Diplomatie : Chine et Etats-Unis hissent le drapeau blanc

Le 15 janvier, c’était le grand jour. A la Maison Blanche, le Président Trump, tout sourire, signait avec le vice-Premier ministre chinois Liu He la première phase de l’accord commercial tant attendu. Le lieu et les protagonistes de cette cérémonie étaient hautement symboliques, le Président américain n’ayant jamais caché son désir de clamer haut et fort « sa victoire » quelques mois avant les élections, et cela malgré l’absence de son homologue Xi Jinping. Selon la rumeur, le refus de Donald Trump de lever l’ensemble de ses tarifs douaniers aurait définitivement enterré tout espoir d’une signature entre les deux Présidents…

48h avant la poignée de main, Taoran Notes, compte WeChat tenu par une personne proche de la délégation chinoise, sortait de son silence pour préparer l’opinion chinoise : « peu importe le contenu de l’accord, il y aura toujours des critiques ». Il ajoutait que « ce n’est pas une victoire pour les Américains. La Chine n’a fait que renouveler ses engagements commerciaux de novembre 2017 lors de la visite de Trump à Pékin ». Les médias officiels chinois s’efforçaient aussi de présenter cet accord comme « gagnant-gagnant », faisant « partie intégrante de la stratégie à long terme de réforme et d’ouverture de la Chine ». Le quotidien nationaliste Global Times, exhortait le public à « faire preuve de retenue, à ne pas pinailler sur les détails ». Justement, les détails sont parlant. Dans le texte de l’accord, « la Chine doit » est mentionné 105 fois, « les deux parties doivent » 60 fois, tandis que « les USA doivent » seulement 5 fois. Ce décompte reflète bien le déséquilibre des concessions en faveur de Washington. En effet, Pékin s’engage sur deux ans à acheter 200 milliards de $ de produits américains supplémentaires par rapport aux 186 milliards de 2017. Selon les estimations du Conseiller économique de la Maison Blanche Larry Kudlow, ces commandes devraient booster la croissance américaine de 0,5% en 2020 et 2021. Cela représente 32 milliards de $ de produits agricoles (soja, blé, maïs) en plus, 52 milliards dans l’énergie (GNL, pétrole), 77 milliards de biens manufacturés (Boeing, voitures, matériel médical…) et 38 milliards de services (tourisme, finance…).

Avant même que ces chiffres soient dévoilés, les experts s’inquiétaient : la Chine arrivera-t-elle à tenir ses engagements sans impacter ses propres producteurs, modifier ses quotas, ou revenir sur ses accords avec d’autres partenaires ? Le Quotidien du Peuple, journal du Parti, affirmait que « l’énorme demande chinoise n’aura aucun problème à absorber ces 200 milliards de $ de produits additionnels ». Liu He aussi, était confiant : « nous nous sommes assurés que ce deal ne nuirait à aucune partie tierce ». Pourtant, Phil Hogan, Commissaire européen au Commerce, semblait en douter : « l’UE vérifiera si les termes de l’accord sont effectivement conformes aux règles de l’OMC ».

En échange, Washington a très peu cédé, réduisant simplement sa salve de taxes douanières de septembre 2019 de 15% à 7,5% sur 110 milliards de $ de produits chinois, et abandonnant sa menace de taxer le reste des importations chinoises encore indemnes (160 milliards de $). Le reste des taxes (sur 360 milliards de $ d’imports) reste donc toujours en place et ne sera réduit que si la Chine tient ses engagements. De l’aveu de Trump lui-même : « nous n’aurions plus aucun levier sur la Chine pour la deuxième phase des négociations, si nous avions annulé toutes les taxes ». Ainsi, dans les deux camps, les tarifs douaniers restent en moyenne 20% plus élevés qu’avant la guerre commerciale. Ces rétorsions ont déjà coûté 46 milliards de $ aux entreprises américaines, et érodé leur compétitivité en augmentant leurs coûts de production.

Autre passage important de l’accord : celui sur le « mécanisme de contrôle des engagements ». Certains déplorent que cette section ne règle pas le fait que les compagnies américaines sont généralement réticentes à dénoncer des transferts forcés de technologie ou des violations de leur propriété intellectuelle. Déjà, ce mécanisme fait l’objet de différences d’interprétation. Dans sa presse officielle, la Chine affirme que ce système d’arbitrage ne sera pas contrôlé unilatéralement par les USA – ce qui contredit les annonces faites de l’autre côté du Pacifique.

Finalement, cet accord préliminaire ne marque pas la fin de la guerre commerciale, seulement de la première manche. Trump pourra se targuer d’avoir éteint un incendie qu’il avait lui-même allumé, et réintroduit un dialogue semestriel avec la Chine qu’il avait lui-même aboli. Pour le gouvernement chinois, c’était le prix à payer pour obtenir un répit, limiter les dégâts économiques et stabiliser la relation sino-américaine. Mais, comme le soulève le Global Times : « un accord intermédiaire obtenu dans une période où la relation est au plus bas, peut-il tenir ? Sera-t-il source de progrès ou, au contraire, de nouveaux conflits ? ».

Car ce premier accord ne comprend pas une ligne sur les demandes stratégiques des USA comme les subventions de la Chine à ses entreprises d’Etat ou le plan « Made in China 2025 »… Ces litiges devraient être au cœur des négociations pour la deuxième phase du deal. Celles-ci devraient débuter « dans la foulée » selon le Président Trump. Toutefois, Liu He calmait ses ardeurs en déclarant qu’« il serait insensé de passer à une deuxième phase alors que l’encre du premier accord n’est même pas encore sèche ». De plus, il aura fallu plus de 18 mois aux deux parties pour s’entendre sur un accord aux enjeux presque purement commerciaux. Difficile d’imaginer que les prochaines discussions, dont les enjeux sont autrement plus stratégiques, puissent aboutir avant les élections américaines en novembre.

En effet, la Chine ne brûle pas d’envie de négocier la réduction de son intervention sur l’économie ou l’abandon de ses ambitions technologiques. Par contre, elle espère la levée de tous les tarifs douaniers et des sanctions contre ses champions high-techs comme Huawei ou Hikvision. De leur côté, les Etats-Unis veulent-ils plus d’accès au marché chinois pour leurs entreprises, ou contenir à tout prix la montée en puissance de la Chine ? Car, il leur sera difficile d’obtenir les deux : si la Chine peut s’ouvrir davantage (et c’est dans son intérêt), elle ne renoncera sûrement pas à ses ambitions hégémoniques. Alors, les USA choisiront-ils de poursuivre cette confrontation frontale pour espérer conserver leur leadership mondial ou opteront-ils pour le retour à un certain niveau de coopération et de concurrence constructive ? Les élections américaines de novembre seront déterminantes pour répondre à cette question.

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