Petit Peuple : Longquan, la joie du poisson

Pourquoi un jeune cer-veau brillant, apparemment voué aux plus grands succès se retire-t-il du monde ? C’est ce que se demandent toujours des milliers de Chinois, suite au choix de Liu Zhiyu, cet été.

Dès 2006, à 17 ans, il s’adjugeait une médaille d’or aux Olympiades internationales de mathématiques. Ce qui ne surprenait personne à son lycée, filiale d’une université de Wuhan (Hubei) où tout le monde l’appelait le «petit génie» de cette matière. Beida, l’université de Pékin s’était empressée de lui offrir une place, sans attendre le bac, histoire de souffler à d’autres écoles un élève si brillant.

En 2009, en 2de année, il postulait pour des 3èmes cycles à l’étranger. Sans surprise, avec fierté, ses parents le voyaient décrocher six mois plus tard, le pinacle, le MIT de Boston, avec bourse complète -70.000$/an, rien que cela. Or voilà qu’en juin, bluffant son entourage, Liu se réfugiait au pied des monts de l’Ouest, au Temple Longquan, près de Pékin. Rien n’y fit, ni la prière du père (prof en fac de physique), ni celle du recteur de Beida… Sous la protection des moines, il vit désormais retiré du monde et le frère Xiandong, oppose porte de bois à la presse en mal de le rencontrer : « avant d’entrer dans les ordres, il doit faire ses 2 ans de «Jǘ Shì» (ermite), mais rien sauf sa volonté, ne peut l’en arracher !

Longquan (« source du dragon ») n’est pas le pire endroit pour un adieu au monde, monastère d’un millénaire, construit dès l’an 951, et depuis mille fois rebâti, comme en 1995 après la destruction par la « Révo’ Cul ‘». L’Etat l’a fait minutieusement refaire à l’identi- que, avec pavillons aux toits convexes noirs vernissés, lourdes cloches de bronze, cours aux ginkgos, acacias et autres arbres séculaires. Sur les sentiers de galets noirs, le passant franchit les portiques gravés de calligraphies poussant à la contemplation, où il s’abandonne.

Mais ce n’est pas pour l’architecture que Liu a pris la fuite. Débarquant à Beida en 2007, il s’inscrivait au club de méditation et y dévorait les ouvrages du bouddhisme, classique ou contemporain. Il allait au club de lecture, dont il devint l’animateur. Or son fondateur, lui aussi dévot, l’étudiant en philosophie Deng Wenqing, allait le prendre sous son aile, l’introduire à Longquan, avant de l’y précéder comme pensionnaire.

Les mois avant sa retraite, Liu est dit végétarien, puits de science, peu bavard mais serviable, ravi d’aider à résoudre une équation ou relire un cours. Pour ses stages, il choisit les temples et sanctuaires, l’enseignement des maîtres, prieurs et abbés. En son blog, il ne parle presque que de religion, et l’appel du sexe est absent : «au cloître, écrit-il, réciter les soutras, le travail sur soi nous fait oublier les différences entre les sexes: la communication se fait alors plus pure et simple».

La presse et l’opinion n’ont pas compris sa démarche. Pour elle, c’est un péché, du gaspillage d’abandonner la vie facile, le cadre matériel si agréable qu’il a mérité.

Certains cherchent un chagrin d’amour. D’autres croient qu’ayant déjà connu toutes les phases de la vie, il n’aurait plus qu’à chercher le sens de l’univers.

Nous croyons pour notre part que Liu n’a rien trouvé qui l’attire, dans ce modèle social où l’argent est tout et la vertu peu de chose. Participer à ce jeu sans liberté ni altruisme ne l’a simplement pas intéressé.

Fait remarquable, après une phase de déception, son père « respecte » le choix du fils prodige : au nom de Huizi, le philosophe paradoxal de l’école des Noms –époque des Royaumes Combattants «sans être poisson vous-même, comment voulez-vous connaître la joie du poisson?» (子非鱼,焉知鱼 之乐 zǐ feī yú, yān zhī yú zhī lè).

 

 

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