Taiwan : Le revers relatif du DPP aux élections locales

Le revers relatif du DPP aux élections locales

Les élections locales taïwanaises qui désignent les responsables politiques à tous les niveaux intermédiaires (régional, municipal, arrondissement, district, village) ont lieu tous les quatre ans. Les dernières avaient eu lieu le 24 novembre 2018 et avaient consacré de façon spectaculaire le KMT (Parti nationaliste) au dépit du DPP (Parti progressiste) ; celles du 26 novembre dernier respectent la même dynamique. Première conséquence : la présidente Tsai Ing-wen (DPP), élue en 2016 puis en 2020, a dû démissionner de la direction du DPP.

Pour comprendre la double dynamique, locale et nationale, des élections taïwanaises, un petit rappel peut être utile. Celles-ci se jouent généralement entre deux partis principaux : le KMT ou Kuomintang et le DPP ou Parti démocratique progressif. Traditionnellement, on caractérise le DPP comme plutôt pro-indépendance vis-à-vis de la Chine et le KMT comme plutôt pro-chinois. Le KMT n’est pas pour autant partisan d’une « réunification » immédiate qui entraînerait de facto la fin de la République de Chine. Son caractère pro-chinois, mis à part pour une frange radicale unificationiste plutôt minoritaire, concerne plus le volet économique que politique. Le KMT reproche au DPP de nuire à l’économie taïwanaise du fait de relations politiques dégradées avec Pékin – principal partenaire commercial de l’archipel formosan. En outre, certains s’inquiètent que la confrontation puisse conduire à la guerre et prônent donc l’apaisement. Toutefois le fait que les Taïwanais aient voté deux fois pour la candidate du DPP aux élections présidentielles témoigne d’une réalité politique tout aussi fondamentale : la majorité des Taïwanais perçoivent leur culture comme différente de celle de la Chine et pensent que, sans renier l’héritage historique commun, les deux pays ont divergé trop profondément depuis 70 ans pour pouvoir à nouveau former une seule nation. L’attachement démocratique profond et la dérive autoritariste de la Chine depuis le règne de Xi Jinping renforcent ce sentiment aujourd’hui irréversible.

L’ erreur commune et répétée des analystes est de lire dans la victoire du KMT au niveau local un signe de rapprochement vers la Chine. La victoire surprise de Han Kuo-yu (KMT) à Kaoshiung aux élections locales de 2018 avaient amené certains à prédire une défaite de Tsai aux élections présidentielles. Elle fut pourtant triomphalement réélue en 2020 – bien aidée, il est vrai, par la répression chinoise sur Hong-Kong ayant rendu inaudible le discours de son opposant, le candidat KMT Han Kuo-yu vantant les mérites du « un pays, deux systèmes ». Les mauvais résultats du DPP aux élections locales de 2022 ne dérogent pas à cette « règle » : parlant de catastrophe historique pour le DPP, une partie de la presse internationale y voit un revers du « parti pris antichinois de la présidente Tsai » – ce qui ravit Pékin et sa presse officielle. Comme on l’avait observé avec la venue de Pelosi dans l’archipel formosan en août dernier, les agences de presse étrangères semblent plus suivre la phraséologie du PCC que partir d’une analyse neutre du contexte taïwanais.

Une analyse objective des élections doit d’abord prendre en compte la participation au vote. En 2022, celle-ci est historiquement basse : 61% des votants, 59% dans les plus grandes villes – moins que les 66% de 2018, et beaucoup moins que les 75% des élections présidentielles de 2020.

Ainsi les 50% des votes pour le KMT de 2022 de 61% des votants sont à relativiser face au 57% pour le DPP sur 75% des votants des élections présidentielles de 2020. Plus encore, si le DPP a 41% des votes en 2022, il en avait moins (39%) en 2018. 

Pour autant, si on ne peut tirer d’une élection locale aucune conclusion au niveau national et donc au niveau des relations inter-détroits, l’échec du DPP reste riche d’enseignements. L’erreur du Parti progressiste dans ces élections est d’avoir misé sur la critique systématique des candidats de l’opposition plutôt que sur la démonstration des mérites de ses propres candidats. Elle est aussi d’avoir joué la carte de la menace chinoise au niveau local. Si l’attitude belliqueuse de la Chine est un facteur rassembleur, le fait d’y avoir recourt trop souvent à titre électoral risque d’en dévaluer la puissance. L’erreur stratégique pour le DPP serait de croire qu’un électorat se sentant majoritairement taïwanais – à 64% selon les derniers sondages – devrait voter automatiquement en sa faveur. En réalité, à partir du moment où le sentiment d’identité taïwanaise devient un attribut majoritaire, il ne peut plus servir d’unique marqueur à la différentiation politique.

Autrement dit, la victoire du DPP en termes de déconstruction de l’identité chinoise et d’identification à Taïwan pourrait ne plus constituer une rente certaine au niveau électoral. Dès lors, inversement, une victoire du KMT pourrait ne plus devoir être automatiquement interprétée, par les observateurs étrangers et par Pékin notamment, comme un signe de rapprochement avec la Chine. Le KMT aurait à rendre des comptes à son propre électorat s’il se rapprochait trop de la Chine.

Que les cadres du PCC pensent que la victoire du KMT aux élections locales montre la volonté des « compatriotes taïwanais » de revenir au sein de la « mère patrie » est une illusion dont on ne saurait trop vouloir les détromper.

En effet, une telle illusion donne à Taïwan un répit nécessaire lui permettant de continuer à renforcer ses alliances et augmenter sa résilience militaire. Que la Chine préfère un candidat KMT victorieux aux présidentielles de 2024 et mette désormais tout en œuvre dans ses moyens de propagande pour influencer les élections est une évidence. Encore faut-il se défaire de l’idée commune selon laquelle une victoire du KMT au niveau national serait le gage d’une véritable détente et d’une paix durable dans le détroit. En réalité, il pourrait être plus judicieux pour Pékin d’attaquer Formose quand celle-ci est dirigée par un gouvernement KMT sans doute plus hésitant à combattre et potentiellement plus « défaitiste ».

Par Jean-Yves Heurtebise

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