Diplomatie : Mini-concessions pour mini-deal

Et c’était reparti pour un tour ! Les négociations sino-américaines reprenaient à haut niveau le 10 et 11 octobre à Washington, entre le vice-Premier Liu He, le patron de la Banque Centrale chinoise Yi Gang, et le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, en compagnie du secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin. C’était la 13ème tentative de trouver un accord pour mettre fin à la guerre commerciale, qui en cas de détérioration, ferait s’évaporer du PIB mondial 700 milliards de $, soit l’équivalent de l’économie suisse, d’ici 2020 selon le FMI.

Quelques jours avant la reprise des négociations, pour accentuer la pression, le Département américain au Commerce ajoutait à sa liste noire 20 organes gouvernementaux chinois de la Région Autonome du Xinjiang pour avoir été impliqués « dans des violations des droits de l’Homme et abus dans la mise en place d’une campagne de répression, de détention arbitraire, et de surveillance high-tech envers les Ouïghours, Kazakhs et autres membres de minorités musulmanes au Xinjiang ». 8 « licornes » chinoises étaient également « blacklistées » : celle des systèmes de reconnaissance vocale iFlytek, faciale Megvii, d’intelligence artificielle SenseTime et Yitu, de récupération de données numériques Pico, de nanotechnologies Yixin, et de vidéosurveillance Hikvision et Dahua. Cette mise au ban les empêche de continuer à se fournir auprès de compagnies américaines comme Intel, Nvidia et Ambarella. Cette sanction pourrait fortement les handicaper, toutes étant dépendantes des technologies étrangères. C’est aussi la menace qui plane depuis mi-mai sur Huawei, son sursis expirant le 19 novembre. Pourtant, le ciel semble s’éclaircir pour le groupe de Shenzhen : ses fournisseurs américains seraient sur le point d’obtenir des licences permanentes pour vendre à Huawei.

En réalité, cette nouvelle liste noire était déjà prête depuis quatre mois et devait être dévoilée lors d’un discours du vice-Président Mike Pence sur les droits de l’Homme à l’occasion du 30ème anniversaire du Printemps de Pékin. Mais pour laisser une chance à la rencontre entre Donald Trump et le Président chinois Xi Jinping au G20 d’Osaka, cette prise de parole était repoussée. 

C’est un tournant dans le conflit, car jusqu’à présent, Huawei et ses filiales étaient sanctionnées pour des questions de sécurité nationale. Toutes les firmes technologiques nouvellement sanctionnées étant leaders dans leur secteur, on peut naturellement s’interroger sur les motivations des Etats-Unis : véritable inquiétude humaniste pour la situation au Xinjiang ou motif pour ralentir ces firmes dans leur conquête des marchés mondiaux ? Sûrement un peu des deux. En tout cas, pour Geng Shuang, porte-parole de la diplomatie chinoise, les Etats-Unis utilisent le Xinjiang « comme prétexte pour s’ingérer dans les affaires intérieures de la Chine ».

Ainsi, le champ de l’affrontement ne cesse de s’élargir, à l’initiative américaine, avec toujours plus d’entreprises chinoises sanctionnées, pour différentes raisons (sécurité nationale, droit de l’Homme). 

Et le locataire de la Maison Blanche songerait déjà à de nouvelles sanctions, comme interdire les sociétés chinoises de se coter en bourse américaine, déplaçant ainsi le conflit aux marchés financiers. En effet, Pékin empêcherait ces firmes de se conformer aux lois américaines en matière de transparence financière. Ce coup de massue frapperait Alibaba, JD.com, Pinduoduo, Baidu, NetEase, Tencent et 150 entreprises chinoises côtées aux Etats-Unis, dont au moins 11 sont contrôlées par l’Etat chinois, pour un total de 1 200 milliards de $ de capitalisation boursière. Jusqu’à présent, l’option était écartée de peur de déstabiliser les marchés.

Finalement, comme beaucoup l’avaient prédit, cette 13ème ronde de palabres accouchait d’un « mini-deal ». Quinze mois après le début du conflit, Trump se targuait d’avoir atteint la « phase 1 » d’un accord, incluant une augmentation à 40 ou 50 millions de $ d’achats de produits agricoles américains, la promesse de ne plus affaiblir son yuan, une ouverture de son marché financier, et des mesures concernant les transferts forcés de technologies. En échange, le Président américain suspendait la hausse des tarifs douaniers de 25% à 30% sur 250 milliards de $ produits chinois prévue le 15 octobre. Il reste maintenant à formaliser cet accord, peut-être avec le Président Xi Jinping lors du sommet de l’APEC le 16 novembre au Chili. Une autre hausse douanière reste quand même prévue pour le 15 décembre (15% sur 160 milliards de $ de produits de consommation), tout comme le reste des taxes.

Difficile de dire à ce stade si la Chine a montré une posture plus souple que lors des négociations de mai dernier, durant lesquelles elle faisait marche arrière alors que 90% de l’accord était prêt. Le conclave estival de Beidaihe a-t-il joué un rôle pour arriver à ce mini-deal ? La procédure de destitution entamée à l’encontre de Trump (pour avoir sollicité l’interférence de l’Ukraine dans les prochaines élections américaines) qui l’a forcé à adopter une attitude plus conciliante face à la Chine ? En tout cas, sans contenir de véritables mesures qui changeront la donne des relations sino-américaines, ce mini-deal exprime au moins une volonté de deux parties de ne pas aggraver le conflit. Les sujets qui fâchent vraiment devraient être négociés durant la « phase 2 », si elle a lieu ! En effet, Trump peut bien décider de se contenter de ce mini-deal avant les élections de novembre 2020, au grand soulagement de la partie chinoise. Toutefois, le nouveau regain de sanctions qui a eu lieu avant le début de ces négociations, ne laisse pas présager un tel scénario. « Phase 1 » ou « phase 2 », les liens qui unissent les deux premières puissances mondiales ne sera probablement plus jamais les mêmes après ce conflit.

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