’opinion : celui du porc forcé aux hormones, clenbutérol ou ractopamine, aussi utilisées dans le dopage, qui développent les muscles et non la graisse. C’est mi-mars par un reportage de la CCTV qu’arrive le scandale du groupe Shuanghui (Henan), fourguant ses carcasses malsaines, les contrôles vétérinaires fermant les yeux. Des éleveurs, Shuanghui n’acceptait pas de bêtes à moins de 70% de chair. Suite à l’alerte, « au moins 2000t de viande transformée et 70t de viande fraîche » sont rappelées au plan national, ce qui est peu comparé à Chongqing, où 2500t de boudin ont été détectées. Wan Long, Président du groupe, parle d’un «cas isolé» dans une de ses filiales, et promet qu’il n’y aura pas de «2d Sanlu» (géant du lait maternisé aujourd’hui disparu, auteur en 2008 du scandale du lait à la mélamine — 300.000 bébés victimes de calculs aux reins). Le ministre de l’agriculture confirme du bout des lèvres, annonçant que les contrôles n’ont détecté que 134 porcs aux hormones sur 310.000 contrôlés. Mais faut-il faire confiance ? Pour Shuanghui en tout cas, un des fleurons du secteur porcin chinois, avec Goldman Sachs comme investisseur, la perte d’image est lourde : 150M$ de ventes en moins en 10 jours.
Assiégé de tous les côtés par les «affaires», l’Etat tente de reprendre le contrôle. Au Henan, 72 passeurs d’hormones sont arrêtés, et 53 cadres interrogés ou limogés. 1300 élevages, 300 broyeurs d’aliments vétérinaires sont visités: une frappe interministérielle d’un an (agriculture, santé, environnement) est lancée. Sur les métaux lourds, 4400 PME sont sous surveillance, prélude à leur fermeture. Même réveil au clairon chez 800 laiteries, dont 20 à 25% perdent leur licence suite à la dernière inspection achevée le 30/03. Ceci pour «permettre aux compagnies chinoises de remonter sur le marché intérieur» – le client votant fermement aujourd’hui contre tout lait «made in China ».
Pour Chen Zhu le ministre, la sécurité alimentaire est une priorité majeure d’ici 2015. Mais la tâche s’apparente au nettoyage des écuries d’Augias. Il faut coordonner les ministères, les officiers de répression des infractions, établir les procédures d’urgence. Il faut aussi «plus de budget», et «plus de foi, surtout à la base». Et sans doute aussi à la Commission nationale de sécurité alimentaire, dont l’optimiste Président Zhang Yong, voyait (03/02), la situation «en progrès pour 2010 pour à peu près tous les produits ». Le besoin de positiver, chez cet officiel, pouvant étouffer l’impératif d’éliminer l’inacceptable.
Sommaire N° 12