Le Vent de la Chine Numéro 40 (2022)
Dimanche 27 novembre, la Chine s’est arrachée à trois ans de torpeur pour exprimer son désaccord sur le confinement maximal dont elle est l’objet à titre de prévention de la Covid : à Shanghai, Pékin, Zhengzhou, Xi’an, Canton et bien d’autres, une population jeune s’est rassemblée dès l’après-midi jusqu’à tard dans la nuit, faisant tomber les palissades bleues qui ceinturaient leurs universités, leurs usines, leurs résidences… Ensemble, ils ont crié leur colère, leur désarroi, leur exigence que soit levée la chape de plomb qui depuis trois ans les empêche de travailler et de vivre.
L’origine du soulèvement avait eu lieu quatre jours plus tôt à Urumqi au Xinjiang. Un incendie s’était déclaré dans un immeuble confiné, que les pompiers n’avaient pas pu atteindre, faute de franchir les issues anti-incendie cadenassées par les services de sécurité. Le drame avait officiellement causé 10 morts. C’était pour ces brûlés vifs que la population s’était rassemblée. Dans Shanghai, la foule convergeait dans la nuit vers un point unique, ameutée par WeChat et les réseaux sociaux : devant le panneau de la Wulumuqi Lu (rue d’Urumqi), elle déposait des gerbes de fleurs puis, l’audace venant, entonnait des slogans plus entendus depuis une génération, comme « à bas le Parti », « la liberté ou la mort », « finis les tests anticovid ». D’autres allaient même jusqu’à prononcer cette phrase anathème, « Xi Jinping, démission ».
Les protestations se sont multipliées aux universités Beida et Tsinghua de Pékin, à celle des communications à Nankin, à l’Académie des beaux-arts de Xi’an, et dans les provinces les plus reculées comme au Xinjiang et au Tibet. Les actions ont pris les formes les plus diverses : allumer briquets ou bougies dans la rue, brandir une feuille blanche en allusion aux libertés effacées sous la censure, ou répéter le mot « hao » (bien), pour dénoncer l’absurde d’une vie où l’on n’entend et ne lit plus que du bien-pensant.
Bien sûr, une autre raison était derrière ce soulèvement : l’inquiétude pour l’avenir. Chez les néo diplômés, le taux de chômage officiel de 20% (sans doute en deçà de la réalité) déprime le marché du travail, contraignant cette jeunesse à des emplois en dessous de leurs compétences et sous-payés.
La Commission nationale de la Santé avait joué d’imprudence le 24 novembre, en faisant passer l’obligation de test PCR de tous les trois jours à quotidiennement. Ceci se passait au moment du début de la Coupe du monde de football à Doha, dont les matches étaient retransmis à la TV : stupéfaits, les Chinois découvraient des stades pleins de visiteurs de toute la terre sauf de Chine, participant sans masques aux rencontres. De quoi susciter chez les citadins l’exaspération : après avoir refusé les vaccins du monde extérieur, la Chine donnait la preuve de rester à la traine !
La nuit du dimanche 27, les villes exprimaient leur haine des « dabai » ou « grands blancs », les agents sanitaires en scaphandres étanches. Pourtant les jours précédents, le système avait donné des signes de faiblesse : la Chine retrouvait des taux de contamination en hausse, de 40 000 cas par jour. Ce qui est très peu, pour une population de 1,4 milliard, comparés aux 90 000 cas quotidiens décomptés en France début décembre. Mais la pratique du confinement avait entretemps démobilisé les Chinois de se faire vacciner, en particulier les octogénaires, principal groupe à risque. A Wuhan, berceau mondial du virus, seuls 40% d’entre eux pouvaient justifier des trois doses protégeant efficacement du variant omicron…
Une fraction de la jeunesse urbaine s’est donc révoltée : un témoin direct nous manifestait hier la fierté de leurs parents, d’avoir d’eux mêmes trouvé la force de résister à l’Etat sourd aux appels de la base. Mais comment ce dernier a-t-il réagi ?
Dans Shanghai comme ailleurs, on aurait pu s’attendre à une répression de grande fermeté, notamment contre les meneurs ayant appelé à la démission du chef de l’Etat. Or à ce stade, on n’entend que l’arrestation de quelques dizaines, peut-être quelques centaines de ces participants – c’est moins que ce que l’on pouvait craindre. Très vite identifiés – par leurs smartphones à proximité des antennes relais -, des jeunes adultes étaient interpellés chez eux à l’aube, emmenés au commissariat, dument chapitrés, mais autorisés à sortir au bout de quelques heures – le choix avait été fait de limiter les sanctions. Moins par magnanimité du régime, qu’au nom de ses intérêts bien compris. En effet, ce soulèvement avait été sans chefs, ni stratégie élaborée. Punir durement aurait été faire des martyrs, tandis que laisser faire permettait au feu de s’éteindre. Le régime a montré dans la rue des escouades d’hommes armés, des chars et équipements lourds. Et pour éviter toute tentation de reprise, il a « invité » les étudiants à retourner chez eux, quitte à reporter les examens d’hiver à mars.
Sun Chunlan, vice-ministre en charge de la santé, a convoqué d’urgence la commission nationale mercredi 30 et jeudi 1er, ordre est donné aux provinces, aux villes de relancer la vaccination du 3ème âge, avec des quotas à respecter d’ici janvier. La presse se sent soudain le devoir de rassurer sur la Covid : selon les scientifiques, le variant Omicron n’est pas si dangereux, on en survit même…
Tout ceci donne à penser que le pouvoir a instantanément réagi à l’émeute, en décidant de renoncer à la politique « zéro Covid » aussi vite que possible. Cette stratégie s’étant avérée inefficace, et dangereuse pour la stabilité du régime. L’avenir proche dira si le tournant est définitif, ou si la volonté de fermeté prévaudra, avec celle de ne pas se désavouer !
Deux réunions d’urgence ont eu lieu, en novembre, pour tenter de redresser l’économie chinoise. Le 11 novembre, la Banque centrale (PBOC) et la Commission de régulation des assurances et banques (CBIRC) publiaient un plan en 16 points à la rescousse des développeurs immobiliers. Le 21 novembre, le Premier ministre Li Keqiang annonçait, applicable au 5 décembre, un « ballon d’oxygène » de 500 milliards de yuans offert aux banques, sous forme de coupes dans leurs réserves obligatoires, dans une tentative désespérée pour relancer la consommation.
C’est qu’effectivement, cette économie se trouve en pleine tempête, avec tous ses indicateurs dans le rouge au mois d’octobre. En cause, la Covid19 qui garde confinés 21,5% (en parts de PIB) des actifs, chiffre qui a plus que doublé en un mois -ils étaient 9,5% en septembre. Et pourtant, ce confinement comme moyen de prévention voit son efficacité soudain chuter, le nombre de cas quotidiens ayant quadruplé à 40 000 par jour. La croissance du PIB qui s’élevait encore à 8,1% l’an passé, n’a plus atteint que 3,9% de janvier à septembre, très en dessous des 5,5% pour l’année – en réalité, on n’attend plus désormais qu’un PIB annuel de 3,2%, car la reprise est loin d‘être en vue. Les rues, les magasins sont vides. Impayés, les Chinois se mettent en mode survie, n’achètent plus, et ne sortent plus. Les patrons industriels ont réduit leur confiance en l’avenir, et leurs commandes de matériel, de 50,1 à 49,2 selon l’indice PMI d’espoir de chiffre d’affaires, leurs collègues des services passant de 50,6 à 48,7. Un indice de plus de 50 signifie « confiance », et de moins de 50, « méfiance ». Le pire chiffre frappe les promoteurs immobiliers, dont les 100 principaux groupes voient leurs ventes reculer de 28% sur 12 mois.
Un tel climat délétère engendre une courbe maléfique de stress sur la société, à commencer par les provinces, confinées depuis près de trois ans par villes et quartiers entiers. Elles voient s’effondrer leurs recettes fiscales, mais doivent en même temps augmenter leurs dépenses en personnel policier, en matériel, en soutien d’urgence, aux firmes et administrations pour limiter faillites et émeutes. Ainsi Dongyang, dans le Zhejiang, doit en cours d’année couper son budget de 12,7% afin d’éviter la cessation de paiement.
Sous cette perspective, les annonces des autorités financières et du Premier ministre apparaissent comme un plan de sauvetage. Les banques reçoivent ces 500 milliards de yuans pour leur permettre de reporter le remboursement des emprunts des promoteurs, reculer le moment des faillites et par rebond celles de leurs fournisseurs et celles de leurs acheteurs (dettes triangulaires). 200 milliards sont destinés aux promoteurs pour leur permettre d’achever leurs chantiers abandonnés. Vanke, un des 4 géants du secteur se fait prêter 100 milliards par la Banque de Chine (BOC), et en même temps que Gemdale, obtient son feu vert pour une souscription garantie par l’Etat pour un total de 43 milliards… On note ici que ces aides sont réservées à la complétion des chantiers en rade –pas à des projets nouveaux. De plus, seuls en bénéficient les groupes dont l’endettement permet encore d’espérer le sauvetage. Elles ne permettent que de gagner du temps, mais pas d’assurer l’essentiel – qui serait changer de business model – jusqu’à hier tout chantier, « payé » d’avance par les futurs propriétaires, était hypothéqué pour payer le chantier précédent et/ou lancer le suivant. Bien sûr donc, d’autres faillites sont à attendre, parmi les 120 000 entreprises de construction.
Paradoxalement, le seul groupe à rester florissant est Meituan, le livreur de repas qui détient nationalement 70% du marché. Entre juillet et septembre, il croît de 28% – Meituan se trouve un rôle en or, celui de « cantine du confiné » ou du « télétravailleur ». Ses profits permettent à Tencent, son propriétaire, d’éponger ses dettes dues aux restrictions sévères imposées à d’autres services du groupe, tels les jeux internet sévèrement bridés pour protéger la jeunesse.
L’effort pour tenir son économie la tête hors de l’eau, grève terriblement les finances de l’Etat : de janvier à octobre, le fisc a dû écorner ses recettes de 838 milliards de $, ce qui représente une hausse de 188% par rapport aux 12 derniers mois.
Tentons un relevé des racines de cet énorme frein à la croissance. Evidente aux yeux de tous, la première cause est la stratégie « zéro Covid », impavidement poursuivie depuis trois ans sur ordre du Président Xi, avec pour effet d’isoler, aujourd’hui, 250 millions de travailleur des villes qui assuraient l’an dernier 69% du PIB. Mais d’autres raisons viennent s’ajouter.
De 2011 à 2019, le choix idéologique d’entraver le secteur privé, en particulier les services de l’internet, a amputé la richesse nationale de 0,6% par an. Le soutien trop longtemps maintenu aux promoteurs a porté le logement moyen du Chinois à 41,76m², les invendus à 20% du parc à vendre, et la dette moyenne de ces entreprises à 80% de leurs actifs : autant de chiffres insoutenables. Et quand, en 2020, l’Etat a tenté d’enrayer le processus, la valse des cessations de paiement a débuté.
Une autre cause primordiale, à laquelle à vrai dire le régime actuel ne peut pas grand-chose, est le vieillissement de la société chinoise, diminuant chaque année le nombre des travailleurs et des consommateurs.
L’urbanisation a aussi joué son rôle : en voie d’achèvement après avoir concentré 63,9% de la population dès 2020, elle commence à causer surproduction et doublons dans le secteur de l’offre surdimensionnée par rapport à une population qui entame sa redescente.
Un dernier effet n’est pas à négliger : l’embargo des Etats-Unis sur les microprocesseurs, pour cause de baisse d’image internationale de la Chine, ralentit la percée chinoise sur les marchés des industries de pointe.
Dans cette perspective, la révolte sociale qui vient de retentir entre Pékin, Shanghai et la plupart des villes, arrive à un bien mauvais moment. Comme le fait remarquer Goldman Sachs, le pouvoir n’aura aucun mal à enrayer dans l’œuf les velléités libertaires exprimées dimanche 27, mais l’affaire sonne comme un tocsin au cœur du socialisme : « bientôt viendra le moment où il faudra choisir, la gouvernance zéro-Covid, ou la croissance ». Plus exactement, le choix ayant été fait 10 ans plus tôt quand Xi Jinping avait annoncé le programme idéologique de « Rêve de Chine », il va falloir le reconsidérer : la croissance étant, qu’on le veuille ou non, le paramètre incontournable du maintien au pouvoir de tout gouvernement !
Ancien Président de la République populaire de Chine, Jiang Zemin s’en est allé la nuit du 30 novembre à 96 ans : longévité respectable, due en partie aux privilèges médicaux réservés aux grands du monde chinois.
D’une certaine manière, sa carrière s’est bâtie sur un malentendu. Après les événements dramatiques de la nuit du 3 au 4 juin 1989, la direction du PCC avait limogé son Secrétaire général Zhao Ziyang et recherchait un personnage de transition, supposé tenir quelques mois le temps de trouver un homme faisant consensus. Secrétaire du Parti à Shanghai, Jiang passait pour un apparatchik terne – son seul mérite, à l’époque, ayant été d’avoir préservé Shanghai des troubles qui venaient de déchirer Pékin. Jiang rassurait par sa bonhomie, son embonpoint bon vivant et sa coiffure teintée, derrière ses épaisses lunettes d’écaille. Il fut donc nommé comme leader provisoire, en raison de ce style inoffensif. Il s’apprêtait pourtant à battre tous les records de longévité (avant Xi Jinping), 14 ans de 1989 à 2003.
A peine aux manettes, Jiang commença à installer ses hommes de la « faction de Shanghai » (上海帮) dans l’administration et dans l’armée, tout en chassant les « barons » des tendances rivales tel le maire de Pékin, Chen Xitong, ancien compagnon de Deng Xiaoping, destitué en 1995 et condamné à 18 ans sous prétexte d’abus sur le chantier de l’Oriental Plaza.
Sur le fond, Jiang accomplit un travail politique considérable, à commencer par le sauvetage d’un Parti en grand danger après le massacre de la place Tiananmen, du fait de son manque de soutien intérieur et mondial. A force de prudence et pragmatisme, Jiang sut remettre le pays sur les rails de la modernisation, grâce à une potion magique qui incluait les capitaux et technologies étrangers et l’exode rural, avec chaque année 10 millions de paysans montant à la ville pour embaucher dans les usines et sur les chantiers qui surgissaient comme des champignons dans la nuit.
Le « clou » de cette œuvre politique fut l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001, âprement négociée mais qui assura à la Chine et à ses partenaires commerciaux une expansion décuplée de leurs échanges commerciaux.
Jiang avait noué une amitié personnelle avec Jacques Chirac, grand amateur de l’Extrême-Orient. Ensemble, ils montèrent les « Années croisées » en 2003-2005, la France recevant en 2003 un riche assortiment (expositions, ballets, concerts) des arts chinois, et la Chine réciproquement l’année qui suivit.
L’ère Jiang vit aussi les premières craquelures avec l’Occident. A Berne en ’99, Jiang avait été accueilli par des dissidents tibétains hurlant depuis les toits des slogans contre la répression des lamas au Toit du monde : Jiang fou de rage avait répliqué en rayant la Suisse de la liste des « destinations touristiques privilégiées » chinoises, privant ainsi pour des années son pays hôte d’une manne en centaines de francs suisses par voyageur. De même en 1999, la Chine avait vu son ambassade à Belgrade détruite par l’aviation de l’OTAN : deux ans plus tard, elle se vengeait en détournant un avion espion américain EP3 vers une base militaire de Hainan. L’Amérique souffrait alors l’humiliation publique de voir l’équipage de l’appareil emprisonné, et démontés et copiés ses équipements d’écoute électroniques, à la pointe de la recherche mondiale.
Jiang Zemin connut en 1999 sa première crise intérieure quand la secte du Falungong fit encercler par 10 000 adeptes le QG du PCC. Jusqu’alors, Jiang protégeait le Falungong comme nouvelle école morale, de source purement nationale. Mais après la quasi prise d’assaut de Zhongnanhai, l’engouement prit fin : déclaré ennemi public n°1, le Falungong persécuté disparut de la scène.
Mis à part ces moments de crise, Jiang Zemin déploya tout au long de son règne un esprit fantasque et bon enfant. Chez les Chirac en Corrèze, il dansa avec Bernadette (cf photo). A Londres, il partagea le carrosse de la reine. A Hawaï, il joua de l’ukulélé. Devant Bill Clinton, il dirigea l’orchestre de l’APL le temps d’une ritournelle révolutionnaire. A Moscou, il chanta en russe et vidait des coupes de vodka au son des « nazdrowie ». A Shanghai, durant sa promenade au parc Zhongshan, un jeune français fut interpellé par deux gardes du corps, fouillé, puis conduit devant Jiang Zemin qui l’avait aperçu et souhaitait s’entretenir avec le jeune expat…
Jiang rêvait d’entrer au Panthéon des grands penseurs marxistes aux côtés de Mao et de Deng: il émit sa formule idéologique des « sān gè dài biǎo » (三个代表) ou « principe des Trois Représentativités », formule absconde qui fut l’objet de nombreuses plaisanteries auprès de l’homme de la rue. Il voulait aussi prolonger son règne au-delà de la limite des 10 ans imposée par Deng dans la Constitution. Tout échoua, notamment du fait que Deng Xiaoping, avant sa mort en ’97, avait fait nommer et présenter au monde son successeur désigné, Hu Jintao. Le Bureau politique s’opposa à ses tentatives, soucieux de préserver le principe de la direction collégiale.
Jiang devait prendre sa revanche en 2012, en empêchant Hu Jintao de réaliser le même rêve. Hu aurait voulu se faire succéder par Li Keqiang, à la tête d’une équipe réformatrice. Mais Jiang, conservateur, quoique supposément retiré des affaires, eut assez d’entregent pour imposer une alternative conservatrice, dont le leader n’était autre que Xi Jinping.
Si Jiang avait cru que le jeune leader inconnu se montrerait reconnaissant et docile, il devrait vite déchanter : Xi Jinping allait vite montrer qu’il ne roulait que pour lui-même. Dès 2016, la rumeur courait d’un Jiang en résidence surveillée, au même titre que son fils Jiang Mianheng, sous le « soupçon » de corruption. Le message était clair, et le vieil homme se tint désormais tranquille jusqu’à sa mort – sauf au Congrès de 2017 où il apparaissait outrageusement assoupi durant le discours de Xi.
L’image qu’il laisse est donc largement positive. Il sera remémoré comme l’homme d’une époque en or où la croissance permettait la liberté, compatible avec le monopole du Parti sur tous les pouvoirs. Ce compromis permettait de satisfaire la plupart, mis à part la poignée des jusqu’au-boutistes dissidents ou religieux. Le Parti, sous Xi Jinping, ne s’y est pas trompé en lui rendant cette semaine un vibrant hommage, conclu sur ce coup de gong à travers les airs : le « camarade Jiang Zemin est éternel » !
Les élections locales taïwanaises qui désignent les responsables politiques à tous les niveaux intermédiaires (régional, municipal, arrondissement, district, village) ont lieu tous les quatre ans. Les dernières avaient eu lieu le 24 novembre 2018 et avaient consacré de façon spectaculaire le KMT (Parti nationaliste) au dépit du DPP (Parti progressiste) ; celles du 26 novembre dernier respectent la même dynamique. Première conséquence : la présidente Tsai Ing-wen (DPP), élue en 2016 puis en 2020, a dû démissionner de la direction du DPP.
Pour comprendre la double dynamique, locale et nationale, des élections taïwanaises, un petit rappel peut être utile. Celles-ci se jouent généralement entre deux partis principaux : le KMT ou Kuomintang et le DPP ou Parti démocratique progressif. Traditionnellement, on caractérise le DPP comme plutôt pro-indépendance vis-à-vis de la Chine et le KMT comme plutôt pro-chinois. Le KMT n’est pas pour autant partisan d’une « réunification » immédiate qui entraînerait de facto la fin de la République de Chine. Son caractère pro-chinois, mis à part pour une frange radicale unificationiste plutôt minoritaire, concerne plus le volet économique que politique. Le KMT reproche au DPP de nuire à l’économie taïwanaise du fait de relations politiques dégradées avec Pékin – principal partenaire commercial de l’archipel formosan. En outre, certains s’inquiètent que la confrontation puisse conduire à la guerre et prônent donc l’apaisement. Toutefois le fait que les Taïwanais aient voté deux fois pour la candidate du DPP aux élections présidentielles témoigne d’une réalité politique tout aussi fondamentale : la majorité des Taïwanais perçoivent leur culture comme différente de celle de la Chine et pensent que, sans renier l’héritage historique commun, les deux pays ont divergé trop profondément depuis 70 ans pour pouvoir à nouveau former une seule nation. L’attachement démocratique profond et la dérive autoritariste de la Chine depuis le règne de Xi Jinping renforcent ce sentiment aujourd’hui irréversible.
L’ erreur commune et répétée des analystes est de lire dans la victoire du KMT au niveau local un signe de rapprochement vers la Chine. La victoire surprise de Han Kuo-yu (KMT) à Kaoshiung aux élections locales de 2018 avaient amené certains à prédire une défaite de Tsai aux élections présidentielles. Elle fut pourtant triomphalement réélue en 2020 – bien aidée, il est vrai, par la répression chinoise sur Hong-Kong ayant rendu inaudible le discours de son opposant, le candidat KMT Han Kuo-yu vantant les mérites du « un pays, deux systèmes ». Les mauvais résultats du DPP aux élections locales de 2022 ne dérogent pas à cette « règle » : parlant de catastrophe historique pour le DPP, une partie de la presse internationale y voit un revers du « parti pris antichinois de la présidente Tsai » – ce qui ravit Pékin et sa presse officielle. Comme on l’avait observé avec la venue de Pelosi dans l’archipel formosan en août dernier, les agences de presse étrangères semblent plus suivre la phraséologie du PCC que partir d’une analyse neutre du contexte taïwanais.
Une analyse objective des élections doit d’abord prendre en compte la participation au vote. En 2022, celle-ci est historiquement basse : 61% des votants, 59% dans les plus grandes villes – moins que les 66% de 2018, et beaucoup moins que les 75% des élections présidentielles de 2020.
Ainsi les 50% des votes pour le KMT de 2022 de 61% des votants sont à relativiser face au 57% pour le DPP sur 75% des votants des élections présidentielles de 2020. Plus encore, si le DPP a 41% des votes en 2022, il en avait moins (39%) en 2018.
Pour autant, si on ne peut tirer d’une élection locale aucune conclusion au niveau national et donc au niveau des relations inter-détroits, l’échec du DPP reste riche d’enseignements. L’erreur du Parti progressiste dans ces élections est d’avoir misé sur la critique systématique des candidats de l’opposition plutôt que sur la démonstration des mérites de ses propres candidats. Elle est aussi d’avoir joué la carte de la menace chinoise au niveau local. Si l’attitude belliqueuse de la Chine est un facteur rassembleur, le fait d’y avoir recourt trop souvent à titre électoral risque d’en dévaluer la puissance. L’erreur stratégique pour le DPP serait de croire qu’un électorat se sentant majoritairement taïwanais – à 64% selon les derniers sondages – devrait voter automatiquement en sa faveur. En réalité, à partir du moment où le sentiment d’identité taïwanaise devient un attribut majoritaire, il ne peut plus servir d’unique marqueur à la différentiation politique.
Autrement dit, la victoire du DPP en termes de déconstruction de l’identité chinoise et d’identification à Taïwan pourrait ne plus constituer une rente certaine au niveau électoral. Dès lors, inversement, une victoire du KMT pourrait ne plus devoir être automatiquement interprétée, par les observateurs étrangers et par Pékin notamment, comme un signe de rapprochement avec la Chine. Le KMT aurait à rendre des comptes à son propre électorat s’il se rapprochait trop de la Chine.
Que les cadres du PCC pensent que la victoire du KMT aux élections locales montre la volonté des « compatriotes taïwanais » de revenir au sein de la « mère patrie » est une illusion dont on ne saurait trop vouloir les détromper.
En effet, une telle illusion donne à Taïwan un répit nécessaire lui permettant de continuer à renforcer ses alliances et augmenter sa résilience militaire. Que la Chine préfère un candidat KMT victorieux aux présidentielles de 2024 et mette désormais tout en œuvre dans ses moyens de propagande pour influencer les élections est une évidence. Encore faut-il se défaire de l’idée commune selon laquelle une victoire du KMT au niveau national serait le gage d’une véritable détente et d’une paix durable dans le détroit. En réalité, il pourrait être plus judicieux pour Pékin d’attaquer Formose quand celle-ci est dirigée par un gouvernement KMT sans doute plus hésitant à combattre et potentiellement plus « défaitiste ».
Venez écouter les épisodes 40 et 41 des « Chroniques d’Éric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.
Episode 40 des « Chroniques d’Éric » : » La Chine en plein COVID – ou l’art de chevaucher le tigre »
Sous la pandémie, la Chine s’embrase soudain – le monde, et le régime en premier, sont pris par surprise. Au delà de la simple description des faits et scènes de l’incroyable scène de théâtre qui se déroule à travers l’Empire du Milieu, et dans l’attente de voir si un vrai drame peut encore s’éviter, j’essaie d’analyser et de soulever certaines clés des événements en cours. Et comme tout le monde, je retiens mon souffle.
Episode 41 des « Chroniques d’Éric » : « Jiang Zemin, le dernier des humains »
Durant la décennie 1990, la population étrangère avait plutôt la dent dure contre le président de l’époque, Jiang Zemin en qui elle voyait tantôt un dictateur, tantôt un personnage pâle et falot voire un peu ridicule. Mais à présent qu’il vient de décéder, et 19 ans après son départ du pouvoir, ce sont ses qualités qui réémergent, ainsi que l’évaluation de son époque qui rétrospectivement, apparait moins autoritaire et obscurantiste, que dynamique, joyeuse, et plus en paix avec elle-même que dans les temps présent. Tous comptes faits, par rapport aux hommes qui lui ont succédé, Jiang Zemin apparait infiniment plus communiquant, accessible, et capable d’exprimer et partager ses émotions. C’est en ce sens que je le désigne ici, dans la classe présidentielle chinoise, comme « le dernier des humains », pour sa capacité de rire et de faire rire – puisque selon le mot de Montaigne, le propre de l’homme, c’est avant tout le rire !
En tous cas, tous ces épisodes, inspirés par mes souvenirs et l’actualité, n’ont que le double but de vous amuser et faire découvrir la Chine. – Eric Meyer
Si les orphelins devenus adultes se débattent avec des questions qui s’ouvrent comme des gouffres, les cœurs continuent de saigner dans les familles contraintes d’abandonner leur enfant. Lu Shufang, l’aînée de cinq enfants, se souvient très bien du jour d’avril 1960 où sa mère a emmené sa petite sœur de deux ans à Shanghai. De la ville de Yixing dans la province du Jiangsu, elles ont pris le bateau puis le train jusqu’à la mégapole. Après avoir acheté un gâteau au sésame à sa petite fille, sa mère l’a laissée devant l’entrée d’un restaurant.
Durant les trois mois du printemps 1960, plus de 5 200 enfants sont ainsi ramassés dans les rues de Shanghai. Lu Shunfang se souvient des pleurs de sa mère. Sur son lit de mort encore, elle fait promettre à son aînée de continuer les recherches. Depuis 2000, Shunfang n’a jamais cessé. Sur ses propres deniers, elle est partie dans le Shanxi, Shaanxi, Hebei, Liaoning, Henan et la Mongolie Intérieure sur les traces de sa petite sœur. Sans réussir encore à la retrouver, elle a croisé de nombreuses personnes, comme elle, à la recherche les uns des autres.
La tâche est ardue tant les traces écrites manquent : pas de papiers d’identité dans les poches de ces enfants bien sûr et les rares enregistrements dans les archives de Shanghai ou dans les provinces d’arrivée ont été détruites toutes ou parties pendant la Révolution culturelle.
Pour que ses pérégrinations servent à d’autres, Lu Shunfang a créé l’association du Grand Bond des Orphelins de Shanghai (上海孤儿寻亲会, Shànghǎi gū’ér xún qīn huì) et monté un site internet permettant aux familles et aux orphelins de s’enregistrer et d’avoir accès aux données laissées par d’autres. Chaque année, l’association organise de grands rassemblements (cf photo – credit SCMP ) où des milliers d’orphelins venus de toute la Chine rencontrent les familles qui cherchent. Un visage ressemblant, des tâches de naissance, des marques de brûlure, des oreilles percées ou un tatouage, les mémoires se saisissent du moindre détail pour pallier à l’absence de papiers, de certificats, de témoignages écrits. Parfois ça marche et très souvent, la mémoire de Lu Shunfang y est pour quelque chose.
Ainsi de Wu Xiuqin, rencontrée lors d’un voyage dans le Nord, qui souhaite retrouver ses parents biologiques. Mais ses jambes paralysées suite au tremblement de terre de Tangshan la font hésiter. Si elle la retrouvait, sa famille accepterait-elle d’accueillir une handicapée ? De retour chez elle, Lu Shunfang reçoit quelques temps plus tard une femme originaire de Wuxi à la recherche de sa sœur. En discutant avec elle, Lu Shunfang s’aperçoit que Wu Xiuqi pourrait être cette sœur. Elle s’occupe alors d’organiser une rencontre et ses déductions se voient confirmées par un test ADN. Parfois, des familles sont tellement sûres qu’elles refusent le test, menant parfois à des situations encore plus compliquées.
Sur les 50 000 orphelins, un millier environ ont retrouvé leurs familles. Mais, malgré des mémoires encore vives, 99% n’ont toujours pas identifié leurs familles biologiques. Certains ne le souhaitent pas, à l’instar de Jalgamj, complètement assimilé et considérant la Mongolie Intérieure comme sa maison. Sun Baowei, lui, rêve de savoir d’où il vient mais refuse d’enregistrer son ADN dans la base de données nationale créée à cet effet. Il dit être maintenant en paix avec son passé. Quant à Lu Shunfang, elle continue de chercher. Bien consciente du pouvoir de l’écrit – les données enregistrées sur son site internet en sont la meilleure preuve – elle finit d’ailleurs une interview pour un article dans le China Quaterly Heritage de septembre 2009 par ces mots : « Ma mère s’appelait Xie Xiumei. Ma sœur s’appelait Lü Yafang. Oh, Yafang, si tu lis ceci, quel que soit l’endroit le plus reculé de la terre où tu puisses être, s’il te plait, reviens. Maman est partie. Mais j’ai gardé une mèche de ses cheveux pour toi. »
Duguima, Lu Shunfang, mémoires vivantes pour combien de temps encore ? Devant le silence du gouvernement sur tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la Grande famine – aujourd’hui désignée par l’euphémisme « trois ans de difficultés » afin de protéger l’image de Mao et du parti – devant les archives à nouveau fermées et l’enseignement de cette période soigneusement occultée dans les écoles et universités, comment faire pour que le peuple chinois n’oublie pas son passé ? Il faut l’écrire et Lu Shunfang ne nous contredirait pas, car « l’encre la plus pâle vaut mieux que la meilleure mémoire. » (好记性不如烂笔头, Hǎo jì xìng bù rú làn bǐ tóu).
Par Marie-Astrid Prache
7-9 décembre, Shenzhen : CIOE – China International Optoelectronic Expo, Salon chinois international de l’optoélectronique REPORTE du 6 au 8 septembre 2023
7-9 décembre, Shanghai : SIAL, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux REPORTE du 18 au 20 mai 2023
9-11 décembre, Pékin : ISPO BEIJING, Salon professionnel international des sports, de la mode et des marques de vêtements. REPORTE, Date à confirmer
9-11 décembre, Pékin : ALPITEC, Salon international des technologies de la montagne et des sports d’hiver. REPORTE, Date à confirmer
14-16 décembre, Shanghai : CBME – Children Baby Maternity Expo, Salon international de l’enfant, du bébé et de la maternité. REPORTE du 28 au 30 juin 2023
18-21 décembre, Canton : CIBE – China International Beauty Expo, Salon international de l’industrie du bien-être et de la beauté. REPORTE du 10 au 12 mars 2023
14-16 décembre, Shanghai : INTERMODAL ASIA, Salon et conférence sur le transport naval et la logistique portuaire. REPORTE du 19 au 21 juillet 2023
20-22 décembre, Shanghai : CPHI / PMEC, Salons internationaux de la pharmacologie et des biotechnologies qui rassemblent compagnies pharmaceutiques, institutions et organismes de recherche. REPORTE du 19 au 21 juin 2023. Salon en ligne du 21 novembre 2022 au 13 janvier 2023
20-23 décembre, Shanghai : AUTOMECHANIKA, Salon professionnel international des pièces détachées et accessoires pour l’industrie automotive, des équipements pour garages et stations-services
21-23 décembre, Pékin : INFOCOMM CHINA, Salon et conference sur les technologies de l’information et de la communication. REPORTE du 19 au 21 juillet 2023
21-23 décembre, Chengdu : CTEF, Salon chinois international des équipements et procédés chimiques
26-28 décembre, Pékin : CIBE – China International Beauty Expo, Salon international de l’industrie du bien-être et de la beauté
27-29 décembre, Shanghai : SNEC PV POWER EXPO, Conférence et exposition internationales sur les technologies de stockage d’énergie. REPORTE du 24 au 26 mai 2023
27-30 décembre, Shenzhen: LOGIMAT CHINA, Salon international de la distribution, du matériel de manutention et des systèmes de gestion des flux