Technologies & Internet : Pékin purge son secteur des semi-conducteurs

Pékin purge son secteur des semi-conducteurs

Nous sommes en avril 2018 à Wuhan. Le Président Xi Jinping est en visite chez Yangtze Memory Technologies Corp (YMTC), l’un des plus gros producteurs de semi-conducteurs du pays. Vêtu d’une blouse blanche, le leader déclare alors que ces petits circuits intégrés sont aussi importants pour la production industrielle que le cœur pour les êtres humains.

Depuis lors, le dirigeant ne cesse d’appeler les entreprises et les ingénieurs du pays à redoubler d’efforts pour réaliser des percées technologiques dans ce secteur-clé afin de mettre un terme à la dépendance de la Chine vis-à-vis des puces étrangères.

Encore fin août, Xi Jinping rappelait à quel point ces avancées sont indispensables à la « réjuvénation » de la nation, alors que Washington cherche à restreindre par tous les moyens l’accès de la Chine à ces technologies *.

Bien conscient que ces semi-conducteurs représentent son talon d’Achille, Pékin a investi sans compter dans le développement de sa propre filière. Cependant, une série de mises sous enquête de « pointures » du secteur pour corruption depuis juillet suggère que les résultats des investissements massifs de l’État n’ont pas été à la hauteur des attentes du leadership.

Parmi les dirigeants mis en cause, Zhao Weiguo, l’ex-président du conglomérat surendetté Tsinghua Unigroup, Ding Wenwu, ancien directeur du « Big Fund », principal fonds d’investissement chinois ayant levé plus de 50 milliards de $ depuis 2014 auprès d’entreprises publiques comme China Tobacco et China Mobile pour développer le secteur, ainsi qu’une demi-douzaine de ses collègues. Même le ministre de l’Industrie et des Technologies de l’information, Xiao Yaqing, dont le « Big Fund » dépend, a été placé sous enquête – une première depuis des années pour un ministre en poste **.

Derrière cette purge, se trouve une contradiction fondamentale entre l’ambition de Xi Jinping de faire de la Chine un pays autosuffisant dans ce domaine grâce aux directives et financements de l’État, et la nature extrêmement complexe et mondialement interconnectée de l’industrie des semi-conducteurs, avec leur conception aux États-Unis, la mise au point d’équipements aux Pays-Bas, la production à Taïwan et en Corée du Sud, et enfin l’assemblage en Chine. Cette division internationale du travail est d’ailleurs davantage le résultat d’une dynamique de marché que de l’intervention des gouvernements de ces pays respectifs.

Selon les experts, il est donc quasi impossible pour un seul pays – que ce soit la Chine ou les USA – de maîtriser de A à Z toutes les technologies de la chaîne de production. Pourtant, Xi Jinping semble persuadé qu’en mobilisant toutes les « ressources nationales », à la manière du « Grand bond en avant » de Mao, son pays devrait être en mesure d’atteindre cet objectif.

Certes, le pays a connu des développements encourageants sous l’angle de l’augmentation de la production ces dernières années, notamment grâce aux efforts du « Big Fund ». Mais malgré les fonds versés, plusieurs projets de grande ampleur ont fini par capoter, tandis que le conglomérat Tsinghua Unigroup, qui se voyait déjà devenir l’un des cinq leaders mondiaux d’ici à 10 ans, s’est retrouvé avec une ardoise de 200 milliards de yuans qu’a dû éponger l’Etat en 2021, sans compter sur les dizaines de milliers de faillites de petites entreprises qui, attirées par les généreuses subventions de l’État, se sont lancées dans l’aventure sans la moindre expérience… En attendant, les investissements réalisés par le « Big Fund » n’ont pas réussi à réduire de manière significative la dépendance de la Chine vis-à-vis des semi-conducteurs importés.

Un constat qui a suscité l’ire de Pékin et poussé les inspecteurs à mettre le nez dans les affaires du fonds d’investissement. Le problème est que ce dernier s’est contenté de financer les entreprises déjà bien établies et les plus rentables, souvent déjà cotées en bourse telles SMIC et YMTC, délaissant les projets les plus risqués, qui n’intéressent pas les investisseurs privés, mais qui auraient pu faire à terme la différence. La cause ? Trop de cupidité, et pas assez de patriotisme au goût du leadership.

C’est la raison pour laquelle Pékin souhaite faire d’eux un exemple pour le reste de l’industrie : quiconque s’enrichit illégalement sur le dos des investissements publics sans que les résultats soient à la hauteur, sera sanctionné.  

Cependant, Pékin ne compte pas lancer une interminable campagne de répression qui pourrait déstabiliser l’ensemble de la filière et nuire au moral des entrepreneurs. Les fonds continueront de pleuvoir sur le secteur, mais le gouvernement compte cette fois s’assurer qu’ils seront utilisés à meilleur escient.

* Il est intéressant de noter que là où la Chine fait cavalier seul dans cette quête vers l’autosuffisance, les États-Unis prennent le chemin opposé en tentant de mettre sur pied une alliance avec les autres poids lourds du secteur des semi-conducteurs (Japon, Corée du Sud et Taïwan) et en incitant les leaders mondiaux à installer leurs usines sur sol américain (cf. récente signature du CHIPS Act).

** Le ministre Xiao Yaqing a déjà été remplacé par Jin Zhuanglong, « commandant en chef » du projet du C919, le premier moyen-courrier chinois qui pourrait être certifié dès la date symbolique du 19 septembre (« 9.19 »).

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