Diplomatie : Le vent mauvais soufflant sur l’économie chinoise pousse Xi Jinping à San Francisco

Le vent mauvais soufflant sur l’économie chinoise pousse Xi Jinping à San Francisco

Tous les regards étaient tournés la semaine passée vers la rencontre entre le dirigeant chinois Xi Jinping et le président américain Joe Biden à San Francisco en marge du sommet de l’APEC , forum intergouvernemental qui promeut le libre-échange entre 21 économies membres de la ceinture du Pacifique . Basée à Singapour, l’APEC est l’un des plus anciens forums de la région Asie-Pacifique et exerce une influence mondiale. La présence de Xi Jinping à ce sommet est si l’on veut un succès pour les Etats-Unis au niveau diplomatique mais marque aussi un besoin pour la Chine de se replacer au centre du jeu économique au moment où les signaux négatifs s’accumulent.

La principale nouvelle économique de la semaine est que la Chine a enregistré un déficit de 11,8 milliards de $ d’investissements étrangers (IDE) au cours des trois mois se terminant fin septembre. Avec plus de retraits que de nouveaux investissements pour la construction d’usines ou autres, c’est la première fois depuis 1998 que les IDE sont négatifs.

Simplement dit, cela signifie que les entreprises étrangères ne réinvestissent pas leurs bénéfices en Chine, mais qu’elles retirent plutôt l’argent du pays. Les sorties d’investissements directs étrangers reflètent la forte détérioration des perspectives économiques du pays. Dans une enquête réalisée en septembre auprès des entreprises membres de la Chambre japonaise de commerce et d’industrie en Chine, près de la moitié des personnes interrogées ont déclaré qu’elles n’investiraient pas du tout en Chine en 2023 ou moins qu’en 2022. En effet, le ralentissement de l’économie et la lutte avec les États-Unis à la fois géopolitique (Ukraine, Palestine, Philippines, etc.) et technologique ont suscité des doutes quant au potentiel économique de la deuxième économie mondiale qui continue de faire face à une détérioration de la confiance des consommateurs et des entreprises, ainsi qu’à des tendances persistantes au découplage.

La crise du Covid et les mesures de confinement zéro ont provoqué des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Apple a ainsi diversifié sa chaîne d’approvisionnement en délocalisant une partie de sa production en Inde. Selon Nick Marro, du cabinet britannique The Economist Intelligence Unit, davantage d’entreprises ont répondu aux appels à la « diversification », alors que les tensions entre la Chine et les États-Unis se sont accrues avec de nouvelles restrictions à l’exportation sur les matières premières et la technologie nécessaires à la fabrication de puces avancées. Si l’on examine les investissements étrangers dans le domaine des semi-conducteurs par destination, la part de la Chine est déjà tombée de 48 % en 2018 à 1 % en 2022, selon le cabinet de recherche américain Rhodium Group. En revanche, la part des États-Unis est passée de zéro à 37 %. La part combinée de l’Inde, de Singapour et de la Malaisie est passée de 10 % à 38 %.

En outre, alors que la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne, ont augmenté leurs taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, les décideurs politiques chinois ont réduit le coût des emprunts pour soutenir l’économie et le secteur immobilier en difficulté. Dans ce contexte, le yuan s’est déprécié de plus de 5 % par rapport au dollar et à l’euro. Ainsi, plutôt que de réinvestir les bénéfices chinois dans le pays, les entreprises qui disposent de liquidités et de revenus excédentaires en Chine transfèrent ces fonds à l’étranger, pour obtenir un retour sur investissement plus élevé par rapport aux investissements en Chine. En effet, le coût plus élevé des emprunts, qui promet des rendements plus élevés, attire les capitaux étrangers. Les avoirs des investisseurs institutionnels étrangers en obligations sur le marché interbancaire chinois sont passés d’un record de 4 000 milliards de yuans en 2021 à 3 190 milliards de yuans fin septembre.

Ce ralentissement a des répercussions dans le monde entier. On sait que la Chine a noué des liens économiques profonds avec les pays d’Afrique subsaharienne au cours des 20 dernières années, ce qui en fait le plus grand partenaire commercial de la région. La Chine achète un cinquième des exportations de la région – métaux, minéraux et carburants – et fournit la plupart des produits manufacturés et des machines importés par les pays africains. C’est pourquoi tout ralentissement chinois a une répercussion directe sur l’Afrique. Des spécialistes ont ainsi calculé qu’une baisse d’un point de pourcentage du taux de croissance chinoise peut réduire la croissance moyenne de la région d’environ 0,25 point de pourcentage. Pour les exportateurs de pétrole, comme l’Angola et le Nigeria, la perte pourrait être de 0,5 point de pourcentage en moyenne. Le ralentissement de l’économie chinoise se répercute aussi sur les prêts souverains à l’Afrique subsaharienne, tombés en dessous de 1 milliard de $ l’année dernière, soit le niveau le plus bas depuis près de deux décennies. Autrement dit, quand les IDE sont à leur plus bas en Chine, les prêts chinois au reste du monde sont aussi touchés, avec le risque élevé de perte d’influence géopolitique qui s’ensuit – ce qui pour Pékin est sans doute le plus préoccupant.

L’escalade des tensions avec les États-Unis est souvent citée comme l’une des raisons du déclin des investissements étrangers. Dans une enquête menée l’automne dernier par la Chambre de commerce américaine en République populaire de Chine, 66 % des membres interrogés ont cité les tensions bilatérales croissantes comme un défi commercial en Chine. Sans préjuger des autres discussions en cours, c’est là sans doute la principale raison de la présence de Xi Jinping à l’APEC. Malgré sa diatribe anti-occidentale constante et l’exacerbation de sa logique identitaire, la Chine est rappelée au principe de réalité et celui-ci, nolens volens, passe par Washington et San Francisco.

Par Jean-Yves Heurtebise

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