Comme chaque année, c’est reparti pour le Gaokao (高考,7-8 juin), concours d’entrée aux 1000 universités du pays, au terme de 12 ans d’études sans pitié. Depuis tout-petits, les enfants sont mis en concurrence et astreints – pour ceux qui ont les moyens – à des cours supplémentaires de maths, d’anglais… L’objectif est moins de s’épanouir, que d’empocher un maximum des 750 points du concours.
Les jours précédents, le silence est de mise : suspendue la danse publique du 3ème âge au Hunan, fini le klaxon à Haikou (Hainan), la TV à tue-tête à Shenzhen… À l’inverse, partout fleurissent d’éphémères ateliers de soutien psychologique pour les candidats, de yoga, tandis que les cantines offrent des menus plus énergétiques et digestes, tout en écoutant une musique euphorisante et légère pour lutter contre le stress !
Par rapport aux années précédentes, on note des différences. D’abord, c’est le 40ième anniversaire du nouveau Gaokao, après 10 ans de hiatus imposé par la Révolution culturelle. En 1977, 5,7 millions concouraient mais seuls 270.000 avaient été pris, aux postes disponibles dans les universités qui réouvraient à peine.
Contrairement à 2016 qui avait vu 9,4 millions de candidats, la cuvée 2017 n’en compte que 9 millions. Sous l’angle démographique, le pic a été franchi en 2008, qui voyait s’affronter 10,5 millions de jeunes. La redescente se poursuivra chaque année, résultat inéluctable de la politique de l’enfant unique.
Autre différence préoccupante : cette année, deux millions de candidats, voire 3,67 millions selon China Daily (30% de la promo) seront recalés, renvoyés aux écoles professionnelles. Et cette fois, ce ne sera pas par manque de places d’études : au fil du temps, les universités ont repoussé leurs murs pour recruter le plus possible et maximiser leurs recettes en droits d’inscription.
Toutefois, le chômage touche les diplômés de l’enseignement supérieur, du à son incapacité, faute d’autonomie suffisante, à doter les jeunes des compétences attendues par le marché de l’emploi. Selon un universitaire américain, « la Chine a su agrandir les campus – mais sans bons professeurs, les bons cursus ni la bonne politique de l’excellence, pas de miracle—l’effort risque d’être vain ».
Selon Zhaopin, 1er chasseur de têtes en ligne, 48% des patrons chinois cherchent à recruter cette année, et 72% à développer leurs affaires. Mais ils ne trouvent pas les profils désirés. Sur 7,95 millions de diplômés depuis janvier, 27,7% (+2,9% par rapport à 2016) n’ont reçu aucune réponse à leurs CV. Plus de la moitié ont récolté « une à trois offres » (-5,2%) et seuls 26,7% ont été embauchés (-8,7%). Pour la croissance, le déficit en talents, à l’issue de cet énorme investissement éducatif de la nation et des parents, est un gâchis. Même ceux qui réussissent à se caser sont déçus : 75% reçoivent un salaire inférieur à leur attente.
Certes, la minceur des salaires s’explique par une stratégie et politique monétaire, faites pour décourager une spirale des hausses de rémunérations. Le but assumé est d’offrir au pays un nouvel avantage concurrentiel mondial. Après 20 ans d’export de produits de basse qualité à coûts imbattables, ayant propulsé la Chine au rang d’« usine du monde », le nouveau but est d’imposer le pays comme temple des « services du monde », avec ses architectes ou ingénieurs payés jusqu’à 6 fois moins qu’aux USA. Ceci explique les 523.700 jeunes chinois partis étudier ailleurs en 2015 (+13,8%) dont 304.000 vers les USA.
Mais pour ceux (l’immense majorité) qui n’ont pas cette chance, le Gaokao est une guerre qu’il faut gagner, et chez certains, la fin justifie les moyens. Moyennant un million de yuans, le cancre riche peut laisser un universitaire désargenté passer « son » Gaokao en se faisant passer pour lui. Ou bien lui envoyer par radio les réponses depuis un immeuble voisin. À ce jeu « du gendarme et du voleur », l’ingéniosité et la technologie se combinent sans limites. L’émetteur radio peut être détecté par radiogoniomètre embarqué à bord d’un hélicoptère. Les fausses empreintes digitales se repèrent au reflet des gants de latex mat, où elles sont imprimées en relief. Le Guangdong identifie les candidats par reconnaissance faciale, le Liaoning, par empreintes iridiennes, et la Mongolie, par reconnaissance des veines du doigt—système ardu à contrefaire. Depuis 2016, l’addition s’est durcie pour les fraudeurs : ils risquent 7 ans de prison.
Comme chaque année, le Gaokao a son lot d’histoires insolites : Luoyang redonne sa chance à Wang Nana, mère de famille qui avait été privée en 2003 d’université, sa meilleure amie lui ayant volé son certificat de succès pour s’inscrire en fac sous son nom.
À Pékin, le candidat AI-Maths est un robot, ayant préprogrammé des milliers de questions des dernières sessions — sans que son score ne puisse lui permettre d’intégrer les meilleures universités du pays.
Linfen (Shanxi) fait plancher dans une salle à part les séropositifs.
Pour conclure, ce Gaokao est à la croisée des chemins. Après avoir, durant 40 ans, égalisé les chances entre des centaines de millions de candidats, il arrive au bout de sa capacité à générer de la croissance.
Le cahier des charges du futur Gao-kao est déjà connu : il devra écouter les besoins de cette société et de son économie, et stimuler, au lieu d’écraser, la curiosité naturelle des jeunes, leur capacité à penser par eux-mêmes, leurs talents propres.
Sommaire N° 23 (2017)