Culture : Les orchestres symphoniques, au diapason

Les orchestres symphoniques, au diapason

C’est un paradoxe de belle grandeur : alors qu’en Europe, les orchestres symphoniques doivent lutter pour ne pas disparaître, en Chine leur nombre  est passé de 30 à 80 entre 2009 et aujourd’hui. Les 1 499 salles de 2009 sont devenues 2 478 (2018), et 200 autres sont en projets. D’après l’office statistique de Chine, les 6 139 « ensembles de performance musicale » de 2009 ( regroupant les orchestres en tous genres des 32 provinces) ont presque triplé de 2009 à 2018, à 17 123. Les budgets des orchestres font bien plus fort, bondissant de 130 millions d’euros de rentrées en 2009 à 1,6 milliards en 2018, soit 11 fois plus.

Dans ce dernier chiffre, un détail fait pourtant lever les sourcils : seuls 472 millions d’euros proviennent de la billetterie (25%), tandis que les subventions, à 40 millions d’euros, font à peine plus de 2%. Ce que cela implique, est qu’en moins de 10 ans, une part majeure du revenu des orchestres a été trouvée ailleurs, hors des salles de concert. Ils se sont mis à produire pour des pubs, des séries télé, ou des événements d’entreprises. Ainsi en 10 ans les orchestres, au départ biberonnés par l’Etat, se sont soudain pris en main pour aller vers le marché et y placer des produits musicaux nouveaux.

L’équipement suit la tendance. Aux quatre points cardinaux du pays, les salles bourgeonnent. Les villes ont l’argent, et veulent le meilleur : des architectes internationaux tels Paul Andreu (NCPA, Pékin),  J.M. Charpentier (Shanghai), de Portzamparc (Suzhou) ou Zaha Hadid (Canton).

Un autre allié de ce boom a été le système scolaire post-Mao, plébiscité par les parents, qui font vivre les écoles par les droits d’inscription. Tout jeune chinois doit recevoir durant ses 9 ans de scolarité obligatoire une à deux heures d’instruments et/ou de solfège. Très souvent, les parents y ajoutent des cours particuliers. Résultat, le pays pourrait compter selon certains 50 millions de jeunes pianistes.

Au niveau supérieur, la nation comporte 11 conservatoires d’excellente qualité tel à Pékin, le Conservatoire « central » (35ème mondial), et des écoles ou facultés de musique dont celle de Nankin qui se classe quatrième nationale ! A ces écoles doivent s’ajouter celles de l’APL (armée populaire de libération), dont un établissement présidé jusqu’à hier par Peng Liyuan, l’épouse de l’hyper-président Xi Jinping – une école gâtée au plan budgétaire, et drainant les meilleurs espoirs.

Seule lacune dans ce système, la formation en direction d’orchestre ne suffit pas : typiquement, un chef chinois a la charge de 2 à 3 orchestres, sur autant de villes, ce qui le fait partager sa vie entre les salles de répétition et les TGV ou avions.

Selon Guillaume Molko, violoniste solo depuis 2013 à l’orchestre symphonique de Shanghai, le niveau technique des instrumentistes est excellent : les Chinois travaillent beaucoup, avec pour seule limitation une difficulté individuelle à s’affirmer et interpréter. C’est que l’école socialiste décourage les individualités. Les débutants ont aussi bien du mal à respecter la discipline, chacun étant tenté de jouer « en cavalier seul », couvrant le son des autres. « C’est humain, dit Molko, chacun au départ, rêve d’être Lang Lang ou Yoyo Ma…“.  

Le public des salles de concert chinoises est très jeune, 15 à 30 ans en moyenne, résultat des cours particuliers suivis par les jeunes, qui leur font « comprendre » cette musique, contrairement à leurs parents. Face à l’orchestre, leur attitude a aussi radicalement changé : aujourd’hui, on applaudit, on  réclame un « bis », on  lance un bouquet sur la scène !

Dans cette chevauchée fantastique de la musique, le rôle de l’Etat est par force écrasant. Un « comité artistique » choisit en principe le répertoire, mais il est cornaqué par la cellule du Parti qui, selon une source, «  veille à prévenir les velléités de déviation avec la ligne du moment ». De ce fait, la programmation manque d’audace, faisant penser aux choix qu’on faisait en Europe au début du siècle, et souvent censurée d’œuvres où l’aspect religieux est trop explicite. Les auteurs russes abondent, Moussorgski ou Rachmaninov, suivis des allemands – Beethoven, Mahler, Strauss. Les Français sont en retrait, note Molko, avec des maîtres tels Ravel ou Debussy.

Une musique classique purement locale émerge, encouragée par le Parti. En 2018 au NCPA par exemple, un très curieux ensemble de 60 instrumentistes en noir, queues de pie pour les messieurs, robes longues pour les dames, exécutait des transcriptions d’airs folkloriques. Les instruments étaient 100% chinois, « erhu » (violon à deux cordes), « guzheng » (cithare horizontale), tambourins et fifres. L’intention était claire : inventer une musique nationale dans laquelle les chinois puissent s’identifier. Evidemment une création de commande, le concert se voulait une alternative à la musique occidentale. Il eut du mal à convaincre, vue l’absence d’harmonie et le recours unique à la mélodie répétée tour à tour par chaque pupitre.

On le voit, pour éviter la « pollution spirituelle » venue de l’Occident, le Parti veut maintenir le classique sous étroit contrôle. Jusqu’à présent, cette partition malaisée imposée par le régime reste acceptable pour le milieu professionnel, au nom du bond en avant prodigieux qu’il vit. Au vu des années fastes que traverse ce monde de la muse lyrique, gageons que le compromis restera en place, longtemps encore.

Par Eric Meyer

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1 Commentaire
  1. severy

    Qu’en est-il de l’extraordinaire faconde des compositeurs locaux de musique classique pseudo-occidentale dont on pouvait écouter les oeuvres diffusées sur les ondes de la radio d’État dans les années 80?

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