Sur les plateformes Bilibili (哔哩哔哩) et Douyin (抖音), ses vidéos sont suivies par plus de 450 000 personnes et la plus populaire a été vue plus d’1,6 million de fois. Mais de quoi parle cet influenceur nommé Pan Deng ? Et qui est-il ?
Pan Deng est un jeune Chinois, originaire de la province du Hebei. Bon élève, travailleur, il a sué des heures durant sur ses devoirs, avec un seul objectif en tête : obtenir le meilleur score possible à l’examen national du gaokao (高考, l’équivalent chinois du baccalauréat) pour décrocher une place dans une prestigieuse université, puis accéder à une belle carrière, celle dont rêve tous ses ancêtres. Les places sont limitées, les étudiants de plus en plus nombreux chaque année, la concurrence est rude et la pression parfois intenable dans le cercle familial. Pas de sorties entre copains, pas de petite amie, pas de télévision… Parents et grands-parents y veillent avec férocité, la quête de l’excellence commençant dès la naissance.
Une fois le gaokao en poche, c’est le départ vers l’université, dans une grande ville, puis la recherche d’un emploi, rendue difficile par le nombre toujours croissant de diplômés, et aggravée par le vieillissement de la population et les départs à la retraite repoussés. Pan Deng rejoint alors la cohorte des fourmis (yǐzús ; 蚁族), ces jeunes diplômés originaires de province, détenteurs d’un maigre salaire, qui ne leur permet pas de vivre décemment dans des villes où les prix de l’immobilier flambent, où le coût de la vie est élevé. Ils partagent des colocations misérables en banlieue, rognent sur leur santé, poussent leurs limites dans l’espoir de réussir un jour, puis d’assumer le prochain devoir filial : se marier, avoir des enfants, assurer la lignée. Telle était la voie tracée pour Pan Deng.
Pourtant, usé par sa vie citadine à Pékin puis à Hangzhou, fatigué du rythme effréné qu’il y mène sans perspective d’amélioration, Pan Deng a décidé de changer de vie, tenter sa chance à Guangzhou, attiré par le climat et la cuisine cantonaise.
Là-bas, il découvre des quartiers entiers de résidences flambant neuves, quasi vides, à louer pour des prix défiants toute concurrence. Pour 600 yuans par mois, Pan vit dans un 65m2 avec balcon, quand à Pékin la même somme paie un lit dans un dortoir. Après six mois dans cet appartement douillet, Pan Deng part découvrir l’ile de Hailing, à 300km de là, où il déniche un magnifique logement avec vue sur mer pour 700 yuans.
Sa deuxième vie commence avec ce constat et le nombre croissant de ses followers sur les réseaux sociaux où il commente ses découvertes : il sera nomade digital, sillonnant le pays à la recherche de ces complexes immobiliers déserts jaillissant de terre dans une débauche de béton et d’acier, promettant des appartements luxueux à des acheteurs qui n’arrivent jamais. 300 RMB dans le Shandong pour un logement dans une ville-fantôme, 800 RMB par mois au sud-ouest du Sichuan pour un appartement de haut standing, Pan Deng partage ses trouvailles avec ses abonnés.
Ses vidéos poussent d’autres jeunes à suivre son exemple, tous partisans du mouvement « tǎng píng » (躺平) qui se révoltent en « s’allongeant ». Ils renoncent ainsi à l’idée de trouver un travail, de faire des heures supplémentaires, de prétendre à une promotion, d’acheter une voiture ou un appartement, de se marier, et d’avoir des enfants. Ce faisant, ils privilégient leur santé mentale et leur tranquillité d’esprit, au détriment des attentes de la société.
Ainsi va de Song, un développeur de jeux vidéo de 35 ans, quittant 10 ans de vie professionnelle pour s’installer à Yintan, à l’est de la province du Shandong. Tous les deux mois, il change d’appartement, au gré des 200 complexes résidentiels construits sur 20km de côte, chaque complexe étant constitué de douze à une centaine de bâtiments… L’embarras du choix donc, loyer d’environ 400 RMB par mois, terrasse avec vue. Malgré un taux d’occupation de moins de 5%, d’autres tours sortent encore régulièrement de terre. Il y aurait aujourd’hui en Chine plus de 65 millions de logements vides, assez pour loger toute la population française !
Par leur révolte silencieuse, en « vivant au jour le jour sans se soucier du futur » (及时行乐, jí shí xíng lè), ces jeunes remettent en question l’ancien modèle économique qu’ils jugent dépassé. Si leur style de vie ne s’avère pas exempt de déséquilibres – branchés sur les réseaux sociaux, sans perspectives et sans vie sociale réelle, isolés dans des quartiers vides où cinéma, karaokés et bars n’ont, eux, pas été construits – il a le mérite de proposer une alternative, de réfléchir. Confucius aurait peut-être son mot à dire dans tout ça, réunissant jeunes et anciens autour de souvenirs communs, lui que tous ont invoqué à la veille de leurs examens, le priant de leur apporter clarté d’esprit et sagesse pour réussir. « Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu » (允执其中 ; yǔn zhí qí zhōng ) , trouve-t-on dans ses Entretiens. Il n’est pas trop d’une vie pour essayer de le mettre en pratique !
Par Marie-Astrid Prache
2 Commentaires
severy
11 octobre 2022 à 03:21Yun zhi qi zhong.
Notez que ce quasi proverbe ne doit pas être suivi à la lettre dans le domaine à haut risque de la circulation routière… 😉
prache.ma@gmail.com
11 octobre 2022 à 16:43;-)) Très juste!