Portrait : Jiang Zemin, ultime Président aux couleurs humaines

Jiang Zemin, ultime Président aux couleurs humaines

Ancien Président de la République populaire de Chine, Jiang Zemin s’en est allé la nuit du 30 novembre à 96 ans : longévité respectable, due en partie aux privilèges médicaux réservés aux grands du monde chinois.

D’une certaine manière, sa carrière s’est bâtie sur un malentendu. Après les événements dramatiques de la nuit du 3 au 4 juin 1989, la direction du PCC avait limogé son Secrétaire général Zhao Ziyang et recherchait un personnage de transition, supposé tenir quelques mois le temps de trouver un homme faisant consensus. Secrétaire du Parti à Shanghai, Jiang passait pour un apparatchik terne – son seul mérite, à l’époque, ayant été d’avoir préservé Shanghai des troubles qui venaient de déchirer Pékin. Jiang rassurait par sa bonhomie, son embonpoint bon vivant et sa coiffure teintée, derrière ses épaisses lunettes d’écaille. Il fut donc nommé comme leader provisoire, en raison de ce style inoffensif.  Il s’apprêtait pourtant à battre tous les records de longévité (avant Xi Jinping), 14 ans de 1989 à 2003.

A peine aux manettes, Jiang commença à installer ses hommes de la « faction de Shanghai » (上海帮) dans l’administration et dans l’armée, tout en chassant les « barons » des tendances rivales tel le maire de Pékin, Chen Xitong, ancien compagnon de Deng Xiaoping, destitué en 1995 et condamné à 18 ans sous prétexte d’abus sur le chantier de l’Oriental Plaza.

Sur le fond, Jiang accomplit un travail politique considérable, à commencer par le sauvetage d’un Parti en grand danger après le massacre de la place Tiananmen, du fait de son manque de soutien intérieur et mondial. A force de prudence et pragmatisme, Jiang sut remettre le pays sur les rails de la modernisation, grâce à une potion magique qui incluait les capitaux et technologies étrangers et l’exode rural, avec chaque année 10 millions de paysans montant à la ville pour embaucher dans les usines et sur les chantiers qui surgissaient comme des champignons dans la nuit.  

Le « clou » de cette œuvre politique fut l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001, âprement négociée mais qui assura à la Chine et à ses partenaires commerciaux une expansion décuplée de leurs échanges commerciaux.

Jiang avait noué une amitié personnelle avec Jacques Chirac, grand amateur de l’Extrême-Orient. Ensemble, ils montèrent les « Années croisées » en 2003-2005, la France recevant en 2003 un riche assortiment (expositions, ballets, concerts) des arts chinois, et la Chine réciproquement l’année qui suivit.

L’ère Jiang vit aussi les premières craquelures avec l’Occident. A Berne en ’99, Jiang avait été accueilli par des dissidents tibétains hurlant depuis les toits des slogans contre la répression des lamas au Toit du monde : Jiang fou de rage avait répliqué en rayant la Suisse de la liste des « destinations touristiques privilégiées » chinoises, privant ainsi pour des années son pays hôte d’une manne en centaines de francs suisses par voyageur. De même en 1999, la Chine avait vu son ambassade à Belgrade détruite par l’aviation de l’OTAN : deux ans plus tard, elle se vengeait en détournant un avion espion américain EP3 vers une base militaire de Hainan. L’Amérique souffrait alors l’humiliation publique de voir l’équipage de l’appareil emprisonné, et démontés et copiés ses équipements d’écoute électroniques, à la pointe de la recherche mondiale.

Jiang Zemin connut en 1999 sa première crise intérieure quand la secte du Falungong fit encercler par 10 000 adeptes le QG du PCC. Jusqu’alors, Jiang protégeait le Falungong comme nouvelle école morale, de source purement nationale.  Mais après la quasi prise d’assaut de Zhongnanhai, l’engouement prit fin :  déclaré ennemi public n°1, le Falungong persécuté disparut de la scène.

Mis à part ces moments de crise, Jiang Zemin déploya tout au long de son règne un esprit fantasque et bon enfant. Chez les Chirac en Corrèze, il dansa avec Bernadette (cf photo). A Londres, il partagea le carrosse de la reine. A Hawaï, il joua de l’ukulélé. Devant Bill Clinton, il dirigea l’orchestre de l’APL le temps d’une ritournelle révolutionnaire. A Moscou, il chanta en russe et vidait des coupes de vodka au son des « nazdrowie ». A Shanghai, durant sa promenade au parc Zhongshan, un jeune français fut interpellé par deux gardes du corps, fouillé, puis conduit devant Jiang Zemin qui l’avait aperçu et souhaitait s’entretenir avec le jeune expat…

Jiang rêvait d’entrer au Panthéon des grands penseurs marxistes aux côtés de Mao et de Deng: il émit sa formule idéologique des « sān gè dài biǎo » (三个代表) ou « principe des Trois Représentativités », formule absconde qui fut l’objet de nombreuses plaisanteries auprès de l’homme de la rue. Il voulait aussi prolonger son règne au-delà de la limite des 10 ans imposée par Deng dans la Constitution. Tout échoua, notamment du fait que Deng Xiaoping, avant sa mort en ’97, avait fait nommer et présenter au monde son successeur désigné, Hu Jintao. Le Bureau politique s’opposa à ses tentatives, soucieux de préserver le principe de la direction collégiale.  

Jiang devait prendre sa revanche en 2012, en empêchant Hu Jintao de réaliser le même rêve. Hu aurait voulu se faire succéder par Li Keqiang, à la tête d’une équipe réformatrice. Mais Jiang, conservateur, quoique supposément retiré des affaires, eut assez d’entregent pour imposer une alternative conservatrice, dont le leader n’était autre que Xi Jinping.

Si Jiang avait cru que le jeune leader inconnu se montrerait reconnaissant et docile, il devrait vite déchanter : Xi Jinping allait vite montrer qu’il ne roulait que pour lui-même. Dès 2016, la rumeur courait d’un Jiang en résidence surveillée, au même titre que son fils Jiang Mianheng, sous le « soupçon » de corruption. Le message était clair, et le vieil homme se tint désormais tranquille jusqu’à sa mort – sauf au Congrès de 2017 où il apparaissait outrageusement assoupi durant le discours de Xi.

L’image qu’il laisse est donc largement positive. Il sera remémoré comme l’homme d’une époque en or où la croissance permettait la liberté, compatible avec le monopole du Parti sur tous les pouvoirs. Ce compromis permettait de satisfaire la plupart, mis à part la poignée des jusqu’au-boutistes dissidents ou religieux. Le Parti, sous Xi Jinping, ne s’y est pas trompé en lui rendant cette semaine un vibrant hommage, conclu sur ce coup de gong à travers les airs : le « camarade Jiang Zemin est éternel » !

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