Petit Peuple : Hainan – La passion patriotique de Wang Chengbin

Wang Chengbin est tout sauf un simple d’esprit. A 32 ans, il est chercheur-invité a l‘université des sciences de la vie à Prague, doctorant, entomologiste et taxonomiste – expert des insectes et de la classification du monde du vivant.

Fait remarquable, et qui en dit long sur son talent, six ans plus tôt en 2011, c’est à l’université Tsinghua de Pékin, qui forme les élites politiques et scientifiques du régime, qu’il recevait son doctorat en mathématiques, de la plus haute autorité académique en République Populaire. Wang semble donc bien être ce « petit génie » polyvalent et bourreau de travail, capable de se distinguer par la qualité de ses recherches partout sur Terre, au pays comme à l’étranger, et en toutes disciplines.

Hélas pour lui, toute la masse de ses éminentes qualités ne semble pouvoir suffire à lui épargner de se laisser engluer dans une affaire aux franges du ridicule, qui a fait grand bruit cet été dans les chaumières et rizières de l’Empire du Ciel.

Tout a débuté l’été 2015 sur l’île de Hainan où il participait pour le compte de son université tchèque à une mission de recherche d’espèces encore non homologuées.
Un soir, au briefing quotidien où ces savants se rassemblaient pour échanger leurs découvertes du jour, Lu Qiu, un collègue de Chongqing, lui présenta dans un habitacle de plastique un insecte oblong avec élytres : « curieux spécimen, lui fit-il, jamais rien vu de tel. Qu’en penses-tu ? » Et comme le compagnon était expert en diptères tandis que sa trouvaille, de la famille des coléoptères, était du ressort de Wang, il le lui remit sans autre pensée.

Or, cependant, dès la première seconde, à la vue du long insecte noir brillant au corset puissant et moiré, aux antennes délicatement ornées de sphères à distance régulière, Wang n’ avait pu contenir un tressaillement d’émotion. Car cet insecte n’évoquait pas la moindre référence à une quelconque famille, classification ou sous-espèce de son savoir, pourtant vaste. Wang devrait procéder à toutes les recherches académiques d’usage, mais en ce cas d’espèce, il le pressentait, cet animalcule était potentiellement une découverte mondiale. Ainsi, en tant que auteur, Wang aurait désormais une place au Panthéon des gens de son métier : au paradis, à la Mecque de tout entomologiste ! Il passerait à la postérité en faisant entrer son scarabée dans la classification de Linné, assorti d’un nom de son invention – c’était la gloire !

Dès le lendemain, Wang Chengbin se précipita dans la forêt vierge de l’île semi-tropicale, vers la clairière aux multiples troncs morts où prospérait une myriade d’insectes xylophages, là où le collègue avait fait la trouvaille. Poursuivant la fouille méthodiquement, il lui fallut deux autres semaines pour exhumer deux autres sujets de la même espèce, dé-montrant ainsi qu’elle était rarissime. Parallèlement, il multipliait les requêtes auprès des sociétés entomologistes des cinq continents, pour étayer un dossier scientifique en béton armé – il fallait dissiper tout doute quant à l’unicité de « son » scarabée.

De retour à Prague, Wang vit s’approcher le moment béni de l’enregistrement de l’insecte et du choix d’un nom. Une fois validé par ses pairs entomologistes internationaux –simple formalité à ce stade –, son vocable entrerait au système scientifique mondial. A la discrétion du découvreur, le nom devrait évoquer l’apparence, des attributs moraux ou comportementaux du sujet. De l’avis de Wang en outre, il devrait aussi célébrer certaines vertus de son pays natal.

Cette ultime envie s’aventurait bien loin des rivages de la science, dans les méandres d’un imaginaire subjectif. Elle reflétait, il faut bien l’avouer, un dernier trait de notre fougueux chercheur : sa naïveté, doublée d’un vibrant patriotisme et d’une obédience sans faille aux mots d’ordre du Parti. Pur produit de l’école publique, Wang approuvait et défendait sans réserve toutes les valeurs léguées par l’enseignement socialiste !

Dans son rapport en huit pages qu’il fit publier en anglais en juin 2016 dans la revue internationale Zootaxa, il décrivit les circonstances de la découverte, le terrain humide et chaud de l’île de Hainan et le type de végétation, de fougères, de champignons, d’arbres géants qui permettaient de prospérer dans l’humus de ses forêts natives.

Il présenta son scarabée de 3,5cm de long avec son abdomen, sa tête, ses pattes et ses élytres, sa couleur moirée, son régime alimentaire, sa fière agressivité, son comportement reproductif. 

Puis vint le moment du triomphe en apothéose, un peu orgueilleuse certes. Mais qui en voudrait au jeune homme de « s’être regorgé de son propre succès » (洋洋得意, yáng yáng déyì) ?
Le nom chinois qu’il avait trouvé (习氏狼条脊甲, Xi shì láng tiáo jiǎ) évoquait son  long corset et sa combativité « digne de celle du loup ». Et selon l’usage, son nom international était en sabir greco-latin : « Rhyzodiastes (Temoana) Xii ». Le dernier mot, aussi présent dans la définition chinoise, dédiait le scarabée au Président de la République, Xi Jinping. Dans l’esprit du chercheur, c’était le plus haut hommage et acte d’admiration au premier édile de l’Etat.

Mais pour savoir comment les hautes sphères du régime réagirent à cette publication, prenez patience jusqu’à la semaine prochaine !

« Se regorger de son propre succès »

洋洋得意, yáng yáng déyì

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1 Commentaire
  1. severy

    Dans ce cas-là, pas la peine d’être musulman pour devoir se voiler la face. Ça a dû barder en haut lieu…

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