Un an de campagne de contrôle de l’Internet vient de s’achever par deux coups de cymbales : fin décembre, le Ministère des Industries et des technologies de l’Information (MIIT), sa tutelle, imposa aux millions de sites chinois de se réenregistrer sous peine d’être déconnectés, tandis que la police annonça, sur l’année, la fermeture de 9000 sites «pornos» et l’arrestation de 5400 responsables. La réalité serait bien plus lourde, à en croire un investisseur : des centaines de milliers ont été sortis du réseau en 2009 pour «information néfaste ». Le dernier en date est 51.com, 100M d’usagers, le « Facebook » chinois, fermé le 6/01/2010.
Un étudiant de Xinzhou (Shanxi) a gagné 10.000¥ de prime (5/01) pour avoir dénoncé 32 sites de sexe. D’autres primes vont de 1000 à 2000¥. Du 4 décembre au 4 janvier, 62000 sites étaient ainsi rapportés par la foule à la police. Le succès le plus flagrant de la reprise en main est le Xinjiang, coupé de la toile et du réseau téléphonique national depuis les émeutes de l’été 2009. Il serait sur le point de rouvrir, mais méconnaissable, réduit à une sorte d’intranet où seul le strict autorisé restera accessible.
Nonobstant, et sans craindre la contradiction, l’analyste chinois Isaac Mao croit savoir que «la censure gagne des batailles sur tous terrains, mais en même temps, est en train de perdre la guerre ». Elle gagne en technique, mais perd en efficacité, face aux besoins nouveaux incompressibles de la société.
[1] à 338M de clients et 220.000 nouveaux par jour, la masse des usagers devient incontrôlable ; [2] chez des usagers toujours plus éduqués, il devient impossible au censeur de séparer le bon grain de l’ivraie, l’activité dissidente (à réprimer) de celle technique (à soutenir). Accéder aux sites interdits n’est presque plus un problème pour personne, via un «proxy», tout comme protéger ces mêmes sites, par la multiplication des adresses-miroirs. La peur du gendarme n’existe plus : sur Twitter, « China for Iran » (CN4Iran) permet aux activistes chinois d’encourager leurs frères iraniens et leur annonce même, photos à l’appui, la récente livraison de chars d’assaut made in China. Idem fin décembre 2009, l’écrivain Chen Yunfei annonce au monde sa propre arrestation via son portable, depuis le commissariat…
Ce même Twitter permet à des milliers de gens de se rassembler en un lieu donné pour manifester (en décembre, à Canton) contre un projet d’incinérateur d’ordures. En septembre 2009, la censure subit un étrange revers. « Green Dam», logiciel qu’elle voulait installer par défaut dans tout ordinateur, fut rappelé après des semaines, sous la pression internationale : le logiciel était piraté de chez LLC cybersitter, PME californienne qui réclame à présent 2,2MM$, pour les 56,5M de copies écoulées en ventes forcées. Autre bizarrerie: le 4/01, la «grande muraille de feu chinoise» fut levée, suscitant chez certains de faux espoirs avant d’être rétablie quelques heures plus tard.
Sur le fond, la censure en Chine a obtenu au moins un résultat tangible : la majorité des internautes, apathique, évite toute expression politique. Elle le fait moins par manque de solutions techniques que par manque d’intérêt pour le sujet. Cette tendance, apport spécifique du régime à la culture de son époque, durera sans doute.
Au reste, à l’évidence, la censure coûte toujours plus sans jamais rien rapporter, tandis que son efficacité plafonne ou recule. En face, les usagers, pour ronger leurs entraves, font preuve d’un potentiel immense et vierge. La conclusion s’impose d’elle-même : sauf apparition d’une improbable révolution technologique, l’existence de cette censure se compte en années désormais.
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