Petit Peuple : Taizhou : instit’, envers et contre tous !

Sur le pic du mont Lantian (Zhejiang) à 670m se dresse une école délabrée, jadis installée là par les paysans, par souci primordial de réussite scolaire pour leurs enfants, ou plus prosaïquement, pour épargner la bonne terre arable.

A la Libération, Lantian vibrait d’activité. Des dizaines de milliers d’habitants faisaient venir sur ses pentes bleues le thé et la soie. L’école comptait 500 marmots «en une dizaine de classes» dit la chronique.

A partir de 1980 sous Deng Xiaoping, débuta l’exode vers les villes. Quoiqu’il ait encore 8000 âmes, le district perd son sang au profit de Shujiang et Linhai, les villes d’en bas. Fin 2007, l’école comptait 38 élèves : en 2009, la plupart étaient partis.

C’est par les professeurs que le mal est arrivé. En ’07, ils étaient quatre, mais vieux, ou anxieux d’une carrière plus sure, et 24 mois plus tard, trois avaient filé – deux vers les lumières de la ville, un vers la retraite.

L’inquiétante évolution n’avait pas échappé aux parents. La réduction en peau de chagrin du corps enseignant les plongea dans un sentiment oscillant entre incompréhension et rage froide. La réponse fut le déplacement massif de leurs héritiers vers les écoles de la vallée, indifférents aux 2800¥/an de frais de ramassage et de cantine, et aux heures de sommeil perdues pour leurs petits: la fin justifiait les moyens !

Seuls restèrent face à face, dans le collège fantôme, Zhang Wanjin le dernier maître (56 ans), et Zhang Hongyuan l’ultime élève (12). Ce dernier à vrai dire il n’avait pas le choix. Légèrement diminué, ayant déjà redoublé en 2007, il avait aussi contre lui la polio de son père qui vivotait de son échoppe de coiffeur, et dont les lourdes notes de pharmacie les condamnaient à rester sur place.

Maître Zhang-lui, voyait les choses sous un autre angle : il s’était juré de ne pas être l’homme par qui l’école aurait été fermée. Qu’un seul élève reste, et il y allait de son honneur, de tout faire pour poursuivre sa mission. Cette résolution une fois prise, rien ne put l’en faire démordre. Ni l’achat par sa femme (pour le tenter) d’un appartement à Shujiang, ni même la défection de sa famille (femme, fils et belle-fille) pour lui faire chantage. Tant que le rectorat continuait à lui verser ses spartiates émoluments, Zhang resterait. Tous les jours, parfois même le soir (n’ayant que cela à faire), Wanjin coache Hongyuan, se réjouissant de ses progrès en math, se désolant de sa stagnation en chinois. Mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, pense le maître, ce qui en chinois se dit: «le petit bois est épuisé, mais le feu est pris » (xīn jìn huǒ chuán, 薪尽火传).

Permettons-nous ici une discrète remarque: pour rester à Lantian à enseigner un attardé, dans un dénuement presque total, notre instit’ pourrait cacher d’autres motivations que le sens du devoir. On croit en deviner deux, bien distinctes et reconnaissables.

Une incitation pourrait être le goût de la solitude, au coeur d’un décor qui reste là rien que pour lui, à la beauté poignante, aux paysages et aux bouquets de pins sublimes se détachant des falaises, dans les filets de lumière et de brume de l’aube. Pour maître Zhang qui y vit sans interruption depuis 36 ans, nul confort au petit pied, nulle bouilloire électrique ou TV couleur ne saurait compenser tel glorieux cadre de son existence.

Un autre ressort secret peut être un sens inné de la contradiction, vissé au corps et à l’âme: le sentiment exaltant de s’opposer à l’ordre établi et à l’histoire en marche, avec succès malgré ses faibles moyens, tant que la volonté reste de pierre. Lu Xun, le grand auteur a résumé dans une formule lapidaire ce goût si propre à la nature chinoise: « tant qu’il y aura des pierres, les germes de feu ne sauront point manquer ! »

 

 

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