Editorial : Quel retour de Jiang Zemin?

La réapparition de Jiang Zemin, l’ex-Président et 1er Secrétaire, au rostre de la place Tian An Men le 1er octobre 2009, aux côtés de son successeur Hu Jintao, plonge les observateurs dans la perplexité. L’explication formaliste, selon laquelle l’ancien homme fort continuerait à «faire partie des meubles», n°2 sans pouvoir mais honoré, a du mal à convaincre. Le montrer au monde pas moins de 22 fois durant cette fête en gros plan à l’égal de Hu, portait un message politique implicite, tout comme la «camaraderie» des deux personnages. Tout concourrait à véhiculer l’image d’un binôme fusionnel Hu-Jiang, à la tête du pays.

Une telle image est loin d’aller de soi. Après que Deng Xiaoping ait désigné Jiang en ’89 comme leader, puis Hu Jintao (alors un inconnu) comme son successeur, Jiang avait tout fait pour écarter ce dernier. Mais l’appareil avait tenu bon, même après la disparition de Deng en 1997. A partir de 2002, Jiang avait dû remettre à Hu Jintao tous ses mandats. Dans ces conditions, le retour de Jiang semble un renversement des rapports entre les deux hommes, et une remise en cause du mécanisme de succession inventé par Deng -son dernier tour de génie, destiné à débarrasser le régime d’une de ses plaies, ses guerres intestines pour la maîtrise du pouvoir suprême.

Un autre signe négatif, 15 jours plus tôt, était la promotion, annoncée mais non concrétisée, de Xi Jinping, comme n°2 de l’armée. Désigné en 2007 successeur de Hu Jintao, Xi Jinping ne pourra, en 2012, diriger ce pays sans le soutien de l’APL, l’armée populaire de libération.

Sur ces mystérieuses péripéties, deux explications circulent:

[1] Ces 18 derniers mois, Jiang a pu rassembler au sommet un front des mécontents capitalisant sur la nouvelle pauvreté montante et les émeutes de Lhassa et d’Urumqi. Fer de lance de cette fronde : l’APL, dont bien des généraux furent nommés par Jiang. Selon cette lecture, le barrage de Xi Jinping à la Commission militaire centrale serait le fait de militaires refusant un nouveau civil à leur tête, et d’un Hu voulant garder jusqu’-au bout la haute main sur cette armée, condition de sa survie politique.

[2] Selon cette autre rumeur, à la veille du Plenum, Xi Jinping-l’héritier aurait tenté (en vain) de démissionner, objectant contre la politique de crédit intense actuelle. Il se dit aussi que Hu, pour bloquer la promotion de Xi, aurait été appuyé par Jiang et le lobby militaire. Jiang aurait donc con-clu avec l’ex-rival une alliance d’intérêts, obtenant en échange cette profusion d’honneurs qui comptent sans doute le plus pour lui à son âge.

Où que se situe la réalité, une dernière question essentielle, au-delà de ces rivalités d’hommes, est celle de la réforme des institutions. Dans son allocution du 1/10, Hu Jintao a réitéré sa volonté d’aller de l’avant, mais sans joindre d’allusion à des actions possibles. Ce en quoi il assure une continuité sans faille avec la ligne conservatrice suivie par Jiang depuis 1989.

Seuls indices, à vrai dire obscurs: ce jour, Jiang portait le complet- veston occidental et Hu, la tenue Zhong shan anthracite de Sun Yatsen. Jiang était affable et à son aise, quoique à l’évidence vite fatigué. Hu restait impénétrable, peut-être moins souriant et plus crispé que de coutume.

Au delà de ces jeux politiques, c’est peut- être un tournant dans l’histoire de la Chine qui est en train de se jouer: si le principe de pouvoir légué par Deng (“l’empereur règne, mais ne désigne pas”) déraille, on verra l’ancêtre empiéter sur les prérogatives du leader constitutionnnel et les deux ensemble manger l’avenir, coupant la route au dauphin désigné. Le tout, pour proroger un peu plus longtemps l’impossible surgel des institutions de la république.

 

 

 

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
10 de Votes
Ecrire un commentaire