Editorial : Tour d’horizon des « Lianghui »

Tour d’horizon des « Lianghui »

Comme chaque printemps, voici venu le temps… des « Liǎnghuì » (两会 ) , session annuelle des « Deux Assemblées » du Parlement chinois qui rassemble plusieurs milliers d’édiles au Grand Palais du Peuple. L’agenda de cette édition ne sera sûrement pas aussi chargé que celui de l’an passé qui avait pour mission d’introniser la nouvelle équipe dirigeante qui accompagnera Xi Jinping dans son 3ème mandat. Néanmoins, plusieurs rendez-vous sont à suivre avec attention.

Il y aura bien sûr en ouverture de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) le 5 mars, l’incontournable présentation du rapport du gouvernement par le Premier ministre Li Qiang, durant laquelle sera dévoilé l’objectif de croissance du PIB pour 2024. Comme l’an passé, les analystes s’attendent à ce qu’il annonce un objectif « d’environ 5% », se basant sur les chiffres que se sont fixés les provinces et municipalités en amont. Si cet objectif de 5% était considéré comme « modeste » en 2023, ce même chiffre serait considéré comme ambitieux en 2024, étant donné la reprise poussive post-Covid, les difficultés du secteur immobilier, la déflation et la crise de confiance que traversent les consommateurs et les investisseurs. Un objectif de 4,5% en revanche, annoncerait un éventuel retour des « croisades réglementaires » de Pékin (dont Alibaba, Didi, New Oriental entre autres, ont été victimes), tandis qu’un objectif plus élevé, autour de 5,5%, laisserait entrevoir un stimulus plus important que la relance budgétaire qui se profile.

Ainsi, pour les grandes annonces, il faudra attendre le 3ème Plénum du Comité Central, traditionnellement consacré aux réformes économiques. Son report depuis le mois de novembre dernier interroge : est-il le signe de désaccords internes sur la marche à suivre ? Nul ne le sait.

Autre aspect à suivre : la place accordée durant ces « lianghui » au nouveau concept qui fait fureur, à savoir les « nouvelles forces productives », évoqué pour la première fois par Xi en septembre dernier. Les experts n’ont pas encore percé son mystère. Cependant, il s’agirait de moderniser les vieilles industries et d’en créer de nouvelles dans les secteurs innovants (IA, biotechnologies, aviation commerciale, agritech, énergies vertes, santé…).

A surveiller également, le traitement réservé aux “trois nouvelles” industries (batteries, panneaux solaires et véhicules électriques) qui sont appelées à relayer l’immobilier comme moteur de la croissance chinoise – des surcapacités qu’Europe et Etats-Unis voient d’un bien mauvais œil.

Le 7 mars, ce sera au tour du ministre des Affaires étrangères par intérim, Wang Yi, de donner une conférence de presse. L’épisode du ballon espion est désormais enterré et la priorité sera probablement de stabiliser la relation avec Washington, à quelques mois des élections américaines.

Au sujet de Taïwan, le changement de langage sera à surveiller si Pékin s’engage à « combattre » plutôt qu’à « lutter contre » ou « s’opposer » à l’indépendance de Taïwan. En effet, Wang Huning, la tête pensante chargée d’élaborer une nouvelle stratégie de réunification, a utilisé le mot « combattre » pour la première fois fin février. Derrière ce terme se cacheraient des efforts plus importants pour intimider l’île militairement parlant et imposer de nouvelles sanctions économiques pour dissuader l’administration de William Lai de poursuivre tout rapprochement avec les USA.

Entre le 8 et 10 mars, ce sera théoriquement l’heure des chaises musicales. La « démission » officielle de l’ex-ministre des affaires étrangère Qin Gang (manière de ne pas faire perdre la face à son protecteur, qui n’était autre que Xi Jinping) et la disparition de l’ancien ministre de la Défense Li Shangfu du site web de la commission militaire centrale (CMC), laissent penser que Pékin pourrait enfin annoncer le nom du remplaçant de Qin (Liu Jianchao fait figure de favori devant Ma Zhaoxu) et à introniser Dong Jun, le successeur de Li, qui n’est encore ni membre de la CMC, ni conseiller d’Etat. Un retour à la normale serait accueilli avec un certain soulagement par les partenaires étrangers. A l’inverse, si ni Dong, ni Liu, n’obtiennent le titre de conseiller d’Etat, cela pourrait indiquer un certain degré de paralysie au sein du leadership.

Même si (pour une fois), ce n’est pas Xi qui sera sur le devant de la scène durant ces « Lianghui », ses prises de parole devant diverses délégations provinciales et groupes sectoriels, sont à suivre de près car souvent révélatrices de ce qui préoccupe le leader. Prendra-t-il la parole devant les délégués du Hunan, où le secrétaire du Parti provincial a récemment lancé une campagne controversée visant à « émanciper les esprits » (lutter contre la passivité des cadres locaux) ?

Enfin, il est toujours intéressant d’observer en fin de session, si les différents rapports présentés sont approuvés à la quasi-unanimité (98% ou 99% des votes) comme c’était le cas les dernières années, ou si ce pourcentage baisse, ce qui pourrait signaler un certain mécontentement vis-à-vis de Xi ou de ses politiques.

Surprise révélée à quelques heures de l’ouverture : Li Qiang ne donnera pas de conférence de presse en clôture de session, comme le veut la tradition depuis 30 ans. Il ne le fera ni cette année, ni les années suivantes. Cet exercice hautement chorégraphié (les questions des journalistes étaient connues en avance et soigneusement sélectionnées) a parfois donné lieu à des déclarations pour le moins « audacieuses » de la part des anciens Premiers ministres. C’était le cas de Wen Jiabao qui avait appelé à la poursuite de la réforme politique ou encore du défunt Li Keqiang, qui avait rappelé que 600 millions de Chinois vivent encore avec trois fois rien, la dernière année de la campagne anti-pauvreté de Xi Jinping… Ces épisodes auraient-ils incité le leader à mettre un terme à cette tradition qu’il jugeait inutile ? Le mystère reste entier, mais cette décision n’aide en rien à restaurer la confiance.

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